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Prud’hommes : Le conseil supérieur de la prud’homie se penche sur le projet de loi Macron

Publié le 27/11/2014

 Un Conseil supérieur de la prud’homie s’est tenu le 26 novembre dernier au ministère du Travail. Un seul sujet au menu : Le volet « justice prud’homale » du projet de loi Macron sur la croissance et l’activité. L’occasion, hélas, de constater que le Gouvernement ne choisit pas la bonne méthode pour faire aboutir la nécessaire réforme des prud’hommes.

La Chancellerie a ouvert la séance en rappelant son attachement à la justice prud’homale et sa volonté d’améliorer son fonctionnement. Elle a rappelé que son projet s’inscrivait dans cet objectif.

  • Rappel des principales dispositions de la Loi Macron

- La conciliation

Le projet de loi renforcerait la conciliation. Pour étayer cette assertion, la Chancellerie a fait état de dispositions figurant au projet de loi et permettant au bureau de conciliation (qui deviendrait pour l’occasion un bureau de conciliation et d’orientation) de renvoyer certains dossiers directement vers le juge départiteur et/ou vers un bureau de jugement en formation restreinte (c'est-à-dire composé de seulement un juge employeur et un juge salarié). Seul problème : de telles dispositions n’ont rien à voir avec la conciliation et, plus embêtant encore, sont de nature à dénaturer fondamentalement la réforme annoncée. Qui plus est, le développement des possibilités de médiation et de rapprochement extérieur au conseil des parties ont été présentés comme des pistes d’améliorations de la conciliation prud’homale (!)

- Le juge départiteur et son rôle

Le projet de loi entend aller vers davantage de spécialisations des juges départiteurs et un accroissement des échanges avec les conseillers prud’hommes. C’est ainsi que le départiteur pourrait, à l’avenir, s’inviter aux assemblées générales des conseils de prud’hommes et gérer l’ensemble des dossiers d’un conseil de prud’hommes dès lors que celui-ci connaîtrait « une interruption durable de son fonctionnement ou de difficultés graves rendant ce fonctionnement impossible ».

- La formation, la déontologie et la discipline

Une formation initiale serait mise en place, la formation continue serait maintenue et le suivi de l’une comme de l’autre serait obligatoire.

Des règles déontologiques opposables aux conseillers prud’hommes sont rappelées dans la loi, elles devront être consignées au sein d’un guide.

Les règles de discipline sont redéfinies par le projet de texte, afin de renforcer le rôle du premier président de la cour d’appel, d’externaliser la procédure disciplinaire (afin de la rendre plus efficiente) et de préciser les sanctions applicables.

La Direction générale du travail (DGT) est ensuite intervenue pour présenter le statut du défenseur dont le projet de loi consacre (enfin) l’existence et sous tous ses aspects : maintien de salaire, droit à la formation.

  • Position de la CFDT

La délégation CFDT (1) a, en préambule, regretté que le Gouvernement confonde vitesse et précipitation puisque, sur des sujets aussi sensibles, le tempo paraît délirant. Depuis qu’Emmanuel Macron a fait part, le 15 octobre dernier, de son intention de reprendre à son compte la réforme des prud’hommes, le calendrier s’est, en effet, emballé puisqu’il nous a alors été annoncé que le projet de loi devrait être définitivement ficelé pour le 10 décembre !

Résultat:  le CSP a été consulté alors que le texte a déjà été transmis au Conseil d’État et que la partie réglementaire de la réforme n’a pas même été rédigée.

Comble de l’incohérence, le syndicat Interco Justice a, quant à lui, été consulté sur une version différente du texte?

La CFDT a déploré cette situation, d’autant plus que, jusqu’alors, le projet de réforme de la prud’homie se dessinait dans le cadre d’une réelle réflexion de fond.

- La nécessaire réforme de la justice prud’homale

Une réforme des prud'hommes est plus que jamais nécessaire. Le paritarisme connaît des dysfonctionnements depuis des années et, à ce jour, personne n'a eu le courage politique de tenter de résoudre ce problème. Il aura fallu attendre que l'Etat soit condamné 71 fois pour déni de justice pour qu'enfin un projet de loi voit le jour.

La CFDT a donc réaffirmé que les prud'hommes devaient être réformés, afin de rendre le fonctionnement paritaire plus efficace. Ce, dans l’intérêt bien compris du justiciable.

Pour la CFDT, les choses sont donc claires: il n'y a rien de choquant à vouloir davantage responsabiliser et professionnaliser les juges prud’hommes. A la condition, toutefois, que l'expérience des conseillers soit davantage valorisée et que d'autres curseurs puissent bouger. La procédure prud'homale qui doit être améliorée, notamment en phase de conciliation, afin de permettre au justiciable de voir son affaire traitée avec rapidité et efficacité. Le défenseur syndical doit se voir doté d'un vrai statut protecteur et de moyens d'exercer son mandat, la question des moyens alloués au fonctionnement des conseils doit être posée. 

La CFDT a donc pris le parti d’appuyer certaines évolutions figurant au projet de loi qui vont dans le bon sens: 

-          La création d’un statut de défenseur syndical, ce qui représente une grande victoire syndicale pour la CFDT qui porte cette revendication, avec constance, depuis plusieurs décennies ;

-          L’instauration d’une formation initiale obligatoire ;

-          Le maintien d’une formation continue avec obligation de la suivre.

