Retour

Carlos Moreno « Avec la crise, la proximité prend toute sa dimension»

Publié le 01/04/2022

Carlos Moreno est directeur scientifique de la Chaire entrepreneuriat, territoire et innovation à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Spécialiste des questions urbaines, il promeut la « ville du quart d’heure » pour répondre aux enjeux sociaux, environnementaux et économiques actuels.

CFDT-482-01 Cet entretien a été publié dans le n°482 de CFDT Magazine.

En quoi consiste la « ville du quart d’heure » ?

 

Ce concept défend une organisation urbaine permettant à tout citadin d’accéder à six fonctions essentielles en quinze minutes de marche ou à vélo : travail, commerces, santé, éducation, culture et loisirs. C’est une nouvelle façon de penser la ville et ses usages. La ville du quart d’heure est économique parce qu’elle crée de la valeur et de l’emploi relocalisé. 

 

Elle est plus écologique parce que les gens quittent la mobilité subie pour de la mobilité choisie et qu’elle repose sur des circuits courts. Elle est aussi plus équitable parce que la mixité sociale redevient une réalité, les gens participent à la vie de leur quartier. Enfin, c’est une ville ouverte et accessible à tous, indépendamment de son genre, de sa sexualité ou de son âge.

 

Les villes telles qu’elles sont pensées aujourd’hui ne répondent plus à nos besoins ?

 Les villes ne sont plus adaptées à nos modes de vie. Elles sont fragmentées et génèrent de la ségrégation. Il faut revenir sur la logique productiviste et consumériste qui a séparé les lieux de vie, les lieux de travail et les centres administratifs. C’est ce phénomène qui a désincarné la vie urbaine. Concrètement, les gens partent tôt de chez eux, ils passent la journée dans leur bureau, et rentrent tard le soir. Entre-temps, ils passent deux à trois heures dans les transports et n’ont pas, ou peu, l’occasion de socialiser. À Paris, le quartier d’affaires de la Défense est désert le soir et le week-end. Ça n’a pas de sens.
Nous devons recréer des villes polycentriques, avec tous les services en proximité, et utiliser les espaces de manière hybride. Un café non fréquenté l’après-midi peut accueillir un cours de langue organisé par une association, par exemple.
Les gens consomment, le cafetier fait le plein de clients. On crée de la valeur à partir des nouvelles intersections. Plus on développe cette vision, plus on aura des villes animées et attractives.

 

La pandémie est venue rappeler cette notion de proximité.

Avec la crise sanitaire, la proximité prend toute sa dimension. Le Covid-19 a été un accélérateur de transformation des mentalités. Nous étions tous chez nous. Nos sorties étaient limitées. On devait faire nos courses, sortir ou voir un médecin en proximité. À 20 heures, on applaudissait, cela a parfois été l’occasion de rencontrer ses voisins pour la première fois.

De nouvelles sociabilités sont nées. Surtout, beaucoup de salariés ont été contraints de télétravailler. Mais par ce biais, ils ont redécouvert des temps libres. Ils ont compris qu’ils pouvaient être efficaces sans perdre des heures dans les transports tous les jours, juste pour pouvoir dire : « Je suis là. » Cette crise a eu un impact important, surtout chez les 20-40 ans. Les gens ont compris qu’ils pouvaient et voulaient vivre et travailler autrement.

 

Qu’en est-il pour les personnes qui ne peuvent pas télétravailler ?

 Bien sûr, le maçon continuera à se rendre sur ses chantiers, le soignant continuera à visiter les malades. Mais on estime que 40 % des travailleurs ne sont pas soumis à la mobilité pendulaire – c’est-à-dire aux déplacements domicile-travail.

C’est la « pendularité » notre ennemi. À l’heure du changement climatique, certains trajets n’ont pas de sens. Et les éviter permettra à ceux qui sont obligés de se déplacer de le faire dans des conditions sereines, sur des routes et dans des transports ni saturés ni congestionnés. On a aussi vu émerger des lieux de travail décentralisés, intermédiaires, à l’initiative d’entreprises, de collectivités ou d’individus. Plutôt que rester seul en télétravail, certains ont opté pour les tiers lieux. L’opportunité de faire de nouvelles rencontres et de redynamiser les économies locales.

 

Votre concept s’adapte-t-il aux zones rurales et périurbaines ?

 Les problématiques et les besoins sont quasiment identiques. J’ai développé le concept du territoire de la demi-heure. Avec les mêmes questionnements : comment offrir les services essentiels à chacun à moins d’une demi-heure de son domicile. La demande de proximité est, partout, très forte. On l’a bien vu avec les gilets jaunes – même si le phénomène est complexe –, le mouvement est l’expression de ce besoin. Il est une traduction des difficultés pour les habitants de ces territoires à accéder aux six fonctions essentielles que j’évoquais précédemment.

Propos recueillis par glefevre@cfdt.fr

© Thomas Baltes