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Roquette Lestrem : La section veille sur l’intérêt des salariés

Publié le 04/07/2017

[Mise à jour du 11 octobre 2018] La direction fichait les salariés

Libérée de ses tensions internes, la section syndicale de l’usine Roquette de Lestrem est repartie de plus belle au contact des salariés. Avec un outil, une enquête Flash. Et un objectif : les élections de novembre 2017.

 

     
[Mise à jour du 11 octobre 2018] La direction fichait les salariés

Stupeur dans les locaux de l'entreprise Roquette située à Lestrem dans le Pas-de-Calais. Le 1er octobre plusieurs salariés ont reçu par erreur sur leur boîte mail un tableau fichant une partie du personnel avec des commentaires "très négatifs voire humiliants" note la CFDT. Dix jours plus tard, à la demande des élus CFDT, un conseil social et économique extraordinaire (CSE) a été convoqué et un plan d'actions annoncé : transmission d'une déclaration de violation des données à la CNIL ; mise en place d'un soutien psychologique et d'un plan de formation des managers sur la protection des données ; lancement d'un audit sur le réseau informatique de l'entreprise. 


     

 

Se développer en silence, sans faire de bruit. Depuis sa création, en 1933, l’entreprise Roquette, installée au cœur du pays de la pomme de terre, entre Hazebrouck et Béthune, pousse ses pions sur le marché des dérivés industriels produits à partir de l’amidon en évitant soigneusement tout éclat médiatique. Pas de publicité, peu de communication (à l’exception de quelques visites de ministres en période électorale) et une direction qui aimerait mettre sous le boisseau le moindre conflit social pour ne pas effrayer les clients. « Elle essaye de nous diaboliser en permanence, sourit le délégué syndical central CFDT Bruno Mathon. Quand on s’oppose, on devient l’ennemi à abattre. »

Une enquête Flash sur les conditions de travail

     

L’indépendance des délégués garantie
« Les jeunes élus ont renversé la table, et c’est très bien, insiste le délégué syndical central Bruno Mathon. Désormais, nous sommes en confiance entre nous et nous avons changé nos façons de travailler. Contrairement à certaines pratiques antérieures, un délégué ne rencontre jamais la direction tout seul pour éviter la manipulation et les malentendus. »

Une communication qui brise le silence
Site internet, newsletter, tracts… après chaque réunion d’instance, la section CFDT de Roquette met le paquet sur la communication pour contrarier les plans d’une entreprise qui ne veut surtout pas faire parler d’elle. « Nous avons déjà eu 2 000 visites par jour sur notre site, avec parfois des connexions identifiées en Inde ou aux États-Unis, où se trouvent quelques-uns des clients de Roquette. »

Le développement à relancer
En quinze ans, la section est passée de 1 500 adhérents à un peu plus de 900 aujourd’hui. Une érosion liée au conflit en interne mais surtout à la nouvelle structure de l’entreprise. « À Roquette, il était presque naturel d’adhérer grâce à tous les acquis obtenus par la CFDT, explique Isabelle Baurin. Mais, petit à petit, ce réflexe s’est perdu avec les nouvelles générations et surtout la part de plus en plus élevée de cadres et le recul des ouvriers, notre bastion, en quelque sorte. » D’où l’importance d’aller chercher ces voix des cadres à l’occasion des prochaines élections.

     

Cette discrétion de mise tranche avec la taille de l’imposante usine qui s’élève au milieu des champs. Des bâtiments en tôle grands comme des gymnases, des tuyaux longs de plusieurs centaines de mètres, des silos hauts comme des immeubles… le site Roquette de Lestrem s’étend sur plus de 150 hectares. « Il occupe une place essentielle dans le tissu économique local », constate Bruno Mathon. Près de 3 000 salariés y travaillent, sans compter les quelques centaines de personnels extérieurs au groupe qui fréquentent cette miniville industrielle pour les besoins de sa production ; 6 000 tonnes de blé et de maïs acheminées par trains entiers sont écrasées chaque jour afin d’en extraire l’amidon utilisé dans des produits cosmétiques, alimentaires, pharmaceutiques, etc. « En tout, nous fabriquons plus de mille produits dérivés, que l’on retrouve dans 80 % de l’industrie mondiale », poursuit le délégué syndical central. Dans des conditions qui ne conviennent pas à tous les salariés. Tant s’en faut.

« Il y a deux ans, la direction a confié une étude à un cabinet sur les conditions de travail, indique Bruno. La montagne a accouché d’une souris… alors que les remontées que nous recevions du terrain avec nos casquettes de syndicalistes faisaient état d’un manque de personnel, d’une organisation du travail qui n’était pas claire. » Pour le vérifier, la section décide de lancer sa propre consultation des salariés. Du 14 au 22 novembre 2016, une dizaine de militants ont arpenté les longues rues du site de Lestrem et distribué une enquête Flash à l’ensemble du personnel, un quatre-pages composé d’une vingtaine de questions : « Êtes-vous consulté sur l’organisation du travail de votre équipe ? » ; « Vous sentez-vous en sécurité à votre poste de travail ? », etc.

