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Conseillers prud’hommes : La désignation (bientôt) prescrite par ordonnance !

Publié le 25/11/2015

Clap de fin pour le groupe de travail ad hoc qui avait été constitué auprès de la direction générale du travail (DGT) en mars dernier afin de plancher sur la déclinaison technique de la future désignation des conseillers prud’hommes. Après huit séances particulièrement chargées, les travaux qui y ont été menés ont permis de déboucher sur un projet d’ordonnance. Nous tenterons ci-après d’en cerner les principales dispositions.

En tout premier lieu, le projet de texte s’évertue à énoncer le principe fondateur de la réforme. À savoir qu’à compter de 2017, les conseillers prud’hommes seront désormais « nommés conjointement par le garde des Sceaux, ministre de la justice, et le ministre du travail tous les quatre ans, par conseil et section, sur proposition des organisations syndicales et professionnelles ».

Quelles sont les principales options techniques qui ont été retenues ? Voici un premier panorama des principales orientations figurant au projet d’ordonnance.

  • La détermination du nombre de sièges attribué aux organisations syndicales et professionnelles

Le projet de texte précise, via une réécriture des articles L. 1441-4 et L. 1441-5 du Code du travail :

- que le nombre de sièges revenant à chacune des organisations syndicales sera déterminé en fonction « des suffrages obtenus au niveau départemental dans le cadre de la mesure de l’audience syndicale » ;

- que le poids électoral de chacune des organisations syndicales sera apprécié, section par section, grâce à un tableau de correspondance indice IDDC / section qui sera adopté par voie réglementaire.

- que l’attribution effective des sièges continuera à se faire « à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ».

 Zoom sur la spécificité de la section encadrement

L’appréciation du poids électoral des organisations syndicales siégeant au sein de la section encadrement ne pouvait connaître que d’une règle particulière. Interprofessionnelle par essence, la correspondance IDCC / section était, en l’espèce, inefficiente. Aussi a-t-il été décidé de recourir à une photographie catégorielle du poids électoral de chacune des organisations syndicales. Pour ce faire, il est envisagé de se référer aux résultats pris en compte pour le calcul de la représentativité sur le(s) collège(s) cadre.

Arguant de la nécessité qu’il y aurait à en prendre en compte que les seules voix des cadres stricto sensu, la CFE-CGC, ainsi que les organisations professionnelles d’employeurs (Medef et CGPME), plaident pour une prise en compte des résultats des seuls résultats du 3e collège. Or, procéder ainsi aurait aussi pour conséquence d’exclure les voix des cadres votant au sein du 2e collège ainsi que celles des agents de maîtrise, et ce même à supposer que ces derniers disposent d’une « délégation écrite de commandement ». Cela ne serait ni cohérent, ni équitable. C’est pourquoi l’ensemble des autres organisations syndicales (au premier rang desquelles la CFDT) plaident, encore et toujours, pour une prise en compte des résultats des 2e et 3e collèges.

L’administration ne s’est, pour l’heure, positionnée sur aucune de ces deux options. Selon la DGT, cette question relève du pouvoir réglementaire. Elle n’a donc pas à être tranchée par le projet d’ordonnance. Elle ne le sera que plus tard, par voie de décret. Nous ne manquerons cependant pas de remettre cette question sur la table dès le prochain conseil supérieur de la prud’homie.

Zoom sur le possible contentieux du nombre de sièges attribués

La décision déterminant le nombre de sièges par conseil, collège et section revenant à chaque organisation syndicale et professionnelle pourra bien entendue être contestée en justice. S’agissant d’un acte réglementaire, les recours éventuellement portés contre elle devront être directement portés devant le conseil d’État qui statuera alors en premier et dernier ressort.

  • Les candidats

Le projet de texte précise, via une réécriture des articles L. 1441-6 et L. 1441-10 du Code du travail :

- pour postuler aux fonctions de conseiller prud’homme, il faudra, comme c’était déjà le cas sous l’empire de l’élection, être de nationalité française, avoir au moins 21 ans et jouir de ses droits civiques. Mais il faudra aussi désormais satisfaire à une condition de capacité et à une condition de moralité. La première étant considérée satisfaite dès lors que le candidat a, soit « exercé une activité professionnelle de deux ans dans les dix ans précédant la candidature », soit exercé en qualité de juge prud’homal « dans les dix ans précédant la candidature ». La seconde l’étant dès lors que le candidat dispose d’« un bulletin n° 2 du casier judiciaire dont les mentions ne sont pas incompatibles avec l’exercice des fonctions prud’homales ».

- pour postuler dans une section donnée, le candidat doit y être rattaché via l’indice IDCC de la convention collective qui lui est applicable (à l’exception du collège encadrement).

Zoom sur les dates auxquelles les conditions requises pour être candidats doivent être remplies

Il y a lieu de distinguer les conditions relatives à la nationalité, aux droits civiques et à la moralité des autres conditions. Celles-ci doivent, en effet, être remplies à la date de la nomination (probablement en décembre 2017), tandis que celles relatives à l’âge et la capacité devront l’être à la date d’ouverture du dépôt des candidatures (probablement en mars 2017).

