Passeur d’écolologie abonné

Directeur général du WWF France, Pascal Canfin voit dans ses expériences passées autant de leviers pour actionner les manettes de la transition écologique. Une ambition assumée, qu’il ne conçoit pas en solitaire, comme en témoigne son livre d’entretiens avec Laurent Berger Réinventer le progrès.

Par Aurélie Seigne— Publié le 29/11/2016 à 16h03

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D’où vous vient l’envie de vous battre pour l’écologie ?

De la prise de conscience de vivre sur une planète aux ressources limitées. Ça n’a pas toujours été ma préoccupation première ; c’est la naissance de mes enfants qui m’a fait prendre conscience que nous ne pouvons pas léguer une planète aussi mal en point aux générations suivantes. Et c’est maintenant qu’il faut agir ! C’est à notre génération, qui a toutes les données du problème et est en train
de prendre les manettes de la société, qu’il appartient d’apporter des solutions.

MYOP.DAJ15035D17N’aurait-il pas fallu agir plus tôt ?

Il y a vingt-cinq ans, les menaces sur la biodiversité, la surpêche, les tensions sur les ressources en eau et le changement climatique n’étaient pas connus comme ils le sont aujourd’hui. Nous sommes la première génération à avoir accès aux informations, à disposer de solutions technologiques et à encore avoir le temps d’agir. En parallèle, nous sommes sur des sujets où les effets de cliquet sont importants : il faut trente-quarante ans avant de mesurer les effets d’un changement de cap. C’est donc maintenant qu’il faut prendre les bonnes décisions sur le logement, les transports, l’urbanisme, l’alimentation…

Lorsque de journaliste à Alternatives économiques vous devenez député européen, aviez-vous envie de passer du statut d’observateur à celui d’acteur ?

Oui, clairement. Même si je considère que je n’étais pas simple observateur en tant que journaliste à Alternatives économiques, qui est
un journal engagé. C’était une manière de franchir le pas.

Et en vous investissant au Parlement européen sur les questions d’économie, de finances, de fiscalité, s’agissait-il de faire sortir l’écologie de la niche environnementaliste ?

Mon histoire, c’est l’économie. Je suis journaliste économique. C’est ma grille de lecture. Or l’écologie compte peu d’économistes et d’expertise en la matière. Son parcours, à l’origine, est davantage scientifique. Si l’on veut prétendre être aux manettes et conduire la transition, il faut en intégrer toutes les dimensions : la politique industrielle, la politique monétaire, la fiscalité, le droit social… Car les ajustements doivent se faire, mais il n’est pas question que les salariés en soient les victimes !

Et comment éviter que les salariés deviennent les victimes collatérales de la transition ?

Il faut créer un contrat de transition écologique pour garantir une rémunération et une formation aux salariés d’industries dont l’activité est directement touchée par la transition écologique, le temps que les nouvelles activités émergent. Il faut prévoir le dispositif contractuel et institutionnel qui permette une transition sans blocages par peur du lendemain. Ces derniers temps, on a vu beaucoup d’acteurs bloquer au nom du court terme. Or on ne peut figer l’histoire à un instant T. C’est d’ailleurs ce que j’apprécie à la CFDT : cette capacité à penser les changements du monde, à y voir les opportunités mais aussi les menaces et à les gérer ; c’est-à-dire à continuer de faire progresser les droits dans un monde qui change.

Mais pour beaucoup, la transition écologique reste au mieux une utopie…

Nous sommes à un moment de l’histoire où notre logiciel installé depuis la révolution industrielle se heurte à une donnée nouvelle : la finitude du monde. Il est illusoire de penser que nous, humains, aurions la capacité de repousser les limites de la planète. De ce point de vue, l’écologie n’est pas une utopie mais une forme de retour à la réalité. L’utopie, c’est de penser que demain sera comme avant.

Retour à la réalité, ce n’est pas très porteur comme discours…

De nombreuses études montrent l’impact positif à attendre de la transition écologique, notamment en matière d’emplois. Regardez en Allemagne : la transition énergétique a créé beaucoup plus d’emplois qu’elle n’en a détruit. Idem dans l’agriculture : lorsqu’on remplace les pesticides par du travail humain, c’est positif pour l’emploi. Mais trop rares sont ceux qui le disent.

Pour quelles raisons ?

Je pense que comme les écologistes manquent de discours de nature économique, ils ont tendance à s’en tenir à un impératif moral, éthique. Ce que je ne remets pas en cause, puisque c’est à l’origine de mon engagement. Mais il ne suffit pas à lui seul. C’est tout l’objectif du livre avec Laurent Berger. Montrer que nous avons intérêt à nous engager dans la transition écologique car cela fait sens, à la fois comme direction et comme évidence. Le livre vise précisément à formuler des propositions concrètes incarnant ce discours porteur.

Et que dites-vous à ceux qui perçoivent l’écologie comme une lubie de “bobos” à fort pouvoir d’achat ?

Au contraire ! De nombreuses études montrent que les inégalités environnementales recouvrent largement les inégalités sociales. Il faut sortir d’un système où ce sont les moins aisés qui respirent l’air le plus pollué, mangent le plus mal et souffrent le plus de cancers et d’obésité. Il faut renouer avec le progrès social aussi par le partage des bénéfices environnementaux.

Pourquoi avoir accepté, en 2012, un poste de ministre délégué au Développement alors que vous étiez un membre actif
du Parlement européen ?

C’était un nouveau challenge. De la même manière que devenir directeur général du WWF France. Je connais le fonctionnement
des institutions en Europe et en France. C’est une richesse pour porter la parole de la société civile. Ma plus grande fierté, au Parlement européen, est d’avoir contribué à la création de Finance Watch. Il était nécessaire, surtout après la crise financière que nous avons vécue, d’avoir une contre-expertise indépendante des intérêts privés. C’est sans doute la seule fois où des parlementaires de tous les groupes politiques ont demandé à la société civile de s’organiser pour les aider à bien faire leur travail. De la même manière, pour la transition écologique, si le premier syndicat et l’une des premières organisations environnementales de France disent « voilà un chemin commun et possible », c’est puissant.

Avez-vous le sentiment d’être plus efficace dans la société civile que dans le monde politique ?

Il ne faut pas opposer les leviers d’action. On meurt d’une politique qui oppose au lieu d’additionner. Si l’on oppose, on n’a…

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