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Le mandat de délégué syndical survit à une annulation d’élection professionnelle

Publié le 25/05/2016

Depuis 2008, c’est de l’audience qu’elles ont obtenue aux dernières élections professionnelles que les organisations syndicales tiennent leur légitimité. C’est ainsi qu’elles doivent y avoir recueilli au moins 10 % des suffrages pour être considérées comme représentatives et pour pouvoir désigner un délégué syndical. Mais qu’advient-il de cette désignation lorsque, postérieurement à la désignation, ces élections se trouvent annulées ? C’est à cette question que la Cour de cassation vient tout juste de répondre. Cass. soc. 11.05.16 n°15-60.171 et 15-60.172.

  • Les faits

Après que, courant mars 2014, les élections au comité d’entreprise se sont déroulées au sein de l’UES Club med gym, un salarié y a été désigné délégué syndical par l’une des organisations syndicales qui y avait recueilli plus de 10% des voix. Jusque-là, rien que de très banal ! Oui, mais voilà, quelques mois plus tard, le 19 décembre 2014 très précisément, à l’issue d’un débat judiciaire, le tribunal d’instance de Boulogne-Billancourt, qui avait été saisi par les sociétés composant l’UES aux fins d’annulation de ces élections, a décidé de leur donner gain de cause.

  • Annulation (des élections) et conséquences

Il s’ensuit qu’à compter de cette date, et dans l’attente de l’organisation d’un nouveau scrutin, il n’y avait plus, au sein de l’UES Club med gym, de comité d’entreprise régulièrement constitué. Dans le même temps s'est posée la question de savoir si, par un simple effet domino, il n’y avait plus de délégués syndicaux au sein de cette même UES. Il était en effet tout à fait possible de plaider que, les élections au comité d’entreprise n’étant plus acquises, la légitimité de l’organisation qui avait procédé à la désignation ne l’était plus non plus - l’audience syndicale de 10 % minimum, condition sine qua non pour l’obtention du label de représentativité n’ayant alors plus de fondement palpable. Ce d’autant plus que, traditionnellement, la nullité « a pour caractéristique d’entraîner l’anéantissement rétroactif de l’acte juridique qu’elle frappe ».

Et c’est effectivement une argumentation de ce type qui a été développée devant le juge d’instance par la partie employeur. De prime abord, nous aurions pu penser qu’elle avait peu de chance de prospérer, en ce qu'elle prenait à contre-pied un principe fondamental qui a longtemps été posé en jurisprudence. A savoir, par dérogation au régime classique de la nullité, celui de la non-rétroactivité des jugements portant annulation des élections professionnelles.

C’est ainsi qu’à l’aune de ce principe, il a déjà pu être jugé que le salarié titulaire d’un mandat qui tombe en raison de l’annulation judiciaire des élections ne voit pas, pour la période courant entre son élection et le jugement en portant annulation, son statut protecteur remis en cause[1] ou les heures de délégation prises annihilées[2]. De même, tous les actes qu’il a pu poser au cours de cette même période de temps[3]. S’agissant du délégué syndical, il nous semble donc que la signature qu’il aurait apposée au bas d’un accord d’entreprise devrait également être considérée comme demeurant valable.

Aussi, si l’on avait dû appliquer ce principe de non-rétroactivité à la question de la désignation du délégué syndical, n’aurait-on pas dû admettre qu’au jour où celle-ci a été effectuée, l’élection n’avait pas encore été annulée … et qu’elle devait en conséquence être considérée comme valable ?

  • Le délégué syndical, victime collatérale de l’annulation des élections

Telle n'a pourtant pas été l’option retenue par le tribunal d’instance. Au fond, on arrive à comprendre pourquoi, puisqu’à l’en croire, adopter un tel raisonnement aurait ni plus ni moins risqué de pérenniser, « pendant toute la durée du cycle électoral », des mandats de délégués syndicaux issus de syndicats dont la représentativité aurait été remise en cause quelques semaines ou au quelques mois après le débtu de ce même cycle.

