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Rupture conventionnelle : retour sur sept ans de jurisprudence

Publié le 06/05/2015

Il y a presque 7 ans, la loi du 25 juin 2008 transposait l’ANI sur la modernisation du marché du travail et introduisait la rupture conventionnelle au sein du Code, permettant à l’employeur et au salarié de convenir d’un commun accord des conditions de la rupture du contrat de travail (1). L’objectif pour la CFDT était de privilégier les solutions négociées, tout en garantissant les droits des salariés et en minimisant les contentieux. Les décisions de justice intervenues depuis ont permis de préciser les contours de la rupture conventionnelle. Le Carnet juridique propose une synthèse des apports et des reculs parfois, opérés par la jurisprudence.

La Cour de cassation a été particulièrement prolifique sur le sujet de la rupture conventionnelle. La Haute cour a notamment réaffirmé les garanties pour le salarié au moment de la conclusion d’une rupture conventionnelle. Elle est également venue préciser le sort de ce type de rupture en cas de contexte conflictuel entre l’employeur et le salarié, de contexte économique dégradé, ou encore lorsque le salarié fait l’objet d’une protection particulière. Enfin, les juges ont précisé l’articulation entre la rupture conventionnelle et les autres types de rupture du contrat.

  • Primauté de la rupture conventionnelle, mode exclusif de rupture d’un commun accord

Avant 2008, la « rupture à l’amiable » d’un contrat de travail à durée indéterminée était admise dans les conditions de droit commun (2). Cette faculté n’exigeait aucun formalisme particulier, mais n’offrait, en revanche, pas de réelles garanties au salarié (pas d’indemnité de rupture, pas d’allocations-chômage, etc.) Elle présentait donc une forte insécurité juridique tant pour l’employeur que pour le salarié.

La rupture conventionnelle, outre les avantages qu’elle procure, est soumise à une procédure spécifique destinée à garantir la liberté du consentement des parties, et plus spécialement celle du salarié. Il était donc cohérent, une fois le cadre protecteur de la rupture conventionnelle posé, que le recours aux autres types de rupture du contrat de travail « d’un commun accord » soit limité.

C’est pour ces raisons que la Cour de cassation a récemment consacré le caractère exclusif de la rupture conventionnelle (3). Désormais, sauf dispositions légales contraires, dès lors que les parties envisagent de rompre d’un commun accord le CDI qui les lie, elles doivent le faire dans le cadre de la rupture conventionnelle.

  • Les garanties entourant le consentement du salarié

La primauté de la rupture conventionnelle sur les autres conventions de rupture d’un commun accord s’explique principalement par les garanties spécifiques entourant le consentement du salarié (droit à une assistance lors des entretiens, délai de rétractation, etc.) Cette liberté du consentement est contrôlée de deux façons : outre l’homologation de l’administration, la convention de rupture est susceptible de faire l’objet d’un contrôle a posteriori devant le juge judiciaire qui vérifie la validité du consentement.

Ainsi, la Cour de cassation vérifie que le consentement n’ait pas été vicié par une erreur, des violences ou des manœuvres. Ainsi, elle a annulé une rupture conventionnelle en raison d’une information erronée sur le calcul de l’allocation-chômage délivrée par l’employeur (4) . Une Cour d’appel a également estimé que le consentement du salarié qui est sous l’emprise de difficultés financières et menacé de licenciement est vicié (5). En outre, afin de donner plein effet aux garanties spécifiques issues de l’ANI, comme le droit de rétractation du salarié, il a été jugé qu’une rupture conventionnelle pouvait être annulée si le salarié n’avait pas reçu d’exemplaire de la convention lui permettant de réfléchir à l’engagement qu’il allait prendre (6).

  • Articulation confuse entre rupture conventionnelle, licenciement et transaction

Souvent confondues, transactions et ruptures conventionnelles ont pourtant une portée et un but bien distincts. Tandis que la transaction est utilisée pour régler définitivement un différend et ne peut être conclue qu’une fois le contrat de travail déjà rompu, la rupture conventionnelle est un mode autonome de rupture du contrat de travail et peut être contestée pendant 12 mois.

La jurisprudence est venue préciser l'articulation entre rupture conventionnelle et transaction : une transaction peut être signée postérieurement à une rupture conventionnelle (7), mais elle ne sera valable qu’à deux conditions :

-    la transaction doit intervenir après l’homologation de la rupture par l’administration,

-    elle doit avoir pour objet de régler un différend relatif à l’exécution du contrat de travail et porter sur des éléments non compris dans la convention de rupture conventionnelle. En effet, transiger sur ces éléments conduirait indirectement le salarié à renoncer à les contester, ce qui n’est pas envisageable au regard du Code du travail (8).

