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Travailleurs détachés: la loi « Savary » adoptée au Sénat

Publié le 14/05/2014

A la veille des élections européennes, la proposition de loi dite « Savary » sur les travailleurs détachés a été votée le 6 mai dernier au Sénat. Les sénateurs ont toutefois apporté quelques modifications intéressantes à la version du texte votée par les députés, pour notamment étendre l’obligation de vigilance de l’employeur et la responsabilité du donneur d’ordre et du maître d’ouvrage. Retour sur les points phares de la proposition de loi.

Discutée depuis le mois de janvier dernier, la proposition de loi « Savary » (1) constitue une transposition anticipée de la directive d’application de la directive relative aux travailleurs détachés de 1996. Afin de mettre en place « des mesures législatives euro-compatibles », la loi « Savary » vise principalement à instaurer des mesures préventives et répressives « pour lutter efficacement contre le dumping social, la concurrence déloyale et les abus de la sous-traitance » (2).

Quels sont les principaux points faisant l’objet de modifications au sénat ?

  • L’obligation de vigilance

Les sénateurs prévoient une extension de l'obligation de vigilance du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage dans le cas d’un détachement d’un travailleur par un prestataire de services établi hors de France. De cette manière, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage doit vérifier avant le début du détachement, et ce quel que soit le coût de la prestation, que son cocontractant (le prestataire de service étranger) a bien effectué toutes les formalités déclaratives (ex : le dépôt de la déclaration de détachement auprès des services de l'inspection du travail). Les députés ne prévoyaient cette vérification que lorsque l’objet du contrat avec le prestataire portait sur un montant minimal. En cas non vérification de ces formalités par le donneur d’ordre, une sanction administrative s’applique.

De plus, l’obligation de vigilance pèse sur le donneur d’ordre en matière d’application du droit du travail (durée du travail, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, la protection de la maternité, le droit de grève, etc.).

En conformité avec la directive d’application de la directive détachement, le texte français prévoit la désignation (par l’employeur étranger qui détache un ou plusieurs salariés) d’un représentant de l’entreprise sur le territoire français. Cette personne s’occupe de la liaison avec les agents de contrôle nationaux (inspecteurs du travail, agents des impôts, agents des organismes de sécurité sociale, etc.).

  • La responsabilité solidaire du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage

La responsabilité solidaire du donneur d'ordre ou du maître d'ouvrage pour le paiement des salaires minimum légaux ou conventionnels des salariés des sous-traitants est étendue au sous-traitant indirect et même au cocontractant d’un sous-traitant. Dans ces deux derniers cas, le donneur d’ordre n’a pas de relation directe avec ces sous-traitants. Cette responsabilité solidaire financière a donc vocation à se déclencher au-delà du cas des salariés détachés, c’est à dire à tous les salariés.

  • La « liste noire » d’entreprises

Le juge a la possibilité d’inscrire sur une « liste noire », au titre d’une peine complémentaire, les entreprises et les prestataires de services condamnés pour des infractions constitutives de travail illégal. Le juge ordonne ainsi la publication sur internet du nom de l’entreprise. Alors que la proposition de loi votée par les députés prévoyait un seuil d’amende minimal de 15 000€ pour inscrire les entreprises ou prestataires sur cette liste noire, les sénateurs ont choisi de supprimer ce seuil d’amende.

  • La possibilité pour les syndicats d’agir en justice

Les organisations syndicales représentatives peuvent intenter une action en justice en faveur d’un salarié, ceci « sans avoir à justifier d’un mandat de l’intéressé », si par exemple, le donneur d’ordre ou le maitre d’ouvrage ne respectent pas le droit du travail applicable. Le salarié doit simplement être informé de l’intention du syndicat et ne doit pas s’y être opposé dans un délai de 15 jours à compter du jour où le syndicat lui a notifié son intention. Cette nouvelle action des organisations syndicales représentatives correspond à une action en substitution.

De plus, la proposition de loi prévoit pour les associations, les syndicats professionnels et les syndicats de salariés de branche la possibilité de se constituer partie civile en cas de travail illégal de nature à fausser la concurrence.

A ce stade et à la veille des élections européennes dont les enjeux pour le développement d’une Europe sociale demeurent cruciaux, la proposition de loi n’est pas encore définitivement adoptée. Une commission mixte paritaire (composée comme son nom l’indique à parité de membres de députés et de sénateurs) a été saisie pour aboutir à une version commune du texte.


(2) Préambule de la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale, n° 1686, version du 8 janvier 2014.