-          Le rappel, dans la loi, des règles déontologiques applicables aux conseillers prud’hommes ;

-          La constitution, par le conseil supérieur de la prud’homie, d’un recueil de ces règles déontologiques ;

-          La mise sur pied d’une procédure disciplinaire extérieure au conseil (via une commission nationale de discipline) et une redéfinition des sanctions ;

-          Le possible regroupement de certaines affaires pendantes devant plusieurs conseils de prud’hommes, afin d’éviter le prononcé de jugements contradictoires difficilement compréhensibles et lisibles pour le justiciable (sous réserve d’une réflexion sur sa mise en œuvre) ;

-          L’instauration, en appel, d’une procédure écrite et d’une représentation obligatoire (par avocat ou par défenseur syndical).

Deux sujets particulièrement problématiques ont été pointés en séance : le circuit court et le renvoi direct à la formation de départage. Des propositions contreproductives pour la CFDT, qui a mis en garde le Gouvernement sur le fait que, par ce biais, il risquait de compromettre l’économie générale de la réforme, et de la faire échouer. En effet, ce n’est pas au moment où l’on cherche à professionnaliser et à responsabiliser les juges prud’hommes qu'il faut les déshabiller de leurs prérogatives et réintroduire, en catimini, l’échevinage.

Or, c’est pourtant bien ce que fait le projet de loi:

-          En permettant le renvoi direct du dossier devant le juge départiteur sur simple demande des parties ou sur décision d’un seul membre du bureau de conciliation et d’orientation ;

-          En permettant, dans les dossiers de licenciement et résiliation judiciaire, le renvoi du dossier vers un « circuit court », avec un passage devant un bureau de jugement en formation restreinte et une (prétendue) garantie d’obtenir un jugement sous trois mois.

Pour conclure, La CFDT déploré l’absence, dans le projet de loi, de dispositions relatives à la conciliation, alors même que le rapport Lacabarats en faisait, en la matière, nombre de propositions.

  • Position des autres organisations

L'ensemble des autres organisations siégeant au CSP (salariés comme employeurs) a rejeté, en bloc, le projet de réforme, à la seule exception de la CFTC (qui était absente).

- La CGT a dénoncé une stigmatisation des juges prud’hommes (et même une malveillance à leur endroit), ainsi qu’une manipulation des statistiques. Elle s’est offusquée du rappel de l’obligation déontologique d’impartialité du conseiller prud’hommes et a appelé à un maintien des règles disciplinaires existantes. Elle a pointé du doigt l’avènement de l’échevinage et la place conférée au juge départiteur, ainsi que l’introduction du circuit court. Elle a enfin demandé que le statut de défenseur syndical soit amélioré.

- La CFE-CGC a dénoncé le fait que la réforme des prud’hommes ait trouvé sa place au sein d’un texte relatif à la croissance et à l’activité. Elle a regretté la volonté gouvernementale de « faire régner le tout économique ». Elle a fustigé l’avènement de l’échevinage, le risque de recours plus grand au juge départiteur et une tentative de mise au pas des conseillers prud’hommes. In fine, elle a demandé le retrait du texte.

- FO a également manifesté sa surprise de voir la réforme des prud’hommes passer par la loi Macron. Elle a regretté que la réforme se construise sur le rapport Lacabarats, jugé à charge contre les conseillers prud’hommes. FO a également dénoncé l’événement d’une formation restreinte du bureau de jugement et « la suspicion jetée sur tous les conseillers prud’hommes » via la révision de la procédure disciplinaire. Elle a enfin déploré que la question des moyens ne soit pas abordée !

- Le Medef a regretté la dommageable précipitation du Gouvernement et le fait que nous allions tout droit vers l’échevinage. Pour le Medef, l’éviction du paritarisme est programmée. Il a regretté la place conférée au juge départiteur par la réforme. Il a salué l’avènement d’une formation obligatoire mais a déclaré attendre d’en connaître les modalités. Il a dénoncé la complexification à venir des procédures.

- La CGPME a rappelé que la longueur des délais de procédure n’incombait pas seulement aux conseillers prud’hommes mais aussi aux juges professionnels. Elle a approuvé le fait que la formation devienne obligatoire, mais a demandé qu’elle reste dans le giron des organisations. Elle a dénoncé, au sujet du renvoi direct vers une formation de départage, « une volonté perfide de mettre en place l’échevinage ».

- L’UPA a appelé au pragmatisme et a demandé qu’on ait un œil sur les évolutions réglementaires à venir.

In fine, les organisations patronales ont appelé au retrait du texte.

La Chancellerie a répondu que les évolutions réglementaires porteraient sur la mise en état et sur la conciliation. Le Directeur général du travail a répondu que, s’agissant des formations, celles sur le fond du droit resteront de la prérogative des organisations syndicales et professionnelles.

Les conseillers prud'hommes CFDT sont invités à plancher, deux jours durant, sur l'évolution pour la justice prud'homale. A l'occasion de deux grands rassemblement organisés par la Confédération : « Prud’hommes les défis de demain » (les 27 et 28 novembre et les 18 et 19 décembre). Des ateliers et des tables rondes autour du rapport Lacabarats et de l'actualité législative, pour établir un état des lieux partagé des difficultés rencontrées par les militants dans l'exercice de leur mandat et chercher, ensemble, des solutions de fond.



(1) Délégation composée de Laurent Loyer, secrétaire confédéral, Anne Dufour et Jocelyn Tesson, conseillers prud’hommes.