Chez Aperam Imphy, la CFDT mise sur la transmission des compétences

Publié le 25/05/2016

Afin d’assurer une meilleure transmission des compétences dans l’entreprise, la CFDT a négocié un accord national sur le tutorat. Chaque nouveau salarié, quel que soit son statut ou sa fonction, peut compter sur le savoir-faire d’un collègue.

Dans l’industrie, la transmission des compétences entre collègues avait toujours été une évidence. Souvent embauchés jeunes et inexpérimentés, les salariés commençaient comme apprentis ou se formaient « sur le tas » grâce au savoir-faire des anciens. Cette organisation du travail « à l’ancienne » n’a malheureusement pas résisté aux difficultés économiques du secteur et aux mutations du monde du travail de ces vingt dernières années. Le faible niveau d’embauche et les départs massifs à la retraite de la génération du baby-boom ont fragilisé nombre d’entreprises qui n’ont pas pu ou pas su organiser sereinement la transmission des savoirs en interne. C’est ainsi le cas d’Aperam. Issu d’une scission d’ArcelorMittal en 2011, ce groupe spécialisé dans les inox et les alliages doit aujourd’hui faire face à un important renouvellement de ses salariés. Sur son site d’Imphy, dans la Nièvre, où travaillent plus de 700 salariés, l’entreprise recrute depuis quelques années une quarantaine de personnes par an pour remplacer les départs à la retraite.

Un tutorat encadré

La question de la transmission des compétences est donc devenue centrale. C’est dans ce contexte propice qu’un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ambitieux a pu être négocié en 2012 au niveau national, signé par la CFDT et la CFE-CGC, et que l’organisation du tutorat dans le groupe a été revue.

     
Un accord plébicité

Lancée en 2012, la nouvelle organisation du tutorat dans l’entreprise satisfait la CFDT comme la direction. La section y voit une reconnaissance de l’investissement des salariés au quotidien et un enrichissement de leur travail. Signe que la direction y trouve également son compte, elle a accepté en 2015 d’augmenter la prime pour les salariés qui assurent le tutorat d’un nouveau collègue.

Une lutte contre la précarité
Très remontée contre l’utilisation abusive de l’intérim et des CDD, la CFDT s’est engagée dans la négociation GPEC en 2012 avec la ferme intention de freiner cette dérive que l’on retrouve dans toute l’industrie. « Nous étions arrivés à un point où les salariés ne voulaient plus transmettre leurs compétences à des collègues
qui n’auraient pas la possibilité de rester dans l’entreprise », se rappelle la déléguée syndicale centrale CFDT, Christiane Graillot.

Une évaluation prermanente
La CFDT de l’entreprise suit la bonne application de l’accord GPEC et interpelle la direction lorsqu’elle s’aperçoit que les mauvaises habitudes réapparaissent. Chaque année, elle fait le point avec la direction sur le nombre de personnes qui ont été tuteurs, sur leur âge et leur expérience dans l’entreprise et enfin, sur leur formation.

     

« Il y a toujours eu une forme de tutorat chez Aperam, souligne Christiane Graillot, déléguée syndicale centrale CFDT, mais il n’était jusqu’à présent pas reconnu ni identifié en tant que tel. Grâce à cet accord, nous avons défini des règles claires. » La CFDT a notamment obtenu qu’un tuteur ne suive qu’un seul salarié à la fois et que son rôle pédagogique soit renforcé. La direction avait en effet tendance à désigner un tuteur pour une dizaine de salariés sans forcément tenir compte des savoir-faire à transmettre. Elle a également obtenu que les salariés qui allaient devenir tuteurs suivent une formation de deux jours et reçoivent une prime pour leur investissement. « Nous ne devenons pas tuteur pour toucher cette prime, insiste Christiane. Pour la plupart d’entre nous, c’est totalement normal de former un nouveau collègue et c’est plutôt enrichissant d’expliquer à quelqu’un son travail. Mais cette prime est une reconnaissance bienvenue d’autant que cette tâche de transmission s’ajoute à notre travail quotidien. Il n’y a pas un temps dévolu à cette activité. » L’originalité de cet accord est également qu’il concerne tous les secteurs de l’entreprise – la production comme les bureaux et les fonctions supports – et tous les salariés, qu’ils soient en CDI, en CDD ou en intérim.

