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Salariat: Faux auto-entrepreneur et vrai travail dissimulé

Publié le 21/01/2015

Le recours au statut d’auto-entrepreneur ne doit pas être un moyen de contourner les dispositions légales, notamment celles relatives au salariat. C’est ce que rappelle le Conseil d’Etat en considérant que constitue du travail dissimulé justifiant la fermeture provisoire d’un établissement, le fait d’employer une personne en qualité d’auto-entrepreneur, dans les conditions du salariat. Conseil d’Etat, 11.11.14, n°385569.

  • Les faits

Dans cette affaire, un club de remise en forme a employé un homme de ménage sous le statut « d’auto-entrepreneur ». Constatant  que cette personne exerçait en réalité dans les conditions du salariat et n’avait volontairement fait l’objet d’aucune déclaration d’emploi salarié de la part du gérant, le préfet de police a ordonné la fermeture immédiate de l’établissement pour 15 jours afin de sanctionner le travail dissimulé, tel que le prévoit l’article L. 8272-2 du Code du travail (1).

La société estime que cette sanction constitue une atteinte grave et manifestement illégale aux « libertés fondamentales du commerce et de l’industrie ». En situation de redressement judiciaire, elle entreprend donc un référé-liberté auprès du tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de la décision de fermeture administrative. Une telle mesure compromettant inéluctablement ses chances de se redresser.

Le référé-liberté ou référé injonction peut être utilisé par un justiciable, si une décision prise à son encontre par une administration ou un organisme chargé d'un service public porte une atteinte grave et « manifestement » illégale à l'une de ses libertés fondamentales. C'est une mesure d'urgence, à laquelle une réponse est donnée normalement sous 48 heures par le juge des référés.

Non convaincu par les arguments de la société tendant à démontrer l’atteinte à sa liberté fondamentale, le juge a rejeté la requête. Dans sa décision du 11 novembre 2014, le Conseil d’Etat approuve l’ordonnance du tribunal administratif rejetant un à un les arguments de l’employeur.

  • La présomption de non-salariat  renversée

Le  statut d’auto-entrepreneur bénéficie d’une présomption de non-salariat (2). Il s’agit d’une présomption simple qui peut être renversée en rapportant la preuve contraire et c’est précisément ce qu'a fait le préfet de police. Non seulement la société était à la date des faits, la seule à employer les services de l’intervenant, mais elle lui fournissait l’ensemble des instruments nécessaires à son activité, et le détail des tâches confiées l’était par voie d’instructions directes du gérant. Enfin, l’accord de prestation de services ne précisait pas la consistance précise du service à rendre. Pour toutes ces raisons, le préfet a pu considérer que  la situation de travail et de subordination de l’intervenant revêtait le caractère d’emploi salarié. Ce que le Conseil d’Etat a confirmé.

  • La situation de travail dissimulé caractérisée

 Pour sa défense, la société a produit une attestation de l’homme de ménage démontrant qu’il avait «volontairement  choisi le statut d’auto-entrepreneur».  Mais ce n’est pas suffisant pour le juge qui, pour rejeter l’argument de la société, se fonde sur une précédente déclaration de l’intervenant, portée au procès-verbal du contrôleur du travail, et dans laquelle il indiquait que le choix du statut d'auto-entrepreneur lui avait été suggéré par la société.  Les faits reprochés au gérant sont donc constitutifs de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.

  • Une sanction administrative justifiée

Pour finir, la société estime que la sanction prononcée à son encontre est disproportionnée. En effet, selon le Code du travail, la décision de fermeture dépend du nombre de salariés concernés, de la répétition et de la gravité des faits constatés. Or l’affaire ne concerne qu’une seule personne sur les sept salariés de la société et il ne s’agit pas non plus d’une récidive. 

Ces arguments ne vont pas suffire à contester la sanction puisque c’est la dernière condition,  celle tenant à la gravité des faits, que retient le préfet de police pour justifier la fermeture. Il se trouve que le recours au faux statut d’auto-entrepreneur avait ici permis à la société de faire travailler l’intéressé à un tarif horaire inférieur au minimum légal. La gravité des faits justifiait donc la fermeture de l’établissement. Pour les hauts magistrats, le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

Cette décision illustre de quelle façon le statut d’auto-entrepreneur, attractif a priori par son régime fiscal et social allégé, peut également être source de nombreuses dérives de la part des employeurs. Ce statut d'auto-entrepreneur prive la personne de nombreux droits par rapport au salariat (tels que l’assurance chômage, les congés payés, les indemnités de fin de contrat le cas échéant, etc.) Nous pouvons donc nous réjouir de cette décision qui, outre des mécanismes de contrôle déjà existants, en dissuadera peut-être certains…

 

 



(1) Art. L. 8272-2 Code du travail : « Lorsque l'autorité administrative a connaissance d'un procès-verbal relevant une infraction prévue aux 1° à 4° de l'article L. 8211-1, elle peut, si la proportion de salariés concernés le justifie, eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés, ordonner par décision motivée la fermeture de l'établissement ayant servi à commettre l'infraction, à titre provisoire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois. Elle en avise sans délai le procureur de la République.(…)»

(2) Art. L. 8221-6 du Code du travail