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Requalification en CDI : l'indemnisation du préjudice lié à la retraite

Publié le 11/05/2016

La Cour de cassation a rappelé que lorsqu’un salarié obtient la requalification de son contrat de travail à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI), les effets de cette requalification remontent à la date de la conclusion du premier CDD irrégulier. Dès lors, le salarié est en droit de demander des dommages-intérêts complémentaires en réparation de son préjudice lié à ses droits à la retraite. Cass. soc. 23.03.2016, n° 14-22250.

  • Contrats successifs et demande de requalification

Dans cette affaire, une salariée avait été embauchée par La Poste dans le cadre d’une première série de contrats à durée déterminée de juin 1992 à mars 1993. Après une interruption de 7 ans, à compter de mars 2000, elle a de nouveau été engagée par La Poste en CDD à temps partiel. La salariée enchaînera plus de 80 CDD successifs !

En décembre 2002, les parties ont signé un CDI à temps partiel suivi d'un CDI à temps complet au mois de mars 2006.

La salariée a ensuite saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de ses CDD successifs en CDI et de diverses demandes en paiement. Le syndicat Sud La Poste Marne est intervenu volontairement à l’instance pour demander des dommages et intérêts en raison de la violation des dispositions légales sur les CDD.

Le contrat à durée indéterminée doit être utilisé chaque fois que l'emploi proposé peut être stable. Le contrat à durée déterminée est un contrat d'exception. Les situations permettant d'avoir recours au CDD sont définies de manière exhaustive par le Code du travail : il s’agit notamment du remplacement d'un salarié absent temporairement, à temps partiel ou dont le contrat de travail est suspendu, d’un accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise, d’un emploi saisonnier dans certains secteurs définis… (1) Quel que soit son motif, le CDD ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise (2). En cas de manquement, le contrat peut être requalifié en CDI. Le salarié doit alors percevoir une indemnité de requalification ne pouvant être inférieure à 1 mois de salaire (3).

  • Le refus de la cour d'appel d'indemniser le préjudice lié à la retraite 

Sollicitant la requalification de ses contrats à compter de la date initiale du 1er juin 1992, la salariée réclamait des dommages et intérêts en réparation du préjudice au regard de ses droits à la retraite.

Le conseil de prud’hommes, puis la cour d’appel, ont requalifié la quasi-totalité des CDD de la salariée en CDI mais l’ont déboutée de sa demande de dommages-intérêts complémentaires. La cour d’appel a affirmé qu’ « ayant été embauchée à compter du 1er décembre 2002 en contrat à durée déterminée soit 2 ans après le contrat à durée déterminée conclu en 2000, [elle] ne justifiait pas d’un préjudice moral ou financier ou d’une perte de chance, notamment au regard de ses droits à la retraite » (4).

En fait, la cour d’appel estimait que la salariée ne démontrait pas de préjudice distinct de celui qui est réparé par l'indemnité de requalification : celui d’avoir été privée des avantages liés à un contrat de travail à durée indéterminée. Ainsi, selon la cour d’appel, la salariée ne pouvait pas prétendre à des dommages et intérêts complémentaires.

Cette analyse a été censurée par la Cour de cassation.

  • Le droit à une indemnisation complémentaire au regard du préjudice lié à la retraite 

La chambre sociale commence par rappeler que « les effets de la requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée remontent à la date de la conclusion du premier contrat à durée déterminée irrégulier ». Elle en conclut que la cour d’appel, en rendant cette décision, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations.

En effet, le fait que la salariée ait été engagée de manière irrégulière en CDD pendant une période de deux ans préalablement à son embauche en CDI peut évidemment lui avoir causé un préjudice quant à ses droits à la retraite. Aussi, les juges du fond auraient dû évaluer ce préjudice et, le cas échéant, accorder à la salariée des dommages-intérêts distincts de l’indemnité de requalification.

Ainsi, un salarié dont le CDD est requalifié en CDI peut bien prétendre à des dommages et intérêts complémentaires visant à réparer un préjudice relatif à la perte de droits retraite. La chambre sociale a voulu donner toute sa force à cette solution en publiant sa décision au bulletin des arrêts de la Cour de cassation.

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Par ailleurs, dans cette affaire, il était également question de l’intérêt à agir du syndicat. C’est ainsi que la Haute juridiction a pu préciser que la violation des dispositions légales relatives au CDD est de nature à porter préjudice à l’intérêt collectif de la profession. Dès lors, un syndicat peut agir en demande de dommages-intérêts sur ce fondement.



(1) Art. L. 1242-2 C. trav.

(2) Art. L. 1242-1 C. trav.

(3) Art. L. 1245-1 et L. 1245-2 C. trav.

(4) Cour d’appel de Reims, arrêt du 04.06.2014, RG n°13/01098.