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Licenciement économique : de quel groupe parle-t-on ?

Publié le 23/11/2016

Dans deux arrêts du même jour, la Cour de cassation précise ses conceptions du groupe, pour l’application du droit du licenciement pour motif économique. Le groupe à retenir pour l’appréciation de la cause économique à l’origine de la suppression d’emploi et l’évaluation des moyens mis au plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) prend un sens capitalistique. En revanche, le périmètre du groupe pour la recherche du reclassement s’entend toujours des entreprises appartenant au même secteur d’activité et parmi lesquelles la permutation du personnel est possible. Cass. soc. 16.11.16, n°14-30063, n°15-15190.

  • Procédure, faits, prétentions des parties

Dans une première affaire (P n°14-30063), une salariée, employée de libre-service, saisit le conseil de prud’hommes pour contester son licenciement pour motif économique.

En effet, comme elle travaillait pour une entreprise appartenant à un groupe, c’était donc à ce niveau, selon elle, que la situation économique devait être évaluée. Elle fait valoir à ce sujet que les différentes sociétés exploitant l’enseigne exerçaient la même activité d’exploitation de supermarchés et étaient regroupées autour de 3 structures : l’une attribuant l’enseigne et définissant les orientations stratégiques, l’autre permettant de grouper les achats et enfin les coopératives régionales assurant la fonction logistique.

La cour d’appel rejette sa demande. Selon les juges du fond, le motif économique doit être apprécié au niveau de l’entreprise, et ce, du fait de l’absence de lien capitalistique entre les différentes enseignes du réseau de distribution.

La salariée intente un pourvoi et se prévaut d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis l’arrêt Vidéocolor (1), jurisprudence selon laquelle la cause économique du licenciement s’apprécie au niveau du secteur d’activité du groupe auquel l’entreprise appartient.

  • Le groupe au sens de la cause économique de licenciement

Saisie du pourvoi, la Haute juridiction confirme la jurisprudence Vidéocolor (2), tout en  affirmant sa conception du groupe pertinent pour apprécier la cause économique du licenciement.

Pour la Cour de cassation, ce groupe s’entend de « l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L. 2331-1 du code du travail, sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe au territoire national ».

Aussi approuve-t-elle l’arrêt d’appel d’avoir constaté que si l’entreprise appartenait bien à un réseau de distribution qui constituait un groupement de commerçants indépendants, « il n’existait pas de lien capitalistique entre les sociétés, ni de rapport de domination d’une entreprise sur les autres ».

On notera au passage qu’après les errements du projet de loi Travail sur ce sujet, la Chambre sociale réaffirme que l’appréciation de la cause économique ne saurait être limitée aux entreprises du groupe situées sur le territoire national (3).

Quoi qu’on dise sur l’indépendance des contentieux relatifs d’une part au PSE, et d’autre part à la justification du licenciement (relevant respectivement de la juridiction administrative et prud’homale), cette  solution s’accorde plutôt mal avec celle malheureusement retenue par le Conseil d’Etat. En effet, dans l'arrêt Heinz (4), celui-ci admet une délimitation géographique du groupe au regard de l’information à fournir au comité d’entreprise.

Quant à la notion de groupe pour l’appréciation de la cause économique, il s’agit, à notre connaissance, de la première fois que la Cour de cassation en donne les contours précis. Cette définition renvoie à la notion de groupe retenue pour la mise en place du comité de groupe (article L. 2331-1 du Code du travail), c’est-à-dire à « l’entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle » au sens du Code de commerce :

-sociétés dont plus de la moitié du capital est détenue par une autre,

-sociétés dont une autre détient « directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote »,

-sociétés dont une autre société détermine en fait les décisions des assemblées générales,

 -société dont une autre dispose le pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration…

Bref, il s’agit bien d’un contrôle exercé par une société dite « dominante » (ce qui est plus large que « société mère ») par le biais capitalistique : les actions détenues (ou le capital) générant d’une manière ou d’une autre un pouvoir sur les principales décisions de l’autre société.

Reste que cette définition du groupe diverge de celle opérant pour la recherche d’un reclassement, ce qui n’est pas sans soulever quelques interrogations.

