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« C’est un devoir moral et légal de porter assistance en mer »

Publié le 24/03/2023

Sauver, protéger, témoigner… Depuis 2015, SOS Méditerranée va au secours des migrants perdus en mer sur des embarcations de fortune. Cofondatrice de cette ONG hors norme, Fabienne Lassalle dénonce l’inaction des États qui n’assument pas leurs responsabilités et mettent des bâtons dans les roues des associations engagées sur le terrain.

Comment est née SOS Méditerranée ?

  En 2013, à la suite du naufrage de 366 migrants au large de Lampedusa, l’Italie lance l’opération de recherche et de sauvetage en mer, Mare Nostrum. Plusieurs bateaux et avions de patrouille sont mobilisés, permettant de sauver 150 000 vies en moins d’un an. Mais l’opération coûte cher et l’Union européenne refuse d’apporter son soutien financier. Elle prend donc fin en 2014. Face au désengagement politique de l’Europe et à l’urgence humanitaire en Méditerranée, un mouvement citoyen s’enclenche qui donne naissance à SOS Méditerranée en mai 2015. Un premier bateau, l’Aquarius, est affrété grâce à un financement citoyen. Ce bateau sera remplacé en 2019 par l’Ocean Viking. Depuis notre première campagne en mer, en février 2016, 37 352 personnes ont été secourues.

C’est la Libye qui a la responsabilité de coordonner les sauvetages en Méditerranée centrale et perçoit pour cela de l’argent de l’Union européenne !

 

Quelle est la situation aujourd’hui, et notamment en Méditerranée centrale ?

  Depuis 2014, la Méditerranée centrale est la route maritime migratoire la plus mortelle au monde*. Elle concentre 80 % des personnes noyées en Méditerranée. Ces chiffres traduisent le manque de capacités de recherche et de sauvetage étatiques déployées par l’Europe dans cette zone maritime, manque auquel s’ajoutent les entraves subies par les navires des ONG et une coordination déficiente, voire inexistante, des garde-côtes libyens. Depuis 2018, c’est la Libye qui a la responsabilité de coordonner les sauvetages en Méditerranée centrale et perçoit pour cela de l’argent de l’Union européenne ! Les conséquences sont désastreuses pour les personnes qui tentent de traverser par cette voie maritime.

 

Comment se déroule une mission de sauvetage ?

  Il existe différents moyens de repérer une embarcation en détresse. L’alerte peut être donnée par une autre ONG qui capte les messages de détresse ou des avions d’ONG qui survolent la zone. Enfin, nos équipes qui sillonnent les eaux internationales sont équipées de jumelles pour détecter les bateaux en danger. Dès qu’une embarcation est localisée ou signalée, une course contre la montre commence. Ces embarcations sont fragiles et peuvent se briser à tout instant. Nos canots de sauvetage sont mis à l’eau pour les approcher sans risquer de les faire chavirer. Le premier impératif est de calmer les occupants pour éviter les mouvements de panique. Un médiateur culturel multilingue les rassure puis leur donne des instructions. Plusieurs navettes sont nécessaires pour ramener tous les rescapés à bord où ils sont pris en charge par une équipe médicale. L’opération de sauvetage peut durer jusqu’à sept heures, parfois en pleine nuit ou au milieu de vagues de plusieurs mètres.

 

On vous accuse parfois de complicité avec les passeurs ?

  C’est incroyable ! Notre action est une action humanitaire qui consiste à tendre la main à des personnes en train de se noyer. Sans secours, ces embarcations de fortune finissent par se briser au gré des vagues. C’est un devoir moral et légal de leur porter assistance. Le droit maritime est très clair, tout capitaine de navire a l’obligation de porter assistance aux personnes en danger en mer. Une fois les naufragés mis en sécurité à son bord, les autorités maritimes doivent lui assigner un lieu sûr de débarquement des rescapés dans un délai raisonnable. La coordination des sauvetages et le secours en mer sont de la responsabilité des États, qui ne remplissent pas leurs obligations.

On nous fait passer pour des criminels alors que nous pallions leur déficience ! Pire, tout est fait pour empêcher notre action. Nous subissons des pressions, du harcèlement administratif. Nous attendons parfois très longtemps (jusqu’à vingt et un jours en novembre dernier), avant qu’un port de débarquement nous soit attribué. Plus récemment, ce sont des ports très éloignés de la zone de sauvetage qu’il nous a fallu rejoindre. Ces périodes prolongées en mer ont de graves conséquences sur l’état des personnes secourues et sur nos coûts, qui ont progressé de plus d’un million d’euros en 2022.

Comment vous aider ?

  Nous avons besoin de dons pour pouvoir poursuivre notre mission. Nous ne bénéficions d’aucun financement étatique national ou européen. Notre mission est financée à 90 % par des dons privés et à hauteur de 10 % par des collectivités locales.

 

 

Propos recueillis par Sabine Izard

* La « route méditerranéenne centrale » est une route migratoire traversant la mer Méditerranée au niveau de la côte ouest de la Libye et rejoignant l’Italie ou Malte. Il s’agit de la principale voie d’accès à l’Union européenne au départ de l’Afrique.

© Luciano Gallo