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[Interview] “Retrouver le goût du faire ensemble”

Publié le 16/12/2016

Dans un long entretien accordé à Ouest France daté du 15 décembre 2016, Laurent Berger fait le tour de l'actualité sociale de cette fin d'année, en réaffirmant les positions de la CFDT.

Une présidentielle 2017 sans Hollande, sans Sarkozy, sans Juppé : surpris ?

Oui comme tout le monde. En même temps, cela dit des choses sur une aspiration générale au renouvellement. Mais, plus que le casting, ce qui m’intéresse, ce sont les propositions de fond. La capacité des candidats en lice à penser le progrès et l’avenir.

Vous ne vous positionnerez pas en faveur d’un candidat ?

Non. La CFDT n’aura pas d’esprit partisan dans la présidentielle hormis un discours extrêmement clair sur les dangers du Front national. Je donnerai toute mon énergie pour qu’il n’accède jamais au pouvoir.

La société déprime…

Notre pays vit de profondes mutations. Il ne croit plus dans un devenir collectif. Il faut que les politiques redonnent le goût de la confiance, du progrès et du faire ensemble. Bref, une vision sans simplement promettre de la sueur et des larmes.

Dans un environnement où les cartes sont rebattues…

La mondialisation, la révolution technologique et numérique bouleversent les façons de vivre. La transition écologique est un levier de créations d’emplois à condition de lui donner un cadre et des impulsions politiques fortes. Quant à la mutation démographique et la question des migrants, elles nécessitent un discours de vérité, de courage et d’ouverture de la part des politiques.

Le programme social de Fillon vous inquiète en dépit de son rétropédalage sur la santé ?

Oui. Sur la Sécurité sociale, le remboursement des soins, les retraites, les services publics, le dialogue social et le syndicalisme dans l’entreprise, Fillon frappe fort. On doit rencontrer Gérard Larcher cette semaine pour lui dire nos craintes. On attend des politiques des solutions et pas la recherche de coupables ou de boucs émissaires. Ce serait pour certains les syndicats, pour d’autres les fonctionnaires ou les étrangers. Je ne crois pas à l’homme providentiel mais à une société capable de construire du progrès et du bien commun. La vie des gens, notamment les chômeurs, ne commencera ni ne s’arrêtera en mai 2017.

À l’issue des élections dans les TPE (30 décembre-13 janvier), la CFDT pourrait ravir la place de n° 1 à la CGT en 2017 ?

Ce qui se joue, c’est deux visions du syndicalisme, celle des dogmes et celle qui incarne une prise en compte du réel pour le transformer et construire du progrès par la voie de la négociation collective et le dialogue social.

La place du syndicalisme dans notre société est-elle menacée ?

Comme toutes les institutions, il doit se réinventer pour faire face aux mutations de la société. On souffre sans doute d’une image véhiculée par les vieux schémas. Il faut qu’il regarde la réalité du monde du travail en face y compris les attentes des salariés sans céder aux postures. La CFDT a fait cette évolution. Notre démocratie vit un moment difficile. Dans ces moments-là, il faut s’appuyer sur ses valeurs et les corps intermédiaires. La CFDT est fière d’être utile aux salariés en ayant œuvré pour la complémentaire santé, le compte personnel de formation, la garantie jeunes, les droits rechargeables à l’assurance chômage. J’espère - et je fais le pari - que 2017 va montrer que la CFDT compte dans le paysage.

Le dialogue social, c’est compliqué ?

On ne réinventera un futur qui concilie le progrès social avec les changements du monde qu’avec un dialogue apaisé, dense et tonique Je ne veux pas une société lisse qui nierait les inégalités, les difficultés, les problèmes. Je veux une société où justement les vrais problèmes sont mis sur la table pour trouver les compromis autour desquels s’articulent performance économique, bien-être social, respect de l’environnement et écoute du citoyen à travers une démocratie revivifiée. Il faut juste un peu de bonne volonté et que chacun sorte de ses ornières. Qui à part la CFDT a été capable ces derniers temps de porter cette ambition-là ? On m’a insulté, menacé mais je suis toujours resté en phase avec les valeurs d’une CFDT plus unie que jamais.

De quoi rêvez-vous pour la France ?

Qu’elle se pose les bonnes questions. C’est quoi faire société aujourd’hui ? Comment faire vivre nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Je pense qu’on a trop oublié la fraternité. Qu’on arrête de faire croire que le progrès ce serait de serrer la vis à tout le monde, de chercher le coupable : ça ne marchera pas. Oui, qu’on arrête de monter les uns contre les autres. Sinon, cela nous amènera tout droit au Front national.

Propos recueillis par Pierre Cavret