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[Vidéo] Accueil des demandeurs d'asile : “On ne peut pas et on ne doit pas s'habituer à ça”

Publié le 18/01/2019

Guillemette Favreau, secrétaire fédérale CFDT Interco, en charge des préfectures, témoigne des conditions de travail des agents et des conditions d'accueil dans le cadre des demandes d'asile.

           

 
« Dans le cas de demandes d’asile, plusieurs services de l’Etat interviennent : les personnels des services étrangers des préfectures, de police, des juridictions administratives et du juge des libertés sont mobilisés. Les flux arrivant par pics, les services de l'Etat, qui ne peuvent anticiper, se retrouvent alors engorgés.

C'est ce qui s'est passé en 2017, même si globalement sur les dix dernières années on n'est pas dans quelque chose qui est exponentiel. Ces pics nécessitent l'organisation des services de l'Etat pour un traitement qui soit humain, respectueux et efficace dans l'accueil des demandeurs d'asile. Or le manque de moyens pour accomplir cette mission dans les meilleures conditions a des impacts forts, tant sur les personnels que sur les demandeurs d’asile.

Déjà en termes de conditions de travail pour les agents, pour qui on réduit les gens à des dossiers. On est dans quelque chose qui relève de l'humain et probablement de l'humain le plus fragile. Ça nécessite de la part des agents qui traitent ces missions, la possibilité de faire respecter la loi mais aussi d’être capables d'empathie, d'écoute et de développer des connaissances et des compétences qui leur permettent de favoriser un accueil de qualité.

Des politiques inefficaces

La plupart des agents dans les préfectures, qui sont les portes d’entrée des demandeurs d’asile, indiquent qu'ils sont empêchés de faire leur travail correctement. Ils ne sont pas assez nombreux, ils ne sont pas assez formés. Lorsqu’il y a un pic, on recrute des vacataires : ils n'ont pas la même formation et c'est bien normal. On ne prend pas le soin de les former, ils vont alors faire de la politique du chiffre : le maximum de dossiers traités sur une journée. Sauf qu'un demandeur d'asile quand il arrive, il n’a pas une valise avec tous ses papiers. On va donc demander à des jeunes vacataires de traiter et d'instruire des dossiers en l'absence de toute formation préalable. C'est un exercice très difficile, sachant que la réglementation des étrangers est probablement juridiquement, l’une des plus raffinées et des plus complexes.

Une autre conséquence c'est que le taux de contentieux, qui est traité par les juridictions administratives, représente désormais 80 % de leur volume d'activité. C'est du jamais vu. Les filières s'organisent, les demandeurs veulent absolument obtenir l'asile, ce qui est devenu le fonds de commerce de plus en plus d’avocats. Les agents des préfectures de leur côté, dans toutes les décisions qu'ils vont être conduits à prendre, puisqu’il faut faire du chiffre, ne font plus du tout de précontentieux.

Résultat : on a des collègues en juridiction qui ont la tête sous l'eau, des collègues en préfecture qui sont empêchés, des collègues des services de police ou de gendarmerie qui sont conduits à faire des placements en centre de rétention administrative ou des reconduites à la frontière dans des conditions absurdes. Un préfet va recevoir, par exemple, un ordre de la direction générale des étrangers sur les chiffres à respecter en termes de reconduites. Mais on sait très bien que la moitié des reconduites ne seront pas exécutées puisqu’il n’y a pas le personnel de police pour le faire et que sur l'autre moitié restante il n’y en a que 10 % qui ne reviendront pas.

On peut quand même s'interroger sur la pertinence d'un dispositif qui, outre l'aspect humain qui est fondamental, voit une débauche d'énergie, de moyens financiers, que l'on pourrait mobiliser pour mieux accueillir les demandeurs d'asile et favoriser des conditions de travail intéressantes pour tout le monde. C'est dans l'intérêt de tous.

Agents et demandeurs d’asile en difficultés

Pour donner un exemple concret qui illustre parfaitement cette situation : les files d'attentes que l'on peut voir devant les services étrangers des préfectures. Ça suscite du stress chez les agents parce que quand vous arrivez à 8 heures le matin pour prendre votre poste et que vous voyez des files d'attente interminables, vous savez très bien que vous n’en traiterez que huit, dix, douze dans une journée.

Vous ne pouvez pas faire plus parce qu'il y a des problèmes de langue : la personne ne maîtrise pas forcément le français, encore moins le français administratif. Il faudra mobiliser des interprètes, on ne les a pas forcément sous la main au bon moment. On n'a pas non plus forcément les bons interprètes, il y en a qui nous disent « il a dit ça » mais en fait pas du tout. Les agents n'ont pas les moyens de contrôler cet aspect-là. Or, il est fondamental. Recevoir quelqu'un c'est déjà pouvoir lui parler et qu'il vous comprenne. Ça suscite évidemment beaucoup de stress chez les agents.

Dans les files d'attente, il y aussi beaucoup d'agressivité parce qu'évidemment chacun voudra passer en premier. On voit même des petits filous qui s'organisent pour faire des faux tickets qu'ils se revendent entre eux et les services de l'état sont muets là-dessus. on est dans des conditions d'accueil qui sont complètement inhumaines pour tout le monde.

Les agents des juridictions lorsqu’eux vont être appelés à traiter du contentieux, même s’ils ne rencontrent pas les gens, ils ont le sentiment d'un flot qui ne s'arrêtera jamais, parce que les objectifs qui leur sont fixés évoluent tous les mois. C'est la course à l'échalote. Ils ne font pas non plus leur travail dans des conditions dignes. Ils n'ont pas les moyens techniques de travailler puisque le côté justice et le côté ministère de l'intérieur sont complètement séparés. Ça nécessite par exemple que les services de la justice et les services du ministère de l'intérieur saisissent deux fois l'ensemble des données d'un dossier d'un demandeur d'asile.

C’est une perte de temps pour les agents d'exécution et pour le demandeur d'asile, alors que l'on devrait aller vite pour respecter les 6 mois inscrits dans la loi immigration. Ce fameux délai qui dans les faits, actuellement, ne peut pas être respecté. C’est un objectif qui est louable, souhaitable pour tout le monde. Parce que le demandeur d'asile s'il faut qu'il attende un an, un an et demi, deux ans avant d'avoir une réponse, on le laisse dans la nature sans rien. Il n'existe pas, il n'est rien. C’est quand même hallucinant. On ne peut pas s'habituer à ça, on ne peut pas et on ne doit pas s'habituer à ça.

Les agents qui traitent de ces dossiers sont très conscients des impacts humains importants et ils sont encore plus mal dans l'exercice de leur mission parce qu’on ne leur donne pas les moyens de le faire correctement. »