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Rémunération des dirigeants : un peu de décence !

Publié le 25/05/2016

Les montants excessifs des rémunérations de certains dirigeants ont montré les limites de l’autorégulation. La CFDT appelle à repenser la gouvernance des grandes entreprises.

La pression monte autour de la rémunération des dirigeants. Ce n’est pas la première fois que la question suscite la polémique. Mais l’affaire de la rémunération des PDG de Renault et PSA a jeté un nouveau pavé dans la mare. Carlos Ghosn a vu sa rémunération de 7,25 millions d’euros annuels validée par le conseil d’administration malgré l’opposition de l’assemblée générale des actionnaires ; celle de Carlos Tavares a doublé. Au sommet de l’état, François Hollande parle « d’exigence morale », menaçant les organisations patronales de légiférer si elles ne limitent pas d’elles-mêmes la rémunération de leurs dirigeants. En ligne de mire, le Haut Comité Afep-Medef chargé, depuis 2013, de renforcer les codes de gouvernance et de rémunération des grandes entreprises via un guide de bonnes pratiques… dont les recommandations ne semblent pas empêcher les dérives. Sans « intervention rigoureuse » du patronat, « la première décision qui sera prise […], c’est que toutes les décisions des assemblées générales seront immédiatement exécutoires », prévient le chef de l’état. Même son de cloche à l’Assemblée nationale : la commission des affaires sociales vient d’amender la proposition de loi visant à encadrer les rémunérations dans les entreprises (débattue cette semaine dans l’hémicycle), rendant obligatoire le respect des votes des assemblées générales des actionnaires. La loi Sapin 2 sur la transparence de la vie économique, examinée à partir du 6 juin, devrait comporter une disposition identique conditionnant toute hausse de rémunération des dirigeants à une approbation en AG.

“L’appel des 40 au CAC 40”

Problème : le vote contraignant (appliqué en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Suisse) à lui seul ne permet pas de reposer la question de la gouvernance de l’entreprise. Il se contente de renforcer le pouvoir des actionnaires sans que les salariés n’aient voix au chapitre. « Le pouvoir ne peut reposer dans la seule main des actionnaires, plaide Inès Minin, secrétaire nationale. Nous appelons à une véritable cohérence interne sur la politique de rémunération afin de garantir l’équilibre entre les efforts consentis et la prise de risque des différentes parties prenantes (actionnaires, comité exécutif, salariés…). Il est d’ailleurs particulièrement choquant de voir qu’une partie des efforts demandés aux salariés ne sont pas récompensés à la même hauteur que celle des dirigeants ». C’est tout le sens de « L’appel des 40 au CAC 40 » signé par le secrétaire général de la CFDT le 19 mai dernier : « Rien qu’en 2015, la rémunération totale des patrons du CAC 40 a augmenté entre 5 et 11 % selon les évaluations, pour atteindre un montant moyen de 4,2 millions d’euros par an, soit 240 Smic. Alors que la majorité des Français a dû consentir de gros efforts depuis la crise de 2008, ces pratiques patronales remettent en question notre pacte de solidarité. » Les signataires demandent au gouvernement de légiférer pour qu’un patron ne perçoive pas plus de 100 Smic, soit 1,75 million d’euros par an. Dans les faits, cette mesure obligerait « la quasi-totalité des patrons du CAC 40 à baisser leur rémunération d’au moins 58 % ».

Le guide des administrateurs salariés

Mais la pression législative ne fera pas tout. Elle doit, revendique la CFDT, aller de pair avec un renforcement de la place des administrateurs salariés. En premier lieu, « nous souhaitons une présence systématique des administrateurs au sein des comités de rémunération pour vérifier la cohérence de la politique salariale dans l’entreprise et la répartition des différentes rémunérations du top management ou du comité exécutif », poursuit Inès Minin. Cette proposition est au cœur d’un guide méthodologique en cours d’élaboration pour aider les administrateurs à préparer leur positionnement lors des votes sur le sujet dans les AG. Il est le fruit de la réflexion menée pendant près d’un an par une dizaine d’administrateurs salariés, la Confédération et la CFDT-Cadres sur la structuration de la rémunération des dirigeants. Imposer d’autres critères d’évaluation « La révolution managériale opérée dans les années 1980-1990 a conduit à ce que le variable, censé rémunérer la performance, ne reconnaisse et ne rémunère plus que la seule performance financière. Il faut amener les administrateurs à exiger la transparence des critères de rémunération et imposer d’autres critères d’évaluation » comme la responsabilité sociale des entreprises, les relations de sous-traitance, les conditions d’emploi et de rémunération des salariés, précise le secrétaire confédéral Nicolas Fourmont. Sur certains de ces points, Afep et Medef ont esquissé ces jours-ci, sous la pression, leur volonté d’évolution, aussi timide que tardive. Mais après des années de soft law (règles non obligatoires) et les nombreux scandales démontrant l’incapacité du patronat à s’autoréguler, la rémunération des dirigeants et le mode de gouvernance des entreprises qui en découle appellent aujourd’hui un cadre réglementaire plus strict.

aballe@cfdt.fr

photo © Réa