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Lanceurs d’alerte : en attendant la loi les juges protègent les salariés qui dénoncent

Publié le 06/07/2016

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a dessiné, pour la première fois de manière très précise, les contours de la protection due au salarié lanceur d’alerte. Est nul le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir dénoncé, de bonne foi, des faits constatés sur son lieu de travail et susceptibles de constituer une infraction pénale. Cass. soc. 30.06.16, n° 15-10.557.

  • Faits et procédure

Dans cette affaire, le salarié avait été engagé en qualité de directeur administratif et financier par une association qui gère un centre d’examen de santé faisant partie du dispositif de santé publique en Guadeloupe. Dans le cadre de sa mission, il constatait notamment que le directeur du centre avait tenté de se faire payer des salaires pour un travail qui n’avait pas été accompli. Ces agissements étant susceptibles de constituer une escroquerie, voire un détournement de fonds publics, le salarié décidait de les dénoncer au procureur de la République. Peu après, il était licencié pour faute lourde. L’association motivait principalement sa décision par la plainte du lanceur d’alerte.

C’est ainsi que le salarié a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de nullité de son licenciement.

Le Code du travail protège les lanceurs d’alerte depuis la loi du 6 décembre 2013. Aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir relaté ou témoigné de bonne foi, des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions(1). Toute mesure fondée sur une telle dénonciation serait nulle(2).

  • L’absence de faute de la part du lanceur d’alerte

La cour d’appel a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les juges, constatant la bonne foi du salarié, ont considéré qu’il n’avait commis aucune faute en révélant ces faits à la Justice. Ils ont toutefois refusé de prononcer la nullité du licenciement et de réintégration au motif que la nullité ne pouvait être prononcée en l’absence de texte la prévoyant. En effet, les dispositions du Code du travail protégeant les lanceurs d’alerte n’étaient pas applicables à l’époque du licenciement.

Suite à cette décision, l’association a décidé de se pourvoir en cassation.

  • Une violation de la liberté d’expression

La Cour de cassation commence par confirmer la position de la Cour d’appel sur l’absence de faute du salarié. Elle affirme que « le fait pour un salarié de porter à la connaissance du procureur de la République des faits concernant l’entreprise qui lui paraissent anormaux, qu’ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas en soi une faute ».

En revanche, elle censure les juges du fond sur la qualification du licenciement, au visa de l’article 10 § 1 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle affirme pour la première fois qu’ « en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est atteint de nullité ».

Pour être protégé, le lanceur d’alerte doit bien évidemment être de bonne foi et doit avoir constaté les faits litigieux dans l’exercice de ses fonctions. Par ailleurs, la chambre sociale fait une précision de taille : le salarié bénéficie d’une immunité non seulement lorsque les faits illicites sont portés à la connaissance du procureur de la République, mais également, de façon plus générale, dès lors qu’ils sont dénoncés à des tiers.

La haute juridiction, pour justifier la nullité du licenciement, se place sur le terrain de l’atteinte aux libertés fondamentales. En effet, selon la jurisprudence constante de Cour de cassation,  tout licenciement ou toute mesure de rétorsion portant atteinte à une liberté fondamentale du salarié est nulle(3). Par ailleurs, comme le fait remarquer la chambre sociale dans une note explicative accompagnant l’arrêt, sa décision s’intègre parfaitement dans l’approche retenue par la Cour européenne des Droits de l’Homme qui considère que les sanctions prises à l’encontre de salariés ayant divulgué des conduites illicites constatées sur leur lieu de travail constituent une violation à leur liberté d’expression(4).

  • En attendant la loi...

Avec cette décision, la Cour de cassation palie les carences du législateur dont les dispositions concernant la dénonciation de faits illicites par les salariés ont tardé à entrer en application. A ce propos, de nouvelles dispositions pour définir et renforcer la protection des lanceurs d’alerte sont à l’étude au Parlement dans le cadre du projet de loi "Sapin II" relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.


(1) Art. L. 1132-3-3 C. trav.
(2) Art. L. 1132-4 C. trav.
(3) Cass. soc. 06.02.13, n° 11-11.740.
(4) CEDH, 18.10.11, Sosinowska, n°10247/09 ; CEDH 12.02.08, Guja c/Moldavie, n°14277/04