Négocier sur la qualité de vie au travail et les effectifs

Au total, 821 salariés ont pris le temps de remplir le copieux questionnaire, l’agrémentant souvent de longs verbatim expliquant en détail les conditions dans lesquelles ils exercent leurs missions. « Nous nous sommes vite rendu compte du besoin d’expression des salariés, relatent les élus CFDT. Nous entrons dans une période de transformation profonde de l’entreprise. Ce qui guide la direction actuellement, c’est un lean management qui traque les tâches jugées peu utiles, et on en voit les conséquences sur les niveaux de réponse de l’enquête Flash. »

Quelques semaines après l’« opération commando » de la section CFDT – « le site est grand, et les plages horaires sont très larges, souligne le délégué syndical central. Il a fallu se relayer de 5 à 19 heures afin de toucher le maximum de monde » –, elle s’est attachée à faire une restitution la plus complète possible aux salariés. Première constatation, la charge de travail est jugée contraignante par près de 51 % des sondés, voire pénible par 14 % d’entre eux. Pour 47 %, l’intérêt au travail s’est dégradé. Environ 37 % affirment qu’ils sont consultés sur l’organisation du travail, mais juste pour la forme, et 30 % qu’ils ne le sont pas du tout. Dommage : un quart des répondants souligne qu’ils ont pourtant des pistes d’amélioration à proposer. « Toutes ces réponses ont confirmé ce que nous pressentions. Malgré les indices que nous obtenions à travers les rapports du CHSCT [comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail] et les liens que nous avons avec les médecins du travail, c’est le pourcentage élevé de gens qui se disent malmenés dans l’entreprise qui nous a le plus surpris. » Mise au placard, menaces verbales, pressions exagérées et persistantes… Plus de 40 % des répondants ont été témoins d’une de ces situations. Inquiétant. « L’entreprise fait un vrai travail autour de la sécurité parce que les enjeux financiers sont importants, parce qu’il en va de son image. Peut-être faut-il embellir la mariée ?, s’interroge Bruno. En revanche, elle se soucie assez peu de la santé mentale de ses employés. À la suite de l’enquête Flash, nous avons envoyé un courrier à la direction générale pour réclamer l’ouverture d’une négociation sur la qualité de vie au travail. En insistant sur le droit à la déconnexion, par exemple, mais surtout sur le fait qu’il faut remettre des salariés dans les bâtiments. »

Car des salariés, il en manque pour répondre à une demande qui ne cesse d’augmenter. Surtout depuis 2015 et la mise en place d’un plan de préretraite. Trois cents salariés ont été effacés des tablettes de Roquette « alors que l’entreprise n’était pas du tout en difficulté financière », précise Benoît Fumery, opérateur de fabrication et délégué du personnel. Au gré des départs, la structure de l’entreprise a évolué. « On s’est retrouvés avec plus de barreurs et moins de rameurs ! » : les ouvriers, qui étaient majoritaires, ont été détrônés par les cadres, les techniciens et les agents de maîtrise. « Ce plan a été signé par les syndicats, dont la CFDT, déplore Benoît. Nous étions quelques-uns à mesurer ses conséquences sur les conditions de travail. En interne, nous n’étions pas d’accord. » Cet événement va précipiter une crise latente au sein de la section. « Pendant des années, nous avons été la seule organisation syndicale présente dans l’entreprise avec des taux de syndicalisation dépassant les 50 %. Lors des élections de 2013, les quatre anciens délégués syndicaux ont laissé leur poste. Une partie de leurs successeurs s’est laissé séduire par la direction. On n’arrivait plus à écrire de tracts ! »

Une section relancée avec dejeunes militants

Quelques jeunes militants prennent alors les choses en main en contactant le Syndicat Chimie-Énergie Artois Val de Lys et la fédération. Tous les délégués syndicaux ont été révoqués. Un choc inévitable selon Isabelle Baurin, déléguée CFDT au comité d’entreprise : « Nous sommes repartis d’une page blanche en janvier 2016. Mais la cohabitation en comité d’entreprise et en comité central avec des élus qui ont quitté la CFDT et qui votent en leur nom, contre l’intérêt des salariés, est difficile à supporter. » Exemple avec la nouvelle négociation en cours sur le compte épargne-temps (CET). « La direction veut se débarrasser de 250 000 heures travaillées en trop, explique Bruno Mathon. Ce quota, c’est l’équivalent de 150 temps plein. Mettre en place un CET, pourquoi pas, mais uniquement s’il s’accompagne d’une trentaine d’embauches sur le site de Lestrem et de 42 sur l’ensemble du groupe. » La section espère que les élections de novembre prochain vont permettre de changer la donne.

dprimault@cfdt.fr

   


Repères

• Roquette compte 21 sites de production en Europe, Amérique du Nord et Asie. Le groupe emploie 8 000 salariés dont près de 3 000 sur le site historique de Lestrem. Son chiffre d’affaires, de 3,3 milliards d’euros en 2015, en fait un des leaders mondiaux de l’amidonnerie.

• La section CFDT de Roquette Lestrem compte 900 adhérents. Aux dernières élections, en 2013, la CFDT, largement majoritaire, a obtenu 58,34 % des voix, contre 19,72 % pour l’Unsa, 17,28 % pour la CFE-CGC et 12,87 % pour la CGT.