  • Le groupe et le licenciement pour motif économique, une notion fonctionnelle

L’arrêt de rejet par lequel se prononce la Haute juridiction dans cette affaire est tout autant nimbé de solennité que de didactisme, celui-ci étant publié et accompagné d’une note explicative.

La note revient sur l’absence de définition unique du groupe en droit français, la coexistence de définitions différentes en droit commercial et en droit du travail, et le caractère « protéiforme suivant l’objectif recherché » de cette notion. En d’autres mots, la Cour de cassation rappelle dans cette note explicative que la notion de groupe est fonctionnelle, c’est-à-dire qu’elle varie selon les règles qu’il convient d’appliquer.

La Haute juridiction va d’ailleurs illustrer ses propos dans les deux arrêts rendus le même jour, puisque les juges vont tour à tour appliquer chacune des définitions du groupe : l’une pour l’appréciation de la cause économique, l’autre pour la vérification de la recherche d’un reclassement.

Tout en rejetant la demande sur ce point également (pour une raison liée à la charge de la preuve), la Cour de cassation rappelle en effet que lorsque l’entreprise appartient à un groupe, la recherche d’un reclassement doit être effectuée parmi les entreprises du groupe permettant la permutation de tout ou partie du personnel (5).

Ce caractère fonctionnel de la notion, qui ne se limite pas à des divergences entre branches du droit, mais qui traverse le droit du licenciement économique lui-même, laisse un peu perplexe, même si l’on conçoit que les finalités puissent être différentes.

Une interrogation surgit : quelle définition retenir pour apprécier la validité du PSE au regard de moyens du groupe ? Capitalistique assurément, si l’on conçoit celui-ci comme un plan indemnitaire ; calée sur le périmètre de recherche du reclassement si, au contraire, on croit encore à cet aspect.

D’abord reconnue par la jurisprudence, l’obligation d’apprécier la validité du PSE par rapport aux moyens du groupe a d’abord été reconnue par la loi de modernisation sociale en 2002. Elle a été reprise par la loi du 14 juin 2013 lorsque le PSE est le fruit d’un document unilatéral élaboré par l’employeur seul (article L. 1233-57-3 du Code du travail).

  • Le groupe pour l’appréciation des moyens mis au PSE

C’est pourtant la définition de type capitalistique qui est retenue par le deuxième arrêt rendu le même jour (P n°15-15190), lui aussi accompagné d’une note très didactique rappelant l’évolution de la législation et la jurisprudence de la Cour de cassation, mais aussi celle plus récente du Conseil d’Etat (6).

Dans cette veine, la Cour de cassation confirme que la recherche d’un reclassement doit se faire « parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel ».

Il en va différemment, selon la Haute juridiction, du groupe pertinent pour l’appréciation des moyens mis au PSE : « la pertinence doit s’apprécier compte tenu des moyens de l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L. 2331-1 du Code du travail sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national ».

On peut regretter que cette option conduise finalement à une conception plutôt monétaire du PSE (alors qu’il doit contenir un plan de reclassement…). Néanmoins, comme le souligne la Cour de cassation dans sa note, il est vrai que "l' obligation de contribution au PSE" est d’une nature particulière, puisqu’aucune obligation ne pèse en réalité sur les autres sociétés du groupe, seul l’employeur étant tenu de solliciter ces moyens. Peut être alors que, dans ce cas, une conception capitalistique du groupe est plus adaptée.

 

(1)     Cass.soc. 05.04.95, n°93-42690.

(2)     Dont elle reprend les motifs : « la cause économique s’apprécie au niveau de l’entreprise ou, si celle-ci fait partie d’un groupe, au niveau du secteur d’activité du groupe dans lequel elle intervient ».

(3)     Elle l’avait déjà affirmé dans un arrêt du 12.06.01, n°99-41571. Quant à la loi Travail, elle avait inscrit dans un premier temps cette référence au périmètre géographique national. Cette référence a été retirée, notamment à l’instigation de la CFDT.

(4)     Conseil d’Etat, 22.07.15, n°385816.

(5)     Cette solution avait déjà été affirmée en 1995, dans un arrêt TRWA du même jour que Vidéocolor.

(6)     Arrêt Calaire Chimie, Conseil d’Etat, 22.07.15, n°383481.