Retour

Désignation d’un délégué syndical : le périmètre est spécifique et d’ordre public

Publié le 15/06/2016

La désignation d’un délégué syndical dans un établissement distinct, tel que défini par l’article L.2143-3 du Code du travail, peut-elle être annulée sur le fondement d’un accord collectif, conclu avant la loi du 5 mars 2014 et qui prévoit un autre périmètre de désignation ? Non, répond la Cour de cassation : le périmètre de désignation du délégué syndical est  « d’ordre public ». Cass.soc.31.05.16, n°15-21175.

  • Faits, procédure et prétentions

Un accord collectif est signé en 2013 au sein de la société. Celui-ci prévoit que le périmètre de désignation des délégués syndicaux est l’entreprise.

En avril 2015, l’union locale CGT désigne un délégué syndical pour l’établissement de Chelles-Claye-Souilly. Désignation que la direction conteste immédiatement en saisissant le tribunal d’instance d’une demande d’annulation. Devant cette juridiction, la société se prévaut de l’accord de 2013, dont les stipulations font coïncider le périmètre des élections au  comité d’entreprise et celui présidant à la désignation de délégués syndicaux.

Pourtant, le tribunal d’instance donne raison au syndicat et refuse d’annuler la désignation. Le tribunal se fonde sur l’article L.2143-3 du Code du travail, tel que modifié par la loi du 5 mars 2014 (1).

Aussi l’employeur a-t-il saisi la Cour de cassation d’un pourvoi estimant que la loi nouvelle ne doit pas s’appliquer à un accord collectif conclu avant son entrée en vigueur.

Avant de livrer la solution retenue par la Cour de cassation, il n’est pas inutile de revenir sur les rapports, variables selon les époques, entre la notion d’établissement prévalant à la désignation des délégués syndicaux et celle qui permet la mise en place d’un comité d’entreprise.

  • Les notions d’établissement distinct : de la convergence aux divergences

Traditionnellement, il y avait plusieurs définitions de l’établissement distinct. Plus précisément, il existait une définition par institution (DS, DP, CE).

Toutefois, les périmètres dans lesquels pouvaient intervenir la désignation d’un délégué syndical ou celle d’un délégué du personnel étaient quasiment identiques (excepté pour les effectifs requis et pour la différence des missions, de réclamations et de revendications) et centrés sur l’existence d’une « communauté de travail de travail ayant des intérêts propres ». En revanche, la définition de l’établissement au sens de la mise en place d’un comité d’entreprise supposait une implantation géographique distincte, d’une certaine stabilité et d’une autonomie dans la gestion du personnel, notamment.

Autrement dit, la définition de l’établissement au sens des délégués syndicaux et des délégués du personnel était plus souple, moins contraignante, et surtout bien plus favorable à la désignation de ces représentants à un niveau autorisant une certaine proximité avec les salariés.

Après la loi du 20 août 2008 sur la représentativité, la Cour de cassation a cru bon de faire coïncider le périmètre de désignation des délégués syndicaux avec celui prévu pour la mise en place du comité d’entreprise.

En effet, la Haute juridiction a considéré que la possibilité de désigner un délégué syndical étant désormais liée à l’audience, laquelle est mesurée en priorité aux élections du comité d’entreprise, la coïncidence des périmètres s’imposait. D’autant que, selon certains commentateurs (2), l’essor de la fonction de négociateur dévolue au délégué syndical semblait elle aussi militer en faveur de la coïncidence entre le niveau de mesure de l’audience, qui est prise en compte pour apprécier la validité des accords collectifs, et le périmètre de désignation des délégués syndicaux.

La Cour de cassation a néanmoins conservé la possibilité pour un accord collectif de prévoir un périmètre différent, en décidant que : «sauf accord collectif en disposant autrement, le périmètre de désignation des délégués syndicaux est le même que celui retenu (…) pour la mise en place du comité d’entreprise ou d’établissement» (3).

C’était toutefois faire peu de cas de la fonction de proximité assurée par les délégués syndicaux. Proximité que les principales missions originelles de ces représentants  des salariés (animation de la section syndicale et des panneaux d’affichage, distribution de tracts pour les uns, remontées des revendications…) impliquent. C’est pourquoi, la CFDT a défendu le retour à des périmètres différents, lorsqu’elle a été auditionnée sur cette question par la Cour de cassation.

Le législateur est donc revenu à un périmètre spécifique pour la désignation du délégué syndical  par la loi du 5 mars 2014. Depuis lors, la désignation d’un délégué syndical « peut intervenir au sein de l’établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques » (4).

Sauf que, dans l’affaire ici soumise à la Cour de cassation, l’accord avait été conclu avant la loi du 5 mars 2014…et l’employeur se prévalait donc de l’article 2 du Code civil, aux termes duquel : « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».

La question posée à la Cour n’était donc pas simple, puisqu’elle renvoyait non seulement à ces allers-retours opérés dans le temps par le droit entre la convergence et la divergence des définitions, mais aussi à la possibilité pour les accords de prévoir une solution différente à celle retenue par la loi.

  • Application de la loi dans le temps aux accords collectifs sur le périmètre de désignation

La Cour de cassation allait-elle appliquer à une désignation intervenue après la loi de 2014, sa jurisprudence antérieure, qui prévoyait la coïncidence des périmètres de désignation du délégué syndical et de mise en place du comité d’entreprise ? Dans la négative, c’est-à-dire au cas où elle déciderait d’appliquer la loi de 2014 à toutes les désignations postérieures à son adoption, les juges allaient-ils permettre à l’accord d’y déroger (ici, en prévoyant la coïncidence des périmètres) ?

Il faut distinguer la rétroactivité de l’effet immédiat des dispositions légales nouvelles. Seule la rétroactivité est proscrite par le Code civil (et a valeur constitutionnelle en matière pénale) ; or, contrairement à ce que soutenait le pourvoi, il n’était point question ici de rétroactivité puisque la désignation du délégué syndical était intervenue en 2015, donc après l’adoption de la loi du 5 mars 2014.

En d’autres mots, les dispositions d’un accord conclu avant cette loi et prévoyant un périmètre de désignation identique à celui de mise en place du comité d’entreprise doivent-elles être écartées au nom de l’application immédiate de la loi nouvelle ? Ou bien, la possibilité pour l’accord collectif d’en disposer autrement (de prévoir un autre périmètre) doit-elle être maintenue, considérant que ces prévisions conventionnelles avaient été prévues sous l’empire de la loi ancienne ?

Pour la Cour de cassation, la réponse est sans appel. Les dispositions de la loi du 5 mars 2014, prévoyant la possibilité de désigner un délégué syndical « au sein de l’établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques » sont « d’ordre public quant au périmètre de désignation ». Il en résulte qu’un « accord d’entreprise, conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte (…) ne peut priver un syndicat du droit de désigner un délégué syndical au niveau de l’établissement  au sens de l’article L.2143-3 du Code du travail ».

La solution mérite d’être saluée car elle coupe court à toute dérogation au périmètre de désignation des délégués syndicaux dans un sens moins favorable. D’autant que la CFDT, dans sa défense de la proximité, a combattu par le passé les tentatives de faire coïncider tous les périmètres désignation des représentants des salariés avec celui de mise en place du comité d’entreprise.

 

 

(1)    Loi n°2014-288.

(2)    Cass.soc.18.05.16, Revue de jurisprudence sociale, 7/11, n°627.

(3)    Cass.soc.18.05.16, n°10-60383.

(4)    Article L.2143-3 du Code du travail.