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Ronde de nuit

Publié le 16/11/2017

Au centre hospitalier de Falaise (Calvados), l’équipe CFDT a instauré des tournées de nuit afin d’aller à la rencontre des personnels hospitaliers. Une présence bienvenue pour ces salariés qui vivent en décalé et ont plus difficilement accès aux informations.

Le soir tombe sur le centre hospitalier de Falaise (CH Falaise). Et avec lui le calme. L’effervescence de la journée, des allées et venues des médecins et des familles, les sonneries de téléphone laissent progressivement place au silence. C’est le temps des transmissions entre le personnel de jour et celui de nuit, soit une centaine d’agents sur les 850 que compte l’hôpital.

C’est justement pour venir à la rencontre de ce personnel que, depuis quelques années, la section CFDT-CH Falaise a instauré des tournées de nuit. « Le personnel de nuit est davantage autonome [l’encadrement est présent le jour, pas la nuit] mais aussi plus seul et livré à lui-même », reconnaît Angélique Vanoverberghe-Gil, la pétillante secrétaire de la section qui a lancé l’idée de ces tournées, « sur le modèle de ce que faisait mon père, gendarme », sourit-elle. Une ou deux fois par trimestre, elle embarque ses collègues de la section, bloc-notes sous le bras, pour sillonner l’ensemble des services éparpillés dans le vaste parc arboré : gériatrie, chirurgie, pédiatrie, urgences, Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), etc.

Ronde de nuit EntzmannCe soir-là, elles sont quatre militantes à avoir répondu à l’invitation. « On forme deux équipes, chacune chargée d’un secteur de l’hôpital. » Angélique, accompagnée de deux complices, met le cap sur l’un des Ehpad. Tandis qu’un binôme se dirige vers le service de médecine gériatrique. L’accueil est d’emblée chaleureux. « C’est sympa de vous voir », leur lance Caroline, une jeune infirmière, en marquant une pause. Immédiatement, la conversation s’engage sur les conditions de travail ; leur détérioration et la fatigue qui s’installe chez les soignants.

Un rythme épuisant

« Ce soir, c’est calme, mais on sort de quinze jours éprouvants, avec des patients difficiles », explique-t-elle. « Le manque d’établissements de soins de suite et de réadaptation qui pourraient recevoir nos patients nous oblige à les maintenir dans le service. Ils se “grabatairisent”, deviennent plus difficiles, plus exigeants et souvent plus angoissés. Pour nous, c’est beaucoup plus lourd », reconnaît Alban, un collègue aide-soignant, pourtant taillé comme une armoire à glace mais qui exprime lui aussi sa lassitude.

Dans ce service, chaque partie d’étage accueille 24  patients, avec seulement une infirmière et une aide-soignante pour s’en occuper et effectuer les soins à raison de quatre tournées par nuit. « Les gens imaginent qu’on est juste là pour les regarder dormir… Mais ce n’est vraiment pas ça ! », souligne Caroline. « Quand on relève les patients lors de la tournée de 22  heures, ça va encore. Mais à 5 heures, avec la fatigue de la nuit, c’est vraiment dur », complète une aide-soignante.

L’an dernier, grâce à l’intervention de l’équipe CFDT, le système d’appels des malades a été repensé. « Ça sonnait dans tous les sens, on ne savait pas de quelle chambre cela venait. Pour les soignants, c’était l’enfer  », raconte Karine Velanovski, la secrétaire adjointe de la section.
Au même étage, la salle de soins a été rénovée afin d’améliorer les conditions de travail des agents. « Le fait que vous veniez nous voir, c’est important. Cela nous redonne le sentiment de faire partie de l’équipe médicale. On a souvent l’impression d’être un peu en marge. Quand il y a de nouveaux protocoles, l’information est transmise aux équipes de jour. Mais elle met parfois des semaines à nous parvenir », ajoute Caroline.

Cette fois, la tournée se révèle d’autant plus nécessaire que le centre hospitalier est en pleine redéfinition de son projet médical, en vue d’un recentrage de l’activité sur un pôle gériatrique régional, impliquant des fermetures de services et des mutations d’agents. « En 2015, nous avons déjà vécu une fermeture très brutale de la maternité, sans avoir eu le temps d’anticiper le reclassement ou la reconversion de la vingtaine d’agents qui y travaillaient. Cela avait causé un réel traumatisme. Du coup, cette fois, avec les réorganisations liées au projet médical en cours, qui doit être bouclé pour la fin de l’année 2017, nous sommes très attentifs à porter aux personnels le maximum d’information sur les réorganisations. Afin qu’ils puissent préparer leurs fiches de vœux, leurs choix de reclassement, etc. », explique Angélique, qui bataille de son côté pour obtenir des infos auprès de la direction.

Au service de chirurgie, directement impacté par le projet (qui prévoit notamment la suppression des permanences de soins au bloc opératoire le soir et le week-end), les agents ne cachent pas leur inquiétude : « Si on n’a plus de gardes et plus d’astreintes, on risque de perdre en salaire mais aussi en compétences  », note une infirmière.
« Ne nous laissez pas tomber !  », s’exclame une autre. « On vous tient au courant dès qu’on a des infos », rassure Angélique. « Et n’hésitez pas si vous avez des questions. On a un blog (https://cfdtchfalaise.com/), une boîte mail, contactez-nous ! »

Écoute bienveillante

En sortant du service, après avoir quitté les infirmières, Angélique laisse pointer son exaspération face à l’attitude de la direction : « On nous parle de créer un pôle d’excellence, alors il va falloir faire ça bien et se donner les moyens d’un service de qualité, et non mettre les agents en difficulté ! » Elle n’écarte pas la possibilité d’avoir à « refaire le buzz » à l’extérieur – notamment auprès des élus ou des médias locaux – pour défendre les conditions de travail au centre hospitalier. En 2016, l’équipe avait ainsi obtenu le maintien de l’institut de formation en soins infirmiers de Falaise, promis à fermeture.

Au fil de la tournée, les militantes écoutent, notent, conseillent et adoucissent parfois les tensions. Et quand les soignants évoquent ces fois où ils sont rappelés sur leur temps de repos ou encore les astreintes dissimulées, les équipes syndicales leur rappellent le droit et le caractère critique de ces pratiques. Au cœur de la nuit, cette écoute discrète et bienveillante agit comme un baume. « Vous avez bien fait de passer. Ça fait du bien de pouvoir parler  », s’entend encore dire l’équipe en quittant les urgences, le dernier service visité. 

epirat@cfdt.fr

©Cyril Entzmann - Légende : Véronique Loison, Stéphanie Juraschek, Angélique Vanoverberghe-Gil, Karine Velanovski et Ana jounot (CH de Falaise), 2017.