Protocole préélectoral : certitudes et inconnues sur l'invitation à négocier

Publié le 06/02/2019

La Cour de cassation vient de rappeller « que l'invitation à négocier le protocole électoral doit être adressée soit au délégué syndical présent dans l'entreprise soit directement à l'organisation syndicale représentative l'ayant désigné » (Cass. Soc. 7.11.18 n°17-60283). C’est l’occasion de faire le point sur les règles de validité de la convocation des organisations syndicales, notamment lorsque le syndicat n’a pas de délégué syndical.

2019 année du neuf... surtout pour les institutions représentatives du personnel (IRP). En effet la période s’annonce chargée en élections professionnelles avec la fin de la période transitoire, permettant de maintenir les anciennes IRP jusqu'au au 31 décembre prochain.  

L’information par l’employeur de la négociation du protocole d’accord préélectoral (PAP) est fondamentale pour le syndicat. Il en va de son implantation dans l’entreprise, de sa représentativité et de la possibilité de négocier des accords collectifs. L’enjeu, dès le début du processus électoral, est de savoir si la convocation à la négociation du PAP émise par l’entreprise est valable. Cette information lui est précieuse :

- en cas de connaissance tardive du déroulement des élections dans son périmètre,

- pour sécurisier le processus électoral.

Les conséquences sont effectivement importantes, le syndicat non valablement convoqué étant fondé à obtenir l’annulation des élections (1).

  • Les parties à la négociation du PAP 

Plusieurs catégories de syndicats sont des « parties intéressées » à la négociation du PAP. Mais tout le monde n’est pas logé à la même enseigne : la loi organise une inégalité de traitement entre les syndicats qui bénéficieront d’une invitation par courrier et ceux qui n’auront eu l'information que par affichage (solution généralement retenue, même si la loi prévoit une invitation "par tout moyen"). Les ordonnances Macron y ajoutent une condition supplémentaire pour les entreprises entre 11 et 20 salariés.  

Sont invités par courrier :

- les organisations syndicales représentatives (OSR) dans l’entreprise ;

- les organisations syndicales non représentatives, mais ayant créé une section syndicale dans l’entreprise ;

- les syndicats affiliés à une OSR au niveau national interprofessionnel, mais non implantés dans l’entreprise.

 

Sont invités par tout moyen 

Les syndicats qui répondent à 3 critères :

- le respect des valeurs républicaines,

- l'indépendance,

- la condition d'être constitués légalement depuis au moins 2 ans et dont le champ professionnel et géographique couvre l’entreprise ou l’établissement concerné.

Sont invités sous conditions 

Dans les entreprises dont l’effectif est compris entre 11 et 20 salariés, l’employeur a l’obligation d’inviter les organisations syndicales à la négociation du PAP uniquement si au moins 1 salarié s’est porté candidat aux élections dans un délai de 30 jours à compter de l’information du personnel de la tenue des élections.

Si un salarié « sort du bois », l’employeur est tenu d'inviter les syndicats en respectant les deux modalités prévues ci-dessus.       

                                                                                                                                                                    

  • Qui doit être destinataire de l’invitation par courrier ?

Lorsque le syndicat doit être invité par courrier, ce qui est systématiquement le cas pour les « 5 grands », dont la CFDT, encore faut-il savoir à qui doit être adressée l'invitation. Il y a d’un côté des certitudes, de l’autre des inconnues qui appellent à la vigilance.

Les certitudes en présence d'un délégué syndical : 

La Cour de cassation confirme une solution qui avait déjà pu être retenue avant l’entrée en vigueur de la loi de 2008 relative à la représentativité. Elle opère une distinction pragmatique fondée sur la représentativité et affirme que dès lors qu'un syndicat a désigné un délégué syndical (DS), alors la convocation est valablement délivrée :

- soit directement au délégué syndical,

- soit au syndicat l’ayant désigné.

