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Réfugiés : le mouvement syndical condamne l’accord Union européenne-Turquie

Publié le 04/04/2016

L’accord qui entre en vigueur le 4 avril 2016 et qui prévoit un échange de réfugiés « un pour un » est « indigne d’une politique européenne », affirme la CFDT. Il démontre l’absence de volonté commune des pays de l’Union de prendre en compte la dimension humanitaire du problème des réfugiés.

« Avec cet accord, une fois de plus, la question des réfugiés est vue sous l’angle de la menace qu’ils représenteraient alors que ce sont d’abord et avant tout des victimes. » Ce propos d’Yvan Ricordeau, secrétaire national de la CFDT chargé des dossiers européens et internationaux, résume bien l’impasse dans laquelle l’Union européenne s’est placée en validant cet accord avec la Turquie. Une position totalement partagée par Luca Visentini, le secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats pour qui « l’Europe ferme ses portes. Les dirigeants européens ont décidé que les victimes de guerre doivent aller vivre ailleurs. Ils offrent de l’argent à la Turquie et à d’autres afin de garder les réfugiés en dehors de l’UE, sans même insister pour qu’ils vivent dans des conditions décentes ». Mais que contient exactement cet accord ? Il prévoit que la Turquie accueille les réfugiés (ou migrants économiques) qui tentent de se rendre en Grèce puis en Europe du Nord. En échange, les Européens accueilleraient un nombre équivalent – le fameux « un pour un » – de réfugiés présents sur le sol turc dans le cadre d’un mécanisme organisé et dans la limite maximum de 72 000 personnes.

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Contraire aux valeurs européennes

Immédiatement, des voix, dont celle de l’Onu et du mouvement syndical, se sont élevées pour contester la légalité du procédé et l’abandon du droit d’asile. Mais la Commission européenne se défend en affirmant qu’il suffit que la Grèce reconnaisse la Turquie comme « un pays tiers sûr » pour que la procédure de renvoi, individuelle et non collective, devienne légale et le droit d’asile respecté. Pour Frans Timmermans, le vice-président de la Commission, cette procédure serait même « l’occasion de briser le modèle économique des passeurs ». « Au-delà du débat juridique, légale ou pas, cette procédure utilisant les réfugiés comme monnaie d’échange est indigne d’une politique européenne, condamne fermement Yvan Ricordeau. Elle est même en contradiction avec les valeurs européennes de solidarité et celles du syndicalisme. » Le secrétaire national dénonce ce système d’échange qui selon lui viole les droits internationaux et va à l’encontre des traités européens. Les contreparties exigées par la Turquie, en position de force dans cet accord, portent sur deux points. Le premier est financier : l’Union européenne versera 3 milliards d’euros supplémentaires (elle s'est déjà engagée à verser 3 milliards) à la Turquie pour assurer l’accueil des migrants. L’intégration des trois millions de réfugiés a un coût estimé de 10 milliards de dollars par le gouvernement turc (lire l’encadré ci-dessous). Autre contrepartie : la réouverture du processus d’adhésion à l’Union, bloquée par la querelle autour de Chypre, et la liberté de circulation de ses ressortissants dans l’UE. « On ne peut pas cautionner le chantage d’un pays qui ne respecte pas les droits humains fondamentaux (NDLR : le journal d’opposition Zaman a été récemment mis sous tutelle) et qui a une position ambigüe dans le conflit du Proche-Orient, explique Yvan Ricordeau. Ce que veut imposer la Turquie à l’Union est dangereux. La CFDT et la CES seront très vigilantes sur les garanties données à la Turquie. »

Gérer les frontières extérieures de l'UE

Enfin, cet accord pointe les faiblesses et les incohérences de l’UE. « On fait appel aux Nations unies et à l’Otan pour venir en aide à la Grèce et à d’autres pays des Balkans parce que le reste de l’UE n’accepte aucune responsabilité », regrette Luca Visentini. « La stratégie de l’Allemagne qui a négocié seule cet accord démontre à nouveau l’incapacité de l’UE à donner une réponse commune et à gérer correctement ses frontières extérieures, ce qui devrait constituer une priorité », ajoute Yvan Ricordeau.

dblain@cfdt.fr 

     


“ Il faut trouver une solution humanitaire ”

Kemal Özkan, secrétaire général adjoint d’IndustriAll*

     
     

Le militant syndical turc Kemal Özkan renvoie l’Union européenne (UE) et le gouvernement turc dos à dos sur la question des réfugiés. « La première a un devoir de solidarité envers les réfugiés et le second, une grande responsabilité politique dans la situation de la Syrie. L’accord UE-Turquie ne constitue pas une réponse aux problèmes. Il faut trouver une solution humanitaire », explique Kemal Özkan. Il y a 2,7 millions de réfugiés enregistrés en Turquie, mais « en réalité, ce chiffre doit dépasser les 3 millions. Plus de 54 % des Syriens en Turquie sont des enfants de moins de 18 ans, 10 % des réfugiés vivent dans des camps dans le sud du pays », ajoute-t-il. Selon lui, « pour l’instant, la population turque [80 millions d’habitants] semble accepter l’intégration de ces réfugiés. Mais ces gens sont privés d’avenir. Ils ont de gros besoins en termes de santé et d’éducation. C’est un investissement très lourd. Le gouvernement estime le coût pour l’État à 10 milliards de dollars, sans compter les coûts pour les collectivités locales. Cela nécessite une coopération européenne importante ». L’intégration d’une partie des réfugiés a commencé : 400 000 d’entre eux ont déjà le droit de travailler. « Mais, prévient le syndicaliste, cela ne doit pas servir à tirer les droits sociaux vers le bas comme c’est déjà le cas dans certains secteurs. »Sur l’adhésion de la Turquie à l’UE, Kemal Özkan estime qu’elle devrait être dissociée de celle des réfugiés. « Ce serait une opportunité pour faire progresser la démocratie et les droits syndicaux dans ce pays qui connaît des dérives autoritaires depuis l’arrêt du processus d’intégration, affirme le militant, mais celui-ci ne doit pas se faire sur le dos des réfugiés. » 

* IndustriAll est la fédération internationale des travailleurs des industries.

     

 

Photo : Sergey Ponomarev / The New York Times - REDUX - Réa