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Elections professionnelles : l’analphabétisme justifie-t-il l’absence de signature ?

Publié le 22/06/2016

L’envoi massif, à l’occasion d’une élection professionnelle, lors du vote par correspondance, d’enveloppes non signées met en doute la sincérité du scrutin et ne saurait être justifié par l’analphabétisme des salariés. Cass. soc., 24.05.16, n°15-20.195.

  • Vote par correspondance

Bien que le vote par correspondance ne soit pas prévu par les dispositions du Code du travail, il n’est pas pour autant contraire aux principes généraux du droit électoral. Toutefois cette méthode de vote doit, pour être valable, être justifiée par des circonstances exceptionnelles dont la réalité doit être avérée (absences, déplacements, etc. (1)).

Il peut être prévu par le protocole d'accord préélectoral ou (c'est assez fréquent) par la convention collective, et même être imposé par le juge d'instance si les circonstances l'exigent (2).

Les modalités du vote par correspondance sont une source importante de contentieux des élections. Il convient d'y apporter une attention particulière. D’ailleurs, un arrêt récent de la chambre sociale de la Cour de cassation vient étudier une problématique particulière liée à l’analphabétisme des salariés.

  • Faits, problématiques, procédure

A la suite d’élections professionnelles organisées au sein d’une entreprise de nettoyage, près de 54 enveloppes de vote par correspondance sur 92 reçues pour le premier collège, et 4 des 5 enveloppes reçues pour le second collège n’ont pas été signées. Afin de faire valoir l’irrégularité du scrutin, le syndicat CNT solidarité ouvrière-syndicat du nettoyage a saisi le tribunal d’instance.

La juridiction de premier degré fait droit à la demande du syndicat en retenant que « compte tenu du nombre de bulletins de vote acheminés dans les enveloppes non signées par rapport au nombre de votes exprimés retenus, la violation de la formalité substantielle de signature de l’électeur est de nature à fausser le résultat de élections ».

S’estimant lésé, l’employeur forme un pourvoi devant la Cour de cassation.

En matière de contentieux électoral, la cour d’appel n’intervient pas. Il revient en effet au tribunal d'instance de statuer en premier et dernier ressort.

Il fait grief à l’arrêt d’instance de ne pas avoir étudié son argument  tenant au fait que la majeure partie des salariés de l’entreprise était analphabète et ne pouvait pas en conséquence apposer sa signature.

A l’occasion du vote par correspondance, l’analphabétisme des salariés est-il de nature à justifier l’absence de signature sur les enveloppes sans que cela mette en doute la sincérité du scrutin ? Telle est la question posée aux magistrats du Quai de l’Horloge.

  • La signature des enveloppes est une formalité substantielle

La chambre sociale de la Cour de cassation rejette l’argument de l’entreprise et retient  « qu’ayant fait ressortir que les conditions d’envoi d’un grand nombre d’enveloppes de vote par correspondance non signées n’étaient pas de nature à assurer la sincérité et le secret du vote, le tribunal a légalement justifié sa décision ».

Autrement dit, le fait que les salariés soient analphabètes ne justifie pas pour autant l’absence de signature.

  • Rappel sur les modalités de vote par correspondance

La Cour de cassation rappelle dans cet arrêt que la signature de l'enveloppe est une formalité substantielle dont l’absence ne saurait être justifiée, notamment, par l’analphabétisme des salariés.

L’arrêt de la chambre sociale s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence, puisqu’en matière de vote par correspondance, l'électeur doit nécessairement signer l'enveloppe extérieure qui contient l'enveloppe où se trouve le bulletin de vote, sous peine d'annulation des élections (même si le protocole préélectoral ne le prévoit pas (3)).

Il est à noter qu’en la matière, le vote par correspondance doit être organisé selon les modalités arrêtées par le protocole d'accord préélectoral ou, le cas échéant par la convention ou l'accord collectif, tant pour l'envoi du matériel nécessaire au vote et de l'ensemble des documents d'information remis aux électeurs votant sur place, que pour l'expédition des bulletins de vote.

En tout état de cause, chaque salarié électeur concerné par le vote par correspondance doit recevoir les différents bulletins de vote concernant son collège ainsi que les enveloppes permettant d’y mettre le bulletin que le salarié aura choisi (portant la mention titulaire et celles portant la mention suppléant, sans aucun autre signe distinctif). Ces enveloppes de vote doivent être cachetées, puis mises dans une enveloppe de réexpédition, affranchie ou à affranchir, acheminée par la voie postale. Sur cette enveloppe de réexpédition figurent les mentions permettant d'identifier le votant.

Tout comme pour l'absence de signature, une irrégularité dans l'envoi du matériel de vote par correspondance peut entraîner, dès lors que cela a une incidence sur les élections, l'annulation du scrutin. Il en est ainsi lorsqu'il y a eu égalité des voix entre les candidats (4).

 

 



(1) Cass. soc., 7.03.1993, n° 92-60.120.

(2) Cass. soc., 14.02.84, n° 83-60.964, Bull. civ. V, n° 66.

(3) Cass. soc., 19.12.07, n° 07-60.021.

(4) Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-60210.