Se prononçant sur l’articulation entre rupture conventionnelle et licenciement, la Cour de cassation a décidé que lorsqu’une rupture conventionnelle est conclue après la notification d’un licenciement (ou d’une démission), celle-ci vaut renonciation commune à la rupture précédente, laquelle ne produit aucun effet (9).

Cette possibilité de conclure une rupture conventionnelle après une procédure de licenciement sème la confusion et il devient de plus en plus difficile de distinguer la rupture conventionnelle conclue postérieurement à un licenciement et une transaction.

Comment ne pas les confondre ? En effet, les deux actes, conclus finalement au même moment (après une rupture) ne se différencient plus que par leur objet (régler définitivement un différend pour l’une et rompre le contrat pour l’autre). Pourtant les conséquences pour le salarié sont importantes : dans le cas de la rupture conventionnelle il peut toujours réclamer des salaires impayés, etc. alors qu’avec la transaction, il renonce à tout recours en justice.

  • Rupture conventionnelle en cas de conflit entre les parties

Selon la Cour de cassation, l’existence d’un différend entre les parties préalablement à la signature n’interdit pas en soi la conclusion d’une rupture conventionnelle dès lors que le consentement de l’une ou l’autre des parties n’a pas été vicié (par des pressions etc.) (10). L’existence d’un litige, d’un conflit ou d’un différend, ne traduit donc pas forcément un vice du consentement.
D’ailleurs, rien dans l’ANI du 11 janvier 2008, ni dans le Code de travail ne s’oppose au recours à la rupture conventionnelle dans un tel contexte. La rupture conventionnelle peut en effet offrir une issue avantageuse pour sortir de situations inextricables entre un salarié et un employeur, et ce, sans faire perdre de droits au salarié.

Toujours dans un contexte conflictuel, la signature d’une rupture conventionnelle, après l’engagement d’une procédure disciplinaire de licenciement, n’emporte pas renonciation par l’employeur à l’exercice de son pouvoir disciplinaire. En l’espèce, le salarié s’était rétracté de la rupture conventionnelle, l’employeur avait donc pu continuer la procédure disciplinaire (11).

  • Rupture conventionnelle et harcèlement

Si la Cour de cassation autorise la rupture conventionnelle en cas de simple conflit entre le salarié et l’employeur, elle l’interdit dans un contexte de harcèlement moral, l’intégrité du consentement du salarié ne pouvant en effet pas être assurée dans ces circonstances (12). Par conséquent, toute rupture conventionnelle signée dans ces conditions est susceptible d’être annulée. Le salarié sera toutefois tenu d’apporter des éléments de preuve démontrant que les agissements dénoncés sont constitutifs de harcèlement, ce qui est parfois difficile à établir.

  • L’élargissement de la rupture conventionnelle aux périodes de protection

La rupture conventionnelle est en principe exclue dans certaines situations où le salarié est spécialement protégé contre le licenciement : la maternité, l’inaptitude, les accidents du travail ou les maladies professionnelles. Ce principe est d’ailleurs rappelé dans la circulaire qui a fait suite à a Loi modernisation du marché du travail (circulaire du 17 mars 2009 (13), et qui dispose que pendant les périodes de suspensions pendant lesquelles la rupture du contrat est rigoureusement encadrée, la rupture conventionnelle du contrat ne devrait pas être admise. Pourtant, la Cour de Cassation est venue peu à peu étendre le champ de la rupture conventionnelle et l’autoriser dans des cas où jusqu’ici elle l’excluait, en réservant bien sûr les cas de fraude ou de vices du consentement.

 - Rupture conventionnelle et inaptitude, accidents du travail et maladies professionnelles

Il était jusqu’à présent considéré qu’une rupture conventionnelle n’est pas possible avec les salariés déclarés inaptes par le médecin du travail à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (14). Une entorse partielle à cette interdiction a néanmoins été admise par les juges, pour qui un salarié déclaré apte avec réserves suite à un accident du travail peut signer une rupture conventionnelle (15). En revanche, la rupture conventionnelle d’un salarié déclaré inapte à la suite d’un AT ou d’une MP par le médecin du travail apparaît aujourd’hui encore exclue (16).

Cette solution pourrait toutefois être remise en cause. En effet, la Cour de cassation a récemment validé une rupture conventionnelle conclue pendant l’arrêt de travail consécutif à un accident du travail (17). Un revirement contestable eu égard à la fragilité des salariés pendant ces périodes.

