Prud’hommes : fonctionnement dérogatoire des juridictions, saison 2

Publié le 02/12/2020

Tout a commencé le 14 octobre 2020, jour auquel le décret n° 2020-1257 a une nouvelle fois déclaré l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020. Un mois plus tard jour pour jour, le 14 novembre 2020, la loi n° 2020-1379 est venue le proroger jusqu'au 16 février 2021 inclus. C’est dans ce cadre législatif et réglementaire que, le 19 novembre 2020, une ordonnance « portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés » a été publiée au Journal officiel. Cette ