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[Interview croisée ] “Le sexisme est incompatible avec nos valeurs syndicales”

Publié le 30/11/2015 (mis à jour le 10/05/2016)

Affichages pornographiques, harcèlement, agressions… Les femmes subissent sur leur lieu de travail les mêmes violences sexistes et sexuelles dont elles sont victimes en dehors. Pour lutter contre ces situations, la CFDT travaille avec l’Association européenne contre les violences faites aux femmes (AVFT). Lors de leur rencontre, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, et Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT, ont évoqué le rôle des syndicats sur ce sujet et les actions possibles pour défendre les droits des femmes.

Pourquoi est-il important que la CFDT s’investissent dans la lutte contre les violences sexuelles au travail ?

Marilyn Baldeck : La CFDT ne peut pas se désintéresser des violences sexuelles en milieu professionnel. D’après une enquête du Défenseur des droits, 20 % des femmes actives ont subi une situation de harcèlement sexuel au cours de leur carrière. Un syndicat qui ne se saisirait pas de ce sujet serait illégitime aux yeux des salariées. Mais trop souvent encore, ce sujet est relégué au champ des relations individuelles et n’est pas considéré comme une question politique.

Laurent Berger :La CFDT n’est pas attendue sur ce sujet qui nous préoccupe pourtant. Notre histoire prouve que nous avons une culture féministe. La CFDT est l’organisation syndicale qui s’est le plus mobilisée sur les droits fondamentaux des femmes, notamment sur l’IVG et le harcèlement sexuel. Dans le monde du travail, les inégalités sont flagrantes en particulier sur les salaires, les promotions ou l’articulation vie privée-vie professionnelle. Nous avons énormément de boulot pour les combler.

Comment les syndicats peuvent intervenir dans les entreprises ?

M-B : En amont, les sections syndicales doivent communiquer sur leurs aptitudes à répondre aux plaintes des salariées. Accompagner les victimes de violences sexuelles et recueillir leurs témoignages souvent éprouvants ne s’improvisent pas. Cela nécessite une réelle formation et des connaissances sur le droit du travail. Les militants devront aussi se départir de leurs stéréotypes. Si une victime accuse un collègue qui paraît sympathique, ils ne devront pas en conclure que c’est faux. Ils devront aussi rappeler régulièrement aux salariés que ceux qui commettent ces violences s’exposent à des sanctions. Les syndicats en affirmant qu’ils sont en alerte envoient un message aux potentiels harceleurs, qui se sentiront sous surveillance et y réfléchiront à deux fois avant d’agir.

L-B: Les représentants du personnel doivent s’interroger sur leurs propres pratiques. Si l’organisation du travail tolère des comportements délictueux, ce n’est pas de la seule faute de l’employeur. Les responsabilités sont partagées. Ils doivent donc faire en sorte que les directions ne soient pas attentistes et qu’elles respectent leurs obligations légales. C’est seulement si les directions et les représentants du personnel sont capables de bosser ensemble qu’on arrivera à progresser. Le code du travail en introduisant la notion de sexisme donne aux organisations syndicales un nouveau levier pour lutter contre les violences sexuelles.

Pourtant elles rencontrent quelques difficultés à s’en saisir…

M-B : Les femmes peuvent être réticentes à saisir des délégués du personnel qui tiennent par ailleurs des propos sexistes et qui s’adressent à leurs collègues de manière déplacée. Les hommes violents se trouvent partout y compris au sein des organisations syndicales. Quand on lutte contre les violences sexuelles, on lutte aussi contre ses pairs et contre soi-même. Pour être légitime sur ce sujet, il faut commencer par balayer devant sa porte.

L-B : Les syndicats sont à l’image de la société. Ils ne sont pas toujours ultra-vertueux. La Confédération condamne les comportements sexistes et ne tolère aucune violence verbale ou physique, y compris les blagues lourdes, dans l’organisation. Le sexisme est incompatible avec nos valeurs syndicales. Ainsi, un élu syndical a été démis de son mandat pour avoir tenu des propos intolérables à l’encontre d’une femme. En matière de respect des personnes, il n’y a pas de compromis possible. La CFDT se doit d’être exemplaire sur le sujet.

Comment accompagnez-vous les sections syndicales ?

M-B : Le sujet des violences sexistes et sexuelles au travail ne doit pas reposer sur un individu isolé. Pour être efficace, cette politique doit être portée par une organisation qui servira de support en cas de difficultés et de lieu de ressources. Depuis 2009, l’AVFT anime avec la CFDT de Paris des journées de formation et de sensibilisation. La Confédération souhaite dupliquer cette expérience à d’autres unions départementales. Le but est d’aider les militants à intervenir auprès des victimes et de sensibiliser les salariés de leur entreprise. Dans les milieux masculins, ce n’est pas toujours simple d’imposer ce dossier. C’est donc essentiel de transmettre nos compétences.

L-B : Lutter contre les stéréotypes nécessite un travail constant. La Confédération forme les sections afin qu’elles sachent comment réagir face à des propos ou à des actes sexistes. L’aspect comportemental est plus difficile à gérer que le droit du travail. Une entreprise peut avoir signé un super accord sur l’égalité professionnelle mais ne rien comprendre aux violences faites aux femmes. Grâce à ce partenariat, la CFDT bénéficie de l’expertise de l’AVFT, d’un soutien et d’un regard distancié sur ses pratiques. Mais, les organisations syndicales ne doivent pas se dédouaner ni sous-traité ce dossier aux associations.