- Rupture conventionnelle et congé maternité

De la même façon, la période de congé de maternité fait l’objet d’une protection particulière contre le licenciement (8). Pourtant, contrairement à ce que préconisait la circulaire DGT de 2009, la Cour de Cassation a validé une rupture conventionnelle conclue au cours des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles la salariée a droit au titre du congé maternité ainsi que pendant les quatre semaines suivant l’expiration de cette période (19).

  • Contrôle étroit des ruptures conventionnelles dans un contexte économique difficile

Les signataires de l’ANI du 11 janvier 2008 ont inséré dans l’accord un article selon lequel, les ruptures conventionnelles ne doivent pas « porter atteinte aux procédures de licenciements collectifs pour cause économique » (20). Les ruptures conventionnelles intervenant dans un contexte de réorganisation doivent donc faire l’objet d’une vigilance particulière de la part de l’administration (21). Les ruptures conventionnelles sont d’ailleurs interdites dans deux cas (22) : dans le cadre d’un accord de GPEC et dans le cadre d’un PSE (acte unilatéral ou négocié). Pour autant, les ruptures conventionnelles restent possibles dans un contexte de réduction d’effectifs, dès lors qu’elles ne s’inscrivent pas dans l’un ou l’autre de ces cas.

Comme pour les ruptures d’un commun accord existant avant la rupture conventionnelle (23), la Cour de cassation a décidé de comptabiliser les ruptures conventionnelles pour le déclenchement des seuils relatifs aux obligations de consulter les IRP et d’élaborer un PSE, lorsque ces ruptures « s’inscrivent dans un processus de réduction d’effectifs, dont elles constituent la ou l’une des modalités » (24).

Néanmoins, cette jurisprudence se limite à la comptabilisation des ruptures pour le déclenchement des seuils et les ruptures conventionnelles ne sont pas invalidées du seul fait qu’elles interviennent dans ce contexte. Encore faut-il que le salarié demande l’annulation de cette rupture et qu’il y ait un vice du consentement (qui peut être constitué par le manque d’informations sur les droits que le salarié tiendrait du PSE par exemple). Par ailleurs, seules les ruptures conventionnelles effectivement homologuées par l’administration sont comptabilisées (25).

Des décisions qui, au final, vont bien dans le sens de la volonté des partenaires sociaux de ménager un espace à la rupture conventionnelle y compris dans ces contextes, tout en limitant les fraudes à l’application des règles du licenciement économique.

 


(1) Art. L. 1237-11 du Code du travail.
(2) Art. 1134 du Code civil.
(3)
 Cass. Soc.15.10.14, n°11-22251.
(4)
 Cass. Soc. 05.11.14, n°13-16372.
(5)
 Cour d’appel de Versailles, 16.12.14, n°14.00880.
(6) Cass. Soc. 06.02.13, n°11-27000.
(7) Cass. Soc. 26.03.14, n° 12-21136; Cass. Soc. 25.03.15, n° 13-23368.
(8) 
Art. L.1237-14 du Code du travail.
(9)
 Cass. Soc. 03.03.15, n°13-20549 , n°13-15.551 et n°13-23348.
(10)
 Cass. Soc. 23.05.13, n° 12-13865.
(11)
 Cass. Soc. 03.03.15, n°13-15551 et 13-23348.
(12)
 Cass. Soc. 30.01.13, n° 11-22332.
(13) Circ. DGT n°2009-04 du 17 mars 2009, art.1.2.
(14) 
Ils bénéficient en effet d’un régime protecteur contre le licenciement (art. L1226-4 et s. c. trac.)
(15)
Cass. Soc. 28.05.14, n° 12-28082.
(16) 
Cass. Soc. 12.02.12, n° 99-41698 ; Conseil de prud’hommes, 25.05.2010, n° 09-00068.
(17) 
Cass. Soc., 30.09.14, n° 13-16.297.
(18) 
Art. L. 1225-4 et 5 du Code du travail.
(19) 
Cass. Soc. 25.03.15, n°14-10149.
(20)
 Article 12 de l’ANI MMT du 11.01.08.
(21) 
Circulaires du 22.07.08 et du 17.03.09.
(22) 
L. 1237-16 du Code du travail.
(23)
 Cass. Soc. 10.04.1991, CGPME.
(24)
 Cass. Soc. 09.03.11, n°10-11581.
(25) 
Cass. Soc. 29.10.13, n°12-15382 et 12-27393.