Retour

Représentativité : la CGC ne peut signer seule un accord intercatégoriel

Publié le 09/07/2014

Un syndicat représentant les cadres ne peut négocier et signer seul un accord d’entreprise intercatégoriel. Et ce, quand bien même sa représentativité, tous collèges confondus, dépasserait les 30%. C’est la solution retentissante et attendue retenue par la Cour de cassation. Cass. Soc. 02.07.14, n°13-14.622 et 13-14.662.

  • Rappel des faits

En 2009, la société X, composée en grande majorité de cadres et d’agents de maîtrise, a organisé, des élections professionnelles : le syndicat catégoriel (CGC) a recueilli 35% des suffrages exprimés tous collèges confondus, un autre syndicat intercatégoriel a obtenu 44%.

En 2010, la CGC a signé  seule un accord d’entreprise relatif à l’emploi des seniors destiné à s’appliquer  à l’ensemble du personnel (cadre et non-cadre).

Considérant que ce syndicat catégoriel, unique signataire de l’accord, n’avait pas, de par ses statuts,  la capacité juridique de signer seul un accord intéressant l’ensemble des salariés de l’entreprise, l’autre syndicat représentatif a demandé la nullité de l’accord.

  • Quelle est la capacité de signer d’un syndicat catégoriel ?

La  Cour de cassation avait déjà  admis la possibilité pour un syndicat catégoriel de négocier et signer des accords d’entreprise intéressant l’ensemble des salariés à condition qu’un syndicat représentant tous les salariés le signe également (1). Son poids dans la signature (pour évaluer la majorité de validation de 30%) devait toutefois être rapporté à l’ensemble des collèges, et pas uniquement à celui dans lequel il avait vocation à présenter des candidat. Ce qui, en définitive, baissait considérablement la part de pourcentage qu'il apportait avec lui et ainsi son poids politique.

La Cour de cassation, ne s’était toutefois pas encore prononcée sur la faculté pour un syndicat catégoriel de signer seul un accord applicable à l’ensemble du personnel. C’est désormais chose faite.

  • Le principe de spécialité : le caractère déterminant des statuts 

La Haute Cour tranche définitivement le débat en considérant qu’un syndicat catégoriel qui n’a pas la capacité, par ses statuts de représenter les intérêts des ouvriers et des employés, « ne peut   négocier et signer seul un accord d’entreprise intéressant l’ensemble du personnel », quand bien même son audience électorale serait supérieure à 30% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation met l’accent sur le caractère déterminant des dispositions statutaires d’un syndicat. En effet, selon la loi (2), « les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts ».

Le principe de spécialité statutaire limite la capacité juridique d’un syndicat et lui interdit d’accomplir un acte qui n’entre pas dans ses statuts. En l’espèce, l’objet du syndicat affilié à  la CGC ne couvrant pas les ouvriers et les employés, ne lui permettait pas « de négocier et signer seul un accord d’entreprise intéressant  l’ensemble du personnel » quand bien même son audience électorale, rapportée à l’ensemble des collèges électoraux était établie.

Il est fréquent, dans les entreprises où sont employés un nombre important d’agents de maîtrise et de cadres, que le syndicat représentant les cadres et qui n’aurait présenté de candidats que dans les collèges cadres et agents de maîtrise, se prévale d’un score électoral d’au moins 30% des suffrages, même en ramenant les suffrages à tous les collèges.

Pour autant, cette audience ne lui permet pas de se considérer représentatif de tous les salariés de l’entreprise : le syndicat catégoriel, même généralement représentatif reste limité par ses statuts.

  • Le principe d’égalité mis en cause ?

Dans cette affaire, la CGC avançait que cette interdiction de conclure un accord d’entreprise, alors qu’il justifiait de plus de 30% des suffrages exprimés tous collèges confondus, constituait une atteinte à la liberté syndicale et une discrimination entre organisations. Elle y voyait une violation du principe d’égalité entre syndicats.

La Cour de cassation a toutefois refusé d’y voir une atteinte au principe d’égalité.

En effet, l’égalité ne se conçoit qu’entre parties placées dans une même situation or les syndicats catégoriels  et intercatégoriels sont loin d’être dans une situation comparable, et ce pour deux raisons :

-          Par la limitation statutaire des syndicats catégoriels : la différence des statuts les place dans une situation distincte.

-          Par le privilège de représentativité dont bénéficient les syndicats catégoriels : On sait que la représentativité d’un syndicat affilié à une organisation catégorielle s’apprécie en principe uniquement dans le collège où il a vocation à présenter des candidats et non tous collèges confondus (3).

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs validé cette différence de traitement (4).

Les syndicats catégoriels ne peuvent donc pas d’un côté se prévaloir de leur spécificité pour faire apprécier plus aisément leur représentativité et de l’autre,  étendre le champ d’intervention prévu par leurs statuts dans le but de signer seuls un accord intercatégoriel.

Ils ne pourront signer un accord intercatégoriel qu’en présence d’autres syndicats intercatégoriels. En revanche, rien ne les empêche de signer, seuls ou pas, un accord catégoriel.

  •  Une solution cohérente avec l'esprit de la représentativité syndicale

Cette solution, qui s’inscrit dans la continuité jurisprudentielle récente, est en harmonie avec l’esprit de la position commune et de la loi du 20 août 2008.

En effet, si les signataires de la position commune (CGT et CFDT) ont posé des règles spécifiques de mesure de la représentativité des organisations catégorielles, ils n’ont pas voulu leur accorder plus de pouvoir en matière de négociation collective au risque d’entraîner une rupture d’égalité vis-à-vis des syndicats généralistes.



(1) Cass.soc., 31 mai 2011, n°10-14.391

(2) Art. L. 2131-1 du Code du travail

(3) Art. L.2122-2 du Code du travail

(4) Cons.Constit., 7 octobre 2010, n°2010-42 : « en prévoyant que, pour les organisations syndicales catégorielles, le seuil de 10% est calculé dans les seuls collèges dans lesquels elles ont vocation à présenter des candidats, le législateur a institué une différence de traitement en lien direct avec l’objet de la loi ».