Zoom sur la protection des candidats

Il est à noter que cet aspect (pourtant fondamental) des choses n’avait pas même été envisagé par l’administration. C’est donc la CFDT qui, lors de la 6e séance du groupe de travail ad hoc a mis le sujet sur la table. Le projet d’ordonnance prévoit donc désormais que les candidats aux fonctions prud’homales seront bel et bien protégés contre le licenciement de ce dès que le mandataire de liste aura informé leur employeur de leur candidature. Cette protection se prolongera pendant trois mois après que l’arrêté de nomination des conseillers prud’hommes sera publié. Ce afin d’assurer une continuité de la protection entre le statut de candidat aux fonctions prud'homales et celui de juge prud’hommes.

  • Les listes de candidats 

Le projet de texte précise, via une réécriture des articles L. 1441-15 et L. 1441-20 du Code du travail :

- que chaque liste devra respecter le principe de parité femmes / hommes. En effet, l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ne pourra, en aucun cas, être supérieur à un et chacun des candidats femmes et hommes devront figurer alternativement sur la liste.

- que chaque liste devra présenter une liste correspondant au nombre de sièges lui revenant ou, à défaut, un nombre inférieur (en cas de liste incomplète).

Zoom sur le rôle central du mandataire de liste

Le dépôt des listes incombera à des mandataires de listes qui auront été désignés en tant que tel par les organisations syndicales et professionnelles. Ce dépôt des listes se fera « par voie dématérialisée ».

C’est à ces mêmes mandataires qu’il reviendra de notifier aux employeurs concernés les noms des salariés de leur entreprise qu’il entendra faire figurer sur une liste de candidats. Et c’est justement la transmission de cette information qui déclenchera la période de protection du candidat aux fonctions prud’homales (voir ci-dessus).

Les mandataires de liste disposeront du « temps nécessaire pour remplir leurs fonctions » et d’une garantie de maintien de leur salaire. Par contre, et contrairement à ce que souhaitait la CFDT, ils ne disposeront pas d’un réel statut protecteur puisque le projet d’ordonnance se contente de reprendre, à la lettre, les dispositions qui étaient jusqu’alors applicables aux mandataires de liste sous l’empire de l’élection. À savoir que « l’exercice des fonctions de mandataire de liste par un salarié ne peut être la cause d’une sanction ou d’une rupture du contrat de travail par l’employeur ».

Notons, pour conclure sur ce point, que le mandataire de liste devra scrupuleusement veiller à la conformité des listes qu’il présente (notamment sur l’aspect parité femmes/hommes) car, via une réécriture de l’article L. 1441-18 du Code du travail, le projet d’ordonnance précise qu’à défaut l’autorité administrative ne sera pas habilitée à les enregistrer.

  • La nomination des conseillers

Comme nous l’avons précisé au début de cet article, les nominations seront le fruit d’une décision conjointe du garde des Sceaux, ministre de la justice, et du ministre du travail. Le projet de texte précise, via une réécriture des articles L. 1441-1 à L. 1441-3 et L. 1441-22 à L. 1441-27 du Code du travail :

- que la nomination aura lieu tous les quatre ans.

- que, en cas de vacance de siège, des « désignations complémentaires » pourront être réalisées tout au long du mandat.

Zoom sur le possible contentieux des nominations

Les décisions de nomination (ou plus vraisemblablement de non-nomination) pourront être contestées pendant 10 jours, soit par le candidat lui-même, soit par le mandataire de liste. La contestation devra être portée devant le tribunal administratif de Paris qui sera lui-même habilité à trancher le litige en premier et dernier ressort.

Remarque : Les nominations étant le fait du garde des Sceaux, ministre de la justice, et du ministre du travail, le contentieux sera, par nature, centralisé à Paris.

  • La possible déchéance du conseiller prud’hommes

Le projet de texte précise, via l’insertion d’un nouvel article L. 1441-15-1 au sein du Code du travail, que la commission nationale de discipline sera « saisie de toutes les condamnations pénales devenues définitives et donnant lieu à inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire prononcée à l’encontre d’un conseiller prud’homme » et que cette même commission sera habilitée à « prononcer la déchéance dans les mêmes conditions » du conseiller prud’homme concerné dès lors qu’elle considérera que « la condamnation prononcée est incompatible avec les fonctions de conseiller prud’homme ».

Voilà donc pour une très brève présentation des principales dispositions figurant au projet d’ordonnance qui a été porté à notre connaissance le lundi 23 novembre 2015. Nous aurons l’occasion de réaborder cette question dès le début de l’année prochaine puisque, le 13 janvier 2016, il est prévu qu’un Conseil supérieur de la prud’homie se réunisse afin de rendre un avis « officiel » sur ce projet de texte.

Et une fois cette prochaine étape franchie, la construction du nouveau système de désignation ne sera pas encore arrivée à son terme. Puisque, par la suite, l’ordonnance devra être définitivement adoptée avant de faire l’objet d’un projet de loi de ratification qui devra, lui-même, être déposé devant le Parlement dans les six mois qui suivent.

Mais surtout, et par-delà l’adoption de ces nouvelles dispositions législatives, il est à noter que toute partie réglementaire du dispositif restera à construire et qu’elle devrait se révéler particulièrement touffue.

Soucieuse d’être vigilante jusqu’au bout du processus d’élaboration de ce nouveau système de désignation, la CFDT a d’ores et déjà demandé à ce que les partenaires sociaux puissent continuer à y être étroitement associés.