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Licenciement : quand une simple sieste devient une faute grave

Publié le 11/05/2016

Une sieste sur son lieu de travail peut-elle constituer une faute grave ? Oui, dans certaines circonstances, considère la cour d’appel qui, dans un arrêt récent, en donne une belle illustration. Un pompier affecté à la sécurité d’un aéroport qui interrompt volontairement sa mission pour faire une sieste commet une faute grave.  CA Bordeaux, 17.02.16, n° 13/05556.

  • Les faits

Salarié de longue date d’une entreprise de sécurité, un pompier professionnel est chargé d’une mission de sécurité au sein d’un aéroport. Sa tâche consiste à rester en contact permanent avec les contrôleurs aériens en vue d’éloigner tous types d' animaux susceptibles de percuter un avion. A ce titre, Il est donc tenu d’être vigilant dans son véhicule de fonction, prêt à intervenir à tout moment.

Mais voilà qu’un jour, la tour de contrôle ne parvient pas à le joindre pour lui signaler la présence d’un faucon, dont la course se termine malheureusement à l'instant où il rencontre un avion en plein décollage. Le salarié est retrouvé endormi dans son véhicule...
Fort heureusement sans conséquence, l’employeur considère néanmoins ce manquement du salarié comme une faute extrêmement sérieuse. Il le licencie pour faute grave.
Le salarié reconnaît les faits mais conteste son licenciement devant le conseil de prud’hommes : il affirme que son état de fatigue était en grande partie dû aux durées de travail excessives auxquelles le soumettait son employeur. Le conseil de prud’hommes n’est toutefois pas du même avis et déboute le salarié, qui fait appel de ce jugement.

La sieste justifiait-elle un licenciement pour faute grave ?

Oui, selon la cour d’appel qui considère que  « cet agissement, eu égard aux fonctions du salarié, pompier affecté à la sécurité d’un aéroport, est constitutif d’un manquement d’une importance telle qu’elle a empêché la  poursuite de la relation salariale, même pendant la durée du préavis ».

  • Qu’est ce qu’une faute grave ?

 

Dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail, un salarié peut être amené à commettre des fautes que l’employeur peut sanctionner. Pour autant, la sanction disciplinaire doit être proportionnée à la faute commise par le salarié et ce, au regard de divers paramètres tels que le niveau de responsabilité du salarié, ses antécédents, les conséquences de son acte, etc. Il existe en effet différents degrés de gravité d’un acte : de la faute légère ou simple à la faute grave ou lourde, les conséquences ne seront pas les mêmes. Ainsi, en principe, seule une faute grave ou lourde est susceptible d’entraîner un licenciement sans préavis ni indemnités afférentes. Attention toutefois, car des fautes mêmes simples peuvent constituer des fautes graves en raison de leur réitération ou de leur accumulation. En cas de contestation, il appartiendra aux juges d’apprécier, en fonction des faits, la gravité de la faute invoquée par l’employeur.

 

Aux termes d’une jurisprudence constante, la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise et peut justifier une mise à pied conservatoire (1). Il appartient à l’employeur de démontrer en quoi les actes ou manquements commis par le salarié revêtent une telle gravité.

 

  • Une sieste sur le lieu de travail, une faute grave ?

 En l’espèce, le pompier a été retrouvé faisant une sieste, confortablement installé dans son véhicule.  Sieste si profonde qu’elle l’a empêché d’entendre l’appel de la tour de contrôle tentant de lui signaler la présence d’un danger, qui n’a ainsi pas pu être évité…

Pour l’employeur, le salarié a commis une faute grave justifiant un licenciement sans préavis et sans indemnité de licenciement. Bien qu’aucune répercussion n’ait été occasionnée, il considère en effet que ce manquement d’une extrême gravité, dont l’aboutissement aurait pu être terriblement dramatique (avion endommagé, atterrissage en catastrophe, passagers morts ou blessés...), cause nécessairement un préjudice irréparable à la réputation de la société de sécurité, qui risque ainsi de perdre des marchés.

Bien obligé de reconnaître les faits, le salarié conteste toutefois le caractère réel et sérieux de son licenciement. Il prétend s’être involontairement endormi allant même jusqu’à dire que cet état de fatigue passagère était dû à un temps de travail dépassant l’entendement (durée dont il ne fournit d’ailleurs aucune preuve).  Enfin, il minimise les conséquences de son acte : après tout, il n’y a eu aucune conséquence sur la sécurité du site !

Il semble pourtant bien difficile d’alléguer un endormissement inopiné lorsque l’on est retrouvé en position presque horizontale, écouteurs du téléphone portable dans les oreilles, des journaux étalés de toutes parts dans le véhicule. Pris en flagrant délit de profond sommeil, le salarié n’a par ailleurs pas réagi à l’ouverture de la portière de la voiture, pas plus qu’à l’appel vocal de son chef de site, qui a finalement dû enlever un écouteur de son oreille pour le réveiller.

Après avoir apprécié l’ensemble de ces faits, la cour d’appel, tout comme avant le conseil de prud’hommes, constate que le salarié a clairement « organisé » son véhicule pour y faire la sieste et qu’il ne s’est pas assoupi involontairement du fait d’une fatigue passagère comme il le prétend : « Cette interruption volontaire de sa mission, à des fins strictement privées, est intervenue en dehors de toute information à l’organisation de circulation aérienne ». 

Les juges considèrent qu’au regard des fonctions du salarié, pompier affecté à la sécurité d’un aéroport, un tel agissement est bien constitutif d’une faute grave.

Ce n’est pas la première fois que les juges ont à se prononcer sur la qualification à retenir pour une sieste sur le lieu de travail, mais la faute grave reste rarement retenue (2). Il a en revanche été jugé qu’une sieste pouvait priver le salarié du paiement de ses heures supplémentaires (3).
Ce qui a certainement motivé les juges en l’espèce ce n’est pas tant tout le mal qu’a pu se donner le salarié pour organiser son repos que les fonctions qu’il exerce en qualité de pompier affecté à la sécurité d’un aéroport.



(1) Cass.soc.10.11.10, n° 0942077.

(2) Faute grave non retenue pour un salarié endormi dans la salle d’attente d’un client (CA Paris, 12.10.11, n° 10/00413), faute grave retenue pour un salarié du bâtiment surpris à faire la sieste dans un véhicule à 14 h après un barbecue (CA Riom, 13.09.11, n°10/02828).

(3) CA Nîmes, 05.04.11, n° 10/001118.

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