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CDD : conséquences d’une requalification sur les allocations chômage

Publié le 06/04/2016

Lorsque des CDD non successifs sont requalifiés en CDI, les indemnités chômage perçues par le salarié entre deux CDD ne doivent pas être déduites du montant des rappels de salaire. C’est la précision apportée par la Cour de cassation dans un arrêt récent. Cass.soc., 13.03.16, n°15-11396.

  • Les faits, la procédure

Depuis le 1er juin 1983, un chef opérateur son-vidéo a travaillé pour le compte de la société France Télévision dans le cadre de...769 CDD. Jusqu’au jour où, à l'issue d'un ultime contrat, l’entreprise décide de ne plus faire appel à ses services, soit 26 ans plus tard !
Face à cette fin de collaboration un peu brutale, le salarié saisit le Conseil de prud’hommes afin de faire requalifier la relation de travail en contrat à durée indéterminée, d’obtenir le paiement des sommes inhérentes à cette requalification ainsi que celles liées à la rupture du contrat.

Le problème soulevé ici ne porte pas tant sur la requalification en elle-même, que les juges du fond ont bien évidemment prononcée, que sur le montant des sommes liées à cette requalification. En effet, la cour d’appel a condamné l’employeur à payer des rappels de salaire pour l’ensemble des périodes non travaillées séparant les CDD, autrement dit, pour l'ensemble des  « périodes interstitielles ».

Si l’employeur accepte le principe de la requalification en CDI et le fait de payer au salarié des périodes pendant lesquelles aucune prestation de travail n’a été fournie, il considère néanmoins que ce salaire doit être diminué du montant des allocations chômage perçues par le salarié au cours de ces périodes d’inactivité. Censuré par la cour d’appel, l’employeur se pourvoit en cassation.

Les allocations chômage doivent-elles être déduites du montant des rappels de salaire en cas de requalification de CDD non successifs en CDI ?

Non, répond la Cour de cassation, qui valide le calcul opéré par les juges du fond : le calcul de rappels de salaire consécutifs à une requalification de CDD en CDI étant une obligation contractuelle, il « n’est pas affecté par les sommes qui ont pu être versées au salarié par l’organisme compétent au titre de l’assurance chômage ».

  • Requalification et périodes « interstitielles »

Pour rappel, un CDD ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. En cas de manquement, le contrat peut être requalifié en contrat à durée indéterminée.
Le salarié peut alors percevoir une indemnité de requalification ainsi qu’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs, lorsque les contrats requalifiés ne sont pas successifs, le salarié a la possibilité de demander le rappel de salaire pour les périodes non travaillées séparant deux CDD. Encore faut-il pour cela que le salarié apporte la preuve qu’il est resté, sur ces temps-là,  à la disposition de l’employeur(1).

En l’espèce, le salarié a, 26 années durant, travaillé dans le cadre de contrats dont la durée variait entre 1 jour et plus d’1 mois. Contrats le plus souvent journaliers, et pouvant s’enchaîner sans interruption.  Les missions pouvaient n’être confirmées qu’au jour le jour, ce qui n’offrait au salarié aucune visibilité ni certitude quant à la durée de sa mission ou de la durée de la période ultérieure pendant laquelle il resterait sans contrat.
Pire encore, le salarié soutient que le plus souvent ses collègues et lui-même n’étaient appelés que le matin pour le jour même, que les dates de début et de fin de mission (quand elles étaient transmises aux salariés) ne l’étaient qu’à titre indicatif et faisaient de toutes façons fréquemment l’objet de modifications.

Pour résumer, l’incertitude du salarié quant à la durée de sa mission, de ses périodes d’inactivité, renforcée par la signature de contrats journaliers, ont conduit les juges à considérer que le salarié se tenait effectivement en permanence à la disposition de son employeur durant les périodes séparant 2 contrats. Ils retiennent donc l’existence d’un contrat à durée indéterminée couvrant également les périodes interstitielles.  Cette requalification permet ainsi au salarié d’obtenir des rappels de salaire pour ces périodes non travaillées.

 

  • Requalification et allocations chômage

Une fois le principe de la requalification posé, reste à savoir comment est déterminé le montant des rappels de salaire. Pour le salarié, ce montant doit être calculé sur la base du tarif journalier applicable aux intermittents pour les périodes où il était en CDD, et sur la base des règles réservées aux CDI pour les périodes non travaillées, autrement dit la possibilité de percevoir pour celles-ci le salaire qui lui aurait été versé s’il avait travaillé.

L’employeur soutient au contraire que la base de salaire doit être celle qu’il aurait perçue s’il avait travaillé normalement sur cette période, tenant même compte de l’ancienneté acquise depuis l’embauche. Seulement, tout en procédant à ce calcul, l’employeur déduit  du rappel de salaire les indemnités chômage que le salarié a perçues durant les périodes interstitielles.

La Cour de cassation ne valide pas cette déduction : les rappels de salaire consécutifs à une requalification des CDD en CDI constituent une obligation contractuelle pour l’employeur. Ce dernier doit verser au salarié le salaire qu’il aurait perçu s’il avait travaillé et n’a donc pas à tenir compte des sommes qui ont pu être versées au titre d’indemnités chômage.

Cette solution est très favorable au salarié. Elle peut aussi conduire à se demander si le salarié ne serait pas, du coup tenu, de reverser à Pôle Emploi les sommes qu’il a perçues sur ces périodes et pour lesquelles il a finalement été payé. Non, c’est en principe l’employeur fautif qui peut être condamné, à certaines conditions, à rembourser ces indemnités versées à un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse ou dont la procédure de licenciement pour motif économique est nulle(2).

 



(1) Cass. soc. 19.06.15, n°14-16277.

(2) Art. L. 1235-4 C.trav.