Chez Federal-Mogul, la CFDT concilie compétitivité et conditions de travail

Publié le 11/10/2016

Propriété de Renault puis du groupe TRW et, enfin, du géant Federal-Mogul, l’usine de soupapes pour moteur d’Orléans-La Source est au cœur des transformations de l’industrie automobile. Ultramajoritaire, la CFDT s’emploie à préserver l’activité tout en veillant aux conditions de travail des salariés.

« Quand je suis entré dans l’entreprise, dans les années 90, les gens autour de moi disaient : qu’est-ce que tu vas faire dans cette galère, tu es fou, l’usine va bientôt fermer ! Vingt ans plus tard, nous sommes toujours là. Cela montre que la CFDT n’a pas fait un si mauvais boulot… » En quelques mots, Alain Gallon, secrétaire CFDT du CHSCT, résume parfaitement l’état d’esprit des militants syndicaux de cette usine spécialisée dans la fabrication de soupapes et de poussoirs pour l’industrie automobile. Ici, les beaux discours et les promesses de Grand Soir n’ont pas leur place. Tous regardent la réalité en face et restent modestes. Leur usine est parvenue jusqu’à présent à survivre aux vagues de délocalisations dans les pays à bas coût et à la crise de la filière automobile de 2008, mais l’avenir des petits établissements qui travaillent pour les grands constructeurs est toujours incertain. La perte d’un marché, la construction d’une usine concurrente dans un pays moins cher ou tout simplement le revirement stratégique de la maison mère américaine peut remettre à tout instant en cause le fragile équilibre qui a été trouvé jusqu’à présent.

Maintenir l’activité et l’emploi

     

Priorité à l’activité
Pour les élus CFDT, la préservation de l’activité a toujours été une priorité. Ce positionnement est fondamental à l’heure où l’usine est la propriété d’un groupe mondial qui agit davantage en financier qu’en industriel. L’avenir à long terme du site n’est clairement pas une de ses priorités comme le montre l’absence de nouvelle embauche ou le faible intérêt porté à l’apprentissage.

Syndicalisme de proposition
Pour concilier compétitivité et conditions de travail, les élus n’ont cessé de dialoguer avec la direction en n’hésitant pas à faire des contre-propositions, notamment en matière d’organisation du travail. La dernière négociation sur les salaires illustre également cet état d’esprit. Ils ont accepté un gel des rémunérations sur deux ans, mais ont obtenu en contrepartie la prise en charge par l’employeur de la quasi-intégralité de la complémentaire santé ainsi qu’un coup de pouce sur la participation.

Grande proximité avec les salariés
La section est en contact permanent avec les salariés. Grâce au nombre élevé de militants CFDT (26 salariés sur un effectif global de 131), l’information circule très vite dans toute l’usine. Et pour les négociations les plus sensibles, la section leur demande directement leur avis avant de s’engager. Une forme de démocratie participative.

     

« Notre objectif a toujours été de défendre l’activité et les emplois, même si parfois nous avons dû faire des concessions difficiles », explique un militant qui affiche plus de trente ans d’ancienneté dans l’entreprise. Il faut dire que l’histoire de cette usine, située à quelques kilomètres d’Orléans, n’a rien d’un long fleuve tranquille. Propriété de Renault, elle a été vendue au sous-traitant américain TRW Engine Components au milieu des années 90 qui l’a à son tour revendue au groupe américain Federal-Mogul en 2015. Entre-temps, les effectifs ont fondu, de nouvelles machines sont arrivées et l’activité a été regroupée sur un seul site au lieu de deux. Pendant toute cette période, les organisations syndicales ont donc dû faire face à de nombreux changements en veillant à ce que cette restructuration se fasse sans départs contraints pour les salariés. « À l’époque, nous avons eu la chance d’avoir une CGT pragmatique qui a joué le jeu, se souvient Didier Renuy, encarté à la CFDT depuis 1983. Nous avons ainsi pu négocier et obtenir du propriétaire américain le maintien de l’activité en acceptant en échange de revenir sur quelques acquis qui dataient de l’époque Renault. Nous avons signé un accord de compétitivité avant l’heure en quelque sorte. »

