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CSE : le salarié qui évolue professionnellement conserve son mandat

Publié le 11/09/2019

Lorsqu’un salarié évolue professionnellement en cours de mandat, et de ce fait ne dépend plus du collège dans lequel il a été élu, il conserve son mandat… jusqu’à ce que celui-ci s’achève. Cette règle inscrite dans le Code du travail de droit commun trouve également à s’appliquer en Polynésie française. Conseil d’Etat, 10.07.19, n° 416273

  • Les faits

C’est sous le chaud soleil polynésien que les faits inhérents à cette affaire se déroulent. Rien à voir pourtant avec un paradisiaque paysage de carte postale…  

Certes, l’histoire commence plutôt bien. Elle concerne un responsable d’agence exerçant pour la banque de Tahiti et qui, à l’occasion de l’organisation des élections au comité d’entreprise, est amené à présenter sa candidature aux suffrages de ses collègues dans le collège « ingénieurs, chefs de service, agents de maîtrise et assimilés ». Avec succès, puisqu’il est élu et que, de ce fait, il accéde aux fonctions de représentant du personnel.

Nous sommes alors en 2013.

Mais le ciel polynésien ne va tarder à s’obscurcir car, pour le salarié, 2014 sera une véritable annus horribilis. Jugez un peu :

Dès le mois de janvier, il se trouve sanctionné par le biais d’une rétrogradation. Et le coup est rude, puisque de responsable d’agence notre salarié est cruellement relégué au rang de conseiller de clientèle…

Mais ce n’est pas tout ! Une fois l’automne venu, la banque de Tahiti se tourne vers l’inspecteur du travail afin de solliciter son autorisation pour licencier l'ex-responsable d’agence. Et le couperet ne tarde pas à tomber. Net : l’administration considère en effet qu’elle n’a pas à tenir compte du mandat détenu par le salarié, « celui-ci ayant cessé du fait de la rétrogradation dans des fonctions relevant d’un autre collège ». Finalement considéré comme dépourvu de toute protection, l’administration ne s’oppose pas à son licenciement.

Fort de cette décision, l’employeur ne tarde pas à se séparer du salarié. Ce sera chose faite avant même que l’année 2014 ne tire sa révérence.

  • La problématique juridique et ses différentes approches  

Du fait de la rétrogradation qu’il avait eu à subir, le salarié n’était plus en phase avec le collège « ingénieurs, chefs de service, agents de maîtrise et assimilés » dans lequel il avait été élu du temps de sa splendeur… Les fonctions qu’il exerçait relevaient désormais davantage du collège « ouvriers / employés ». Pouvait-on alors douter de sa capacité à continuer à exercer son mandat ? A cette question, l’inspecteur du travail a répondu par l’affirmative. Et il en conclut que le salarié ne pouvait tout simplement plus se targuer de la protection d’un mandat qui, selon lui, n’existait plus.

En droit, cette décision d’apparence pragmatique est pourtant hautement critiquable. Ce qui ne l’empêchera pourtant pas d’être par la suite avalisée par le tribunal administratif de la Polynésie française.

Il nous faut préciser qu’en Polynésie française, ce n’est pas le Code du travail de droit commun qui s’applique mais un Code du travail local : Celui de la Polynésie française. Et il se trouve que ce code précise que le mandat des élus au comité d’entreprise prend fin de manière anticipée en cas de « décès, démission, résiliation du contrat de travail, perte des conditions requises pour l’éligibilité et changement d’établissement » (1) ou bien encore de « révocation » (2).

Le cousinage de ces textes avec le Code du travail de droit commun est ici patent, puisque les motifs de résiliation anticipée des mandats y sont peu ou prou les mêmes (3). Mais nous noterons tout de même que, dans les textes polynésiens, la question du changement de catégorie professionnelle en cours de mandat d’un représentant élu n’est pas évoquée. Ce qui fait une petite différence, puisque le Code du travail de droit commun, lui, prend bien soin de préciser que les représentants élus au Comité social et économique (CSE) « conservent leur mandat en cas de changement de catégorie professionnelle » (4) ; comme il avait déjà pris soin de le faire avant l’avènement du CSE pour les représentants élus au CE (5) et pour les délégués du personnel (6).

C’est donc dans la brèche potentiellement ouverte par le silence des textes polynésiens que l’inspecteur du travail et les premiers juges administratifs semblent avoir tenté de s’engouffrer pour considérer que le changement de catégorie professionnelle pouvait justifier d’une cessation anticipée du mandat.

(Mauvaise) analyse cependant, que la cour d’appel de Paris, puis le Conseil d’Etat, sont justement venus contrecarrer. Car ce n’est parce que le droit ne précise pas que le changement de catégorie doit être vu comme une cause de cessation anticipée du mandat qu’il doit l’être.

Il ne l’aurait été que si les textes l’avaient expressément prévu. Ce qui n’était manifestement pas le cas…  

 

Et le conseil d’Etat de considérer qu’« en jugeant que le changement de catégorie professionnelle » du salarié « consécutif à sa rétrogradation des fonctions de directeur d'agence aux fonctions de chargé de clientèle, n'avait pas eu pour effet de mettre fin à son mandat de membre titulaire du comité d'entreprise, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit ».

En Polynésie française comme en France métropolitaine : un même état du droit !

Quelles ques soient les différences textuelles existantes entre la Polynésie française et la France métropolitaine, la règle applicable est la même : le salarié qui évolue professionnellement, et change de ce fait de catégorie professionnelle, ne perd pas pour autant le mandat pour lequel il a été élu, dans le collège duquel il dépendait initialement.

Fort heureusement, le cas ici évoqué - celui d’une évolution professionnelle descendante - n’est pas la plus fréquente. C’est généralement à l’occasion d’une promotion que la question se pose.

Mais dans un sens comme dans l’autre, la réponse à apporter est exactement la même. Sauf à supposer que cette promotion conduise le salarié « à disposer d’une délégation écrite particulière d’autorité  lui permettant d’être assimilé au chef d’entreprise » ou « à représenter effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel » (7) car le salarié aurait alors perdu « les conditions requises pour l’éligibilité » (8).



[1] Art. Lp. 2432-8 C. trav. pol.

[2] Art. Lp. 2432-9 C. trav. pol.

[3] Art. L. 2314-33 in fine (1re phrase) C. trav.

[4] Art. L. 2314-33 in fine (2è phrase) C. trav.

[5] Art. L. 2324-24 in fine ancien C. trav.

[6] Art. L. 2314-26 in fine ancien C. trav.

[7] Cass. soc. 12.07.06, n° 05-60.300.

[8] Art. Lp. 2432-8 C. trav. pol.