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« #MeToo est parvenu à toucher tous les milieux sociaux »

Publié le 23/12/2022

Sociologue spécialiste du genre et du féminisme, Maud Navarre voit dans #MeToo un mouvement qui a permis une prise de conscience collective de la diversité des réalités vécues par les femmes. Cinq ans après, elle tire un premier bilan de cette mobilisation d’ampleur.

Comment s’inscrit le mouvement #MeToo dans l’histoire du féminisme ?

#MeToo marque un tournant car c’est la première grande mobilisation populaire qui s’est passée principalement sur les réseaux sociaux. Historiquement, les femmes se sont mobilisées pour revendiquer des droits ou des améliorations de leurs conditions de vie en descendant dans la rue, en manifestant. Ces revendications étaient en même temps relayées par des femmes plus expertes, plus intellectuelles, parfois engagées en politique, qui s’exprimaient lors de grands congrès féministes. Cette alliance entre la rue et une forme d’élitisme a débouché sur l’obtention de nouveaux droits comme celui de voter ou d’avorter. Avec #MeToo, on a assisté à quelque chose de différent.

Peut-on parler de troisième vague féministe ?

 La notion de vague dans le féminisme est contestée, mais si on garde cette classification, on peut dire que #MeToo fait partie de la troisième vague. Pour schématiser, dans les pays occidentaux, les première et deuxième vagues se caractérisaient chacune par une grande mesure, un grand droit à acquérir. Au début du xxe siècle, il s’agissait du droit de vote.

Et dans les années 1960-1970, le féminisme s’est concentré sur les droits reproductifs : la contraception, l’avortement…
Ce qui caractérise la troisième vague des années 1990-2000, c’est qu’il n’y a pas une seule cause essentielle. Les associations féministes regagnent à cette époque en vitalité, mais s’organisent autour de revendications très différentes. Chaque association a tendance à avoir son propre combat. On parle de féminisme religieux ou laïque, de féminisme trans, de féminisme black ou encore de pop féminisme… #MeToo s’intègre dans cette troisième vague en apparaissant comme un mouvement fédérateur, plutôt consensuel.

Comment résumer #MeToo ?

 #MeToo est le grand mouvement de mobilisation contre les violences faites aux femmes. Alors que les féministes ont longtemps été accusées d’être élitistes, d’avoir des préoccupations éloignées des classes populaires, #MeToo est parvenu à toucher tous les milieux sociaux.

On peut dire que cette mobilisation a provoqué une prise de conscience des violences sexuelles dont peuvent être victimes les femmes. Une prise de conscience de ce que les féministes appellent le continuum de la violence : de la simple main aux fesses jusqu’au viol, l’ensemble fait partie d’un même système de domination masculine qui n’a plus lieu d’être dans la société. C’est cela que dénonce #MeToo. Pour autant, cette prise de conscience dans la société ne s’est pas encore traduite dans une grande loi emblématique, une grande avancée, comme a pu l’être le droit à l’avortement dans les années 1970.

Ce nouveau féminisme va-t-il permettre de faire avancer la question de l’égalité en entreprise ?

 Le féminisme des droits, celui de l’égalité salariale, par exemple, n’est pas celui qui est le plus visible ni le plus vindicatif aujourd’hui. Ce féminisme-là est finalement en voie d’institutionnalisation. Il est davantage porté par des organisations qui ne sont pas purement féministes, comme les organisations syndicales ou les pouvoirs publics. Pour autant, je pense que le mouvement #MeToo peut avoir une répercussion à long terme sur des questions aussi classiques que celle de l’égalité salariale. À mon sens, l’égalité salariale a toujours échoué à travers la loi car on n’a pas assez déconstruit le vécu des femmes – et notamment leur place dans les familles, qui explique en partie les inégalités de salaire (en complément des discriminations qui s’opèrent directement dans le milieu professionnel).

Le féminisme est également associé à la cause LGBTQIA+*. Comment expliquez-vous cela ?

Il faut voir le féminisme comme une ouverture à l’ensemble de la diversité qui compose la société. Le mouvement féministe ne demande pas des droits uniquement pour lui-même. Il porte un autre regard sur la société. Pour résumer, il lutte contre la société traditionnelle représentée par l’homme blanc. Et quand on parle de lutte contre les violences sexuelles, on parle aussi de libertés sexuelles. Dès les années 1970, le féminisme pose la question de la liberté sexuelle, la possibilité d’aimer le même sexe ou de changer de sexe.
Et, aujourd’hui, la question du genre, la question trans, est particulièrement forte chez les jeunes. Elle devient un enjeu majeur pour cette génération, comme l’égalité entre les femmes et les hommes l’a été pour les précédentes.

Propos recueillis par jcitron@cfdt.fr


* Personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes et asexuelles…