Aujourd’hui, l’usine emploie 131 salariés qui se relaient 24 heures sur 24 sur huit lignes de fabrication et deux lignes de poussoirs. Certaines équipes ne travaillent que la nuit, tandis que les autres alternent les matins et les soirs. Le paysage syndical a également bien évolué. La CFDT est devenue la quasi unique organisation de l’établissement en remportant 13 des 14 sièges à pourvoir aux dernières élections de juin 2016. Et avec une section de 26 adhérents, elle est présente dans tous les secteurs de l’entreprise – sauf chez les cadres, qui ont encore du mal à franchir le pas de la syndicalisation. « Notre succès aux dernières élections professionnelles montre bien que les salariés approuvent notre démarche, souligne le délégué syndical CFDT Patrice Taright. Ils ont pu constater que nous sommes capables d’être à la fois extrêmement combatifs lorsque nous estimons que les demandes de la direction ne sont pas justifiées et constructifs pour que les revendications portées par la CFDT ne mettent pas à mal la compétitivité du site. »

Une (bonne) solution CFDT

La dernière négociation sur le temps de travail, en janvier 2015, illustre ce positionnement de la section. La direction, qui a essayé de faire passer en force une nouvelle organisation du travail, s’en souvient encore. Tous les salariés de la production se sont mis en grève à l’appel de la CFDT. Le mouvement a duré cinq jours… avant que la direction accepte la contre-proposition des élus du personnel. « Pour sortir du conflit, nous n’avons pas défendu le statu quo, explique Patrice. Nous avons proposé une solution qui convenait aux salariés, un temps de production plus long sans augmenter le temps de présence sur le site et le temps de travail, le tout en permettant de baisser de 7 % le coût de chacune des pièces produites. L’une des contreparties obtenues est que les heures supplémentaires ne sont plus obligatoires. »

Heureusement, tous les conflits avec la direction ne se transforment pas en mouvement de cette ampleur. Le dialogue social se passe plutôt bien en général. Même si les motifs de tensions ne manquent pas, car la guerre des prix dans l’industrie automobile pousse la direction à demander toujours plus d’efforts aux salariés. « Aujourd’hui, la question des conditions de travail est posée. À force d’en demander toujours plus aux opérateurs, nous sommes arrivés à un point critique, souligne l’élu CFDT José Fernandez. Dès qu’un collègue est malade ou qu’une machine a un problème, on se retrouve en difficulté. »

Un juste équilibre à trouver

Cette question des effectifs est d’autant plus prégnante que la direction souhaite manifestement aller plus loin en diminuant encore le nombre d’ouvriers par ligne sans faire grand cas de l’avis des élus du personnel. « Avant toute décision de réduire le personnel sur les lignes, nous avons demandé que soient apportées des améliorations sur les postes de travail et que des expérimentations soient mises en place avant toute décision définitive, explique Patrice. Nous devons trouver le juste équilibre entre les conditions de travail du personnel et la compétitivité. Mais les discussions sont d’autant plus tendues que nous savons pertinemment que l’usine a remporté de nouveaux marchés en s’engageant auprès des constructeurs sur des prix calculés au plus juste. »

Sur ce sujet sensible, l’équipe CFDT maintient le cap qu’elle s’est fixé. Ne pas sacrifier les conditions de travail des salariés sans non plus fermer les yeux sur la réalité économique. « C’est un exercice d’équilibriste, mais c’est ce qu’attendent de nous les salariés, conclut Patrice. D’ailleurs, nous ne prenons aucune décision majeure sans les consulter au préalable. Nous sommes un petit établissement, et l’information circule très vite. C’est eux qui ont le dernier mot à la fin. »

jcitron@cfdt.fr

     

Repères

• Federal-Mogul, équipementier automobile américain fondé en 1899 dont le siège se situe à Southfield, dans le Michigan, emploie 45 000 salariés dans 34 pays.

• L’usine de fabrication de soupapes et de poussoirs d’Orléans-La Source a été rachetée par le groupe en 2015. Elle produit 20 millions de soupapes et 8 millions de poussoirs par an pour les principales marques automobiles. Elle emploie 131 salariés (contre environ 400 en 2006).

• La CFDT détient 13 des 14 sièges en DUP (délégation unique du personnel).