Il n’en reste pas moins que la solution ainsi retenue était porteuse d’un autre effet pervers tout aussi redoutable puisqu’elle conduisait, en attendant que de nouvelles élections soient organisées, à faire subir aux salariés concernés une forme de "double peine". A la disparition de l’institution représentative du personnel on ajoutait ainsi celle de la représentation syndicale. Pour une période de temps certes limitée, mais pas insignifiante non plus !

Un délai d’environ 2 mois est en effet nécessaire pour qu’un nouveau processus électoral aboutisse à l’organisation d’un nouveau scrutin.

  • Le recadrage de la Cour de cassation …

Pourtant entre, d’un côté, le fait de ne pas avaliser des mandats de délégué syndical pour tout un cycle électoral (alors même que les résultats des élections ont été annulées) et de l’autre, le fait de les annuler (tant que les résultats des nouvelles élections ne sont pas encore connus), une troisième voie a été dégagée. Aussi la cour de cassation s’est-elle évertuée à la trouver, même si un manque de précision dans la motivation de l’arrêt a permis à certains d’en douter...

L’idée est donc d’envisager un maintien du mandat de délégué syndical même lorsque les élections de référence sont annulées. Non pas jusqu’au terme du cycle électoral, puisque cela aurait pour conséquence de légitimer des délégués syndicaux désignés par des organisations syndicales dont la représentativité ne serait plus acquise, mais uniquement jusqu’à ce que ce que les élections destinées à pallier celles qui ont été judiciairement annulées soient effectivement organisées.

Ainsi la continuité de la représentation syndicale se trouve assurée, ce même si en réalité le dialogue social peut parfois se trouver altéré du fait de l’incertitude pesant sur le paysage syndical dans l’entreprise.

C’est ce qui a conduit la Cour de cassation à censurer le jugement rendu par le tribunal d’instance en précisant que « l’annulation des élections des membres du comité d’entreprise n’a pas d’effet rétroactif, de sorte que l’annulation des élections est sans incidence sur la régularité des désignations en qualité de délégué syndical des salariés dont le mandat prend fin, en application de l’article L. 2143-11 du Code du travail (…), lors des nouvelles élections renouvelant l’institution représentative du personnel ».

  • … et son interprétation

La rédaction adoptée par la Cour de cassation, et sa référence à l’article L. 2143-11 du Code du travail, a pu cependant semer le trouble quant au sens qu’il convenait de donner au présent arrêt.

Cet article précise en effet que « le mandat de délégué syndical prend fin au plus tard lors du premier tour des élections de l’institution représentative du personnel renouvelant l’institution dont l’élection avait permis de reconnaître la représentativité de l’organisation syndicale l’ayant désigné ».

On a donc pu se poser la question de savoir si c’était les élections faisant suite à l’annulation dont il s’agissait ou bien si c’était celles qui surviendraient à la toute fin du cycle électoral.

Même, si littéralement parlant, les deux interprétations peuvent se tenir, on peut tout de même assez facilement imaginer que ce sont les premières dont il s’agit. Lorsque les élections professionnelles sont judiciairement annulées, il n’en reste rien. On peut donc assez facilement en déduire que « les nouvelles élections renouvelant l’IRP » seront bel et bien celles qui seront organisées dans la foulée-  et non celles qui le seront deux, trois ou quatre ans plus tard !

Important ! La Cour de cassation a, dans cette même décision, adopté le même raisonnement s’agissant du mandat de représentant syndical au comité d’entreprise.



[1] Cf. Cass. soc. 16.12.14, n° 13-15.081, s’agissant d’un salarié dont le mandat de délégué syndical avait été annulé.

 

[2] Cass. soc. 08.07.09, n° 08-60.596.

[3] Cass. soc. 12.12.08, n) 07-41.832.et CE, 21.12.94, n° 105313.