La jurisprudence s’est même intéressée à la question de savoir ce qu’il fallait entendre par « syndicat ayant procédé à la désignation ». La Cour de cassation (2) ne pouvait pas être plus limpide en constatant le manquement de l’employeur qui avait convoqué l'union départementale et non l’union locale qui avait procédé à la désignation. L’employeur doit donc inviter le véritable auteur de la désignation, peu important les questions d’affiliation syndicale.  

Les incertitudes en l'absence de délégué syndical : 

- Au premier chef des incertitudes se pose la question de savoir si la jurisprudence applicable au DS est transposable au  représentant de section syndicale (RSS). Il s’agirait d’opérer une nouvelle distinction, parmi les syndicats non représentatifs implantés dans l’entreprise, entre ceux qui ont désigné un RSS et ceux qui ne l’ont pas fait.

L’argument qui plaide pour une transposition est que le RSS « bénéficie des mêmes prérogatives que le délégué syndical, à l'exception du pouvoir de négocier  des accords collectifs » (3).  Certes, ce dernier n’a pas la capacité de négocier des accords collectifs, mais il a comme point commun de représenter officiellement le syndicat dans l’entreprise et d’être en capacité de négocier le PAP, ce qui n’est pas réservé au DS. Toutefois, il est vrai qu’à l’inverse du DS, il a besoin d’un mandat spécial pour négocier le PAP, ce qui pourrait expliquer une éventuelle différence de traitement par la jurisprudence et donc amener à la prudence dans les stratégies juridiques...

- Ensuite il reste des situations où la réponse de la Cour de cassation n’est pas aussi fine qu'en présence d'un DS, et où des stratégies de contournement peuvent prospérer. Dans les autres cas en effet, la Cour de cassation s’est d’abord contentée de préciser qu'« en l'absence de délégué syndical, l'invitation doit être adressée au syndicat. Celui-ci est valablement invité dès lors que la convocation est délivrée à l'organisation représentative à laquelle il a adhéré, que ce soit au niveau des différentes branches ou de celui des unions syndicales auxquelles elles ont adhéré » (4). Cette solution, bien que rendue avant le big bang de 2008, pourrait toujours avoir vocation à s’appliquer. La Cour de cassation (5) est ensuite allée beaucoup plus loin (trop ?) pour valider, en l’absence de DS, une convocation adressée à une confédération.

Cette solution s’appuie sur la construction prétorienne de l’unicité syndicale tirée notamment de l’article L2133-3 du Code du travail qui précise que « les unions de syndicats jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels par le présent titre. » Certes, on ne peut reprocher à un employeur de ne pas maîtriser les organisations parfois complexes des syndicats, mais lorsque la section est implantée dans l’entreprise, bien que non représentative, comment loyalement ne pas inviter le syndicat compétent surtout lorsqu’il a une certaine influence (tracts, grèves, RSS…) ? Certes encore, ce contournement ne semble pas illicite, mais à bien y regarder, la solution "fourre-tout" de l’invitation confédérale vise l’absence de DS mais aussi « l’absence d’organisation syndicale ayant constitué une section syndicale », ce qui peut laisser un petit espace pour le bon sens…

Il conviendrait à notre avis, dans le cas où la CFDT est implantée dans l’entreprise sans être représentative, avec un RSS ou non, d’informer l’employeur bien avant les élections, du syndicat compétent futur destinataire de l’invitation. Cette précaution, sans garantie de succès, pourrait être utile en cas de volonté délibérée de contournement du syndicat par l’employeur étant précisé que la jurisprudence ancienne avait pris la précaution de dire valable l’invitation fait au niveau des branches ou des unions auxquelles le syndicat a adhéré. Cette précision utile rendrait non valable par exemple une invitation de la Fédération des Transports pour l’entreprise Petit Bateau !

 



(1) cf. notamment Cass.soc., 24.10.12, n° 11-60199.

(2) Cass.soc., 21.11.17 n° 07-60.023, inédit.

(3) Art. L.2142-1-1 C.trav.

(4) Cass. ass.plén., 5.07.02, n° 00-60.275.

(5) Cass.soc., 15.11.17, n° 16-60.268.