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« La dépression est une maladie qui se soigne »

Publié le 03/05/2022

Responsable du pôle psychiatrie et addictologie de l’hôpital Henri-Mondor à Créteil, Grand Prix Inserm 2021, Marion Leboyer dirige la Fondation FondaMental, réseau de 52 centres experts de recherche, de diagnostic et de soins en psychiatrie. Elle a créé les plateformes d’aide et de soutien psychologiques CovidÉcoute et Écoute étudiants Île-de-France. Elle est également l’auteure de Réinventer notre santé mentale.

Une CFDTmag483 MGuilard

Cet entretien a été publié dans le n°483 de CFDT Magazine.

Deux ans après le début de l’épidémie, l’impact du Covid sur la santé mentale est-il toujours aussi alarmant ?

Quand on compare les chiffres avant et pendant l’épidémie, c’est frappant. Il y a, par exemple, une augmentation des idées suicidaires, qui sont passées de 4 % à 10 % dans la population.

On constate aussi une forte hausse des troubles dépressifs, passés de 6 % à 30 %, une augmentation des troubles du sommeil, de l’anxiété et des addictions. Ces signaux se maintiennent au fil du temps, ils restent inquiétants et ne sont pas spécifiques aux mesures de confinement, comme on l’a cru un temps.

Cela touche plus fortement certains segments de la population : les femmes, les adolescents et les jeunes adultes, les soignants, les personnes les plus fragiles économiquement et les patients déjà atteints de pathologies mentales.

Point important, ces troubles atteignent tout particulièrement les personnes qui ont été contaminées par le Covid.

Le Covid peut-il être la cause directe d’un épisode dépressif ?

Très clairement, les personnes qui ont eu un Covid, qu’elles aient été hospitalisées, en réanimation, symptomatiques ou non, sont à risque de développer des troubles anxiodépressifs, des troubles du sommeil, des difficultés cognitives jusqu’à six mois après l’épisode infectieux. L’Organisation mondiale de la santé le reconnaît et parle maintenant de symptômes neuropsychiatriques post-Covid.

En moyenne, et quelle que soit la gravité du Covid qu’elles ont contracté, 30 % des personnes sont à risque d’un trouble neuropsychiatrique, et 24 % sont à risque de développer un trouble de l’humeur ou un trouble anxieux.

Quand on a été hospitalisé pour des formes sévères de maladies infectieuses, on a une augmentation de 60 % du risque de développer des troubles de l’humeur

Ce lien semble d’ordre biologique, c’est une découverte récente ?

 Ce n’est pas nouveau, on sait depuis des années que les maladies infectieuses et les pathologies inflammatoires créent des conditions favorables au déclenchement de certaines pathologies mentales.

Cela a été prouvé lors des précédentes épidémies de coronavirus, Sars et Mers, du virus Ebola, de la grippe espagnole et des épidémies de rubéole. Les pays scandinaves qui suivent les personnes de façon très précise montrent que quand on a été hospitalisé pour des formes sévères de maladies infectieuses, on a une augmentation de 60 % du risque de développer des troubles de l’humeur.

Cet aspect-là du Covid est largement ignoré…

Oui, et il est important d’en informer les personnes. Quand plusieurs mois après un Covid on est fatigué, on a du mal à se concentrer, on n’a pas envie de manger, on est triste, on ne prend plus de plaisir à ce que l’on fait, on est peut-être déprimé.

Malheureusement, les patients n’en parlent pas. Ils ne veulent pas ennuyer leur famille ou leur généraliste. Ils n’osent pas évoquer ces troubles lors des visites de suivi, certains ont vu leur voisin de chambre décéder pendant leur séjour à l’hôpital et ils culpabilisent. Quand on se sent déprimé, il ne faut pas en avoir honte, il faut aller consulter. Le problème, c’est que ce message ne passe pas. C’est dommage car la dépression est une maladie comme les autres et elle se soigne.

De quelle façon ? En France, on associe souvent soins psy et analyse au long cours sur le divan…

 C’est une erreur ! Dans ces cas précis, ce dont on a besoin, c’est d’un médicament et d’une psychothérapie spécifique de la prise en charge des épisodes dépressifs et des troubles anxieux. Nous avons les outils diagnostiques et les stratégies thérapeutiques adaptées, courtes dans le temps.

Des techniques telles que la thérapie cognitive et comportementale (TCC), l’EMDR [Eye Movement Desensitization and Reprocessing, méthode de traitement du stress post-traumatique, des phobies, des troubles obsessionnels compulsifs, etc.], la méditation de pleine conscience, la cohérence cardiaque peuvent être utilisées. Ces stratégies sont toutes validées par des essais thérapeutiques très rigoureux et sont très étayées scientifiquement.

Pourquoi les pathologies mentales en général sont-elles aussi peu diagnostiquées et traitées ?

 Parce que les représentations ont la vie dure. Une crise, c’est le moment de remettre en question ce que l’on croit à l’aune de ce que l’on sait.

On a fait beaucoup de progrès ces dernières années dans le domaine de la psychiatrie. On a identifié des facteurs de risque génétiques et des facteurs de risque environnementaux : des infections très précoces, des stress sévères, l’exposition à la pollution, un mauvais style de vie en matière d’alimentation. Ces facteurs provoquent une inflammation à bas niveau qui fait le lit des maladies mentales.

Il reste encore beaucoup à explorer dans ce domaine de l’immuno-psychiatrie. Cela demande des moyens. La psychiatrie ne reçoit que de 2 à 4 % du budget de la recherche biomédicale, alors que c’est la première cause de dépense de santé publique. On l’a vu avec le vaccin contre le Covid, c’est avec l’innovation que l’on peut progresser.

Propos recueillis par Marie-Nadine Eltchaninoff

©DR