Les chiffres montrent aujourd’hui la pertinence de cette nouvelle organisation. Et, signe que la direction est tout aussi satisfaite de ce dispositif que la CFDT, elle a accepté d’augmenter en 2015 la prime de tuteur de 35 euros à 45 euros par mois. Sur le site d’Imphy qui a particulièrement su faire vivre cet accord, 56 salariés ont été tuteurs en 2013, 75 en 2014 et 68 en 2015. « Tout le monde s’y retrouve, insiste Christiane. L’entreprise y voit une réponse à son problème de transmission des compétences, les tuteurs sont reconnus et en quelque sorte “professionnalisés” et les tutorés voient leurs premiers pas dans l’entreprise facilités. »

Une école interne

L’année où l’accord GPEC a été signé, l’entreprise a également mis sur pied, avec l’aval des organisations syndicales, une école interne, l’école de la métallurgie et des alliages (EMA), située à Imphy. Depuis 2012, une douzaine de salariés bénéficient de cette formation en alternance chaque année. Thierry a fait partie de l’une des premières promotions. à 50 ans – l’accord GPEC prévoit également des objectifs en matière d’emploi des seniors –, il est retourné en classe, non sans mal. Alors qu’il était embauché comme intérimaire, la direction lui a proposé un challenge : s’il acceptait d’intégrer l’EMA et qu’il en ressortait diplômé, un CDI lui serait proposé. « Pour moi qui ne venais pas de la métallurgie et avais quitté l’école très jeune sans diplôme, cela n’a pas été si facile, raconte-t-il. J’ai un peu stressé. Certains soirs après le travail, j’ai même révisé les cours chez moi alors que les formateurs nous disaient bien que cela n’était pas nécessaire.  »

La partie pratique lui a paru plus simple, d’autant qu’il pouvait compter sur son tuteur. Tous les quinze jours, ils faisaient un point ensemble pour valider les compétences acquises, celles en cours d’acquisition et celles qui restaient à acquérir. Arrivé dans l’usine en 1990, Lionel connaissait parfaitement son poste et avait déjà formé plusieurs collègues. Assurer ce suivi ne lui a pas posé de grandes difficultés, d’autant qu’il avait reçu la formation pour être tuteur. « Dans les années 2000, nous étions douze à connaître les machines sur lesquelles Thierry a été formé, résume-t-il. Avec les départs à la retraite, nous nous sommes retrouvés à quatre. à chaque fois que quelqu’un était malade, nous devions arrêter la production. Former de nouveaux salariés était donc une priorité. Aujourd’hui, j’ai même pu changer de poste dans l’entreprise. La transmission a été assurée. »

Une précarité (encore) trop grande

Pour autant, tout n’est pas rose dans le groupe. La CFDT déplore toujours l’utilisation massive de l’intérim et des contrats en CDD. C’est devenu une sorte de norme. Un salarié commence par dix-huit mois d’intérim puis un ou deux CDD avant de se voir proposer un CDI s’il a de la chance. à plusieurs reprises, d’excellents éléments ont été obligés de quitter l’entreprise car la fin de leur dernier CDD a correspondu à une période de baisse de la production. « Quand on a formé quelqu’un, qu’il s’est intégré dans l’équipe mais qu’on ne lui propose pas de CDI, c’est humainement désastreux pour la personne, économiquement aberrant pour l’entreprise et démotivant pour les salariés, déplore Christiane. Nous dénonçons ces abus, mais c’est un combat difficile à mener tant cette organisation du travail est entrée dans les mentalités. à une époque, le turnover était tellement important que les salariés ne voulaient même plus former leurs nouveaux collègues. Nous avons réussi à redresser un peu la barre, notamment grâce à cet accord GPEC, mais il reste encore beaucoup de progrès à faire », conclut-elle.

jcitron@cfdt.fr

     
Le groupe Aperam, acteur mondial de l’acier inoxydable, produit principalement dans 6 usines, situées en France, en Belgique et au Brésil. Il emploie 10 000 salariés, dont 2 500 en France. La CFDT est la première organisation syndicale du groupe en France avec 36,8 % aux élections professionnelles de 2015, devant la CGT (32,6 %), la CFE-CGC (16 %) et FO (9,4 %). Un résultat en nette progression : en 2011, elle était deuxième avec 33,75 % des voix devant une CGT alors incontournable à 38,44 %.