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A travail égal, mais statuts différents, rémunérations inégales ?

Publié le 06/01/2016

Un médecin salarié peut-il demander l’application du principe « à travail égal, salaire égal » et réclamer une rémunération identique à celle d’un médecin exerçant en tant que libéral, donc non-salarié ? Telle est la question qui était posée à la Cour de cassation. Cass.soc.16.12.15, n°14-11294.

  • Faits, procédure et prétentions

Un médecin anesthésiste et réanimateur exerçait au centre hospitalier en tant que médecin chef salarié au service des grands brûlés. Comme il effectuait régulièrement des gardes pour lesquelles il était moins bien payé que les médecins exerçant à titre libéral, il a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande, notamment, de rappels de salaires.

La cour d’appel de Lyon l’a débouté, dans un arrêt du 27 novembre 2013. Selon les juges d’appel, le salarié ne pouvait utilement invoquer le principe « à travail égal, salaire égal » et se comparer avec des médecins exerçant à titre libéral.

Le médecin hospitalier a donc  formé un pourvoi.

  • A travail égal... rémunérations inégales entre médecins salariés et non-salariés

Devant la Cour de cassation, ce salarié soutenait qu’une différence de statut entre les travailleurs effectuant un travail de même valeur au service d’un même employeur ne suffit pas à caractériser une différence de situation justifiant une différence de rémunération.

En effet, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’affirmer par le passé que la différence de statut ne constitue pas en soi une justification  à la différence de rémunération. Ainsi, en a-t-elle décidé s’agissant d’une prime versée sur le critère du poste ou de la fonction occupée à des travailleurs employés tantôt sous contrats de travail de droit privé et tantôt sous statut de la fonction publique (1). La haute juridiction a également considéré que la différence de statuts entre salariés en CDI et vacataires ne pouvait à elle seule justifier une différence de rémunération (2).

Pour autant, dans toutes ces hypothèses, les travailleurs étaient (qu’ils relèvent du droit privé ou du droit public) des travailleurs subordonnés.

La question posée ici à la Haute juridiction était donc encore plus radicale.

Un salarié peut-il invoquer le principe « à travail égal, salaire égal » pour se comparer à des travailleurs non-salariés, en l’occurrence mieux rémunérés ?

Il ne saurait en être ainsi selon la Cour de cassation, qui approuve les juges du fond « le salarié qui se prévaut du principe d’égalité de traitement ne pouvant utilement invoquer la comparaison de sa situation avec des non salariés ».

  • Le statut de salarié, justification absolue des différences de traitement? 

 Dans l’absolu, cette solution peut convaincre. La différence entre salariat et exercice de la profession à titre libéral est sans doute d’un autre ordre qu’une simple différence de statuts, au sens d’une différence entre modalités juridiques d’organisation du travail subordonné: salariés précaires ou non, travailleurs subordonnés engagés sous contrats de droit public ou de droit privé… Dans un cas, l’on est subordonné, c’est-à-dire soumis à des directives et passible de sanctions, dans l’autre l’on est indépendant.

 La différence entre ces travailleurs est-elle toujours aussi marquée dans les faits ? Ainsi, en l’espèce, on peut supposer que les deux médecins effectuaient les gardes dans les mêmes conditions, à savoir au sein du service organisé (le centre hospitalier). Comment dès lors admettre si aisément la différence de traitement entre ces deux médecins ? Pourquoi exclure de manière radicale la comparaison entre salariés et non-salariés, sans y regarder de plus près? Quid par exemple si la proportion de femmes avait été significativement plus importante chez les médecins salariés? N'aurait-on pas pu y déceler une discrimination indirecte en raison du sexe dans cette différence de rémunération?

Espérons que les réflexions en cours sur l’ « ubérisation » de l’économie conduisent la Cour de cassation à affiner sa position.

 

(1)   Cass.ass.plén.27.02.09, n°08-40059.

(2)   Cass. soc.15.05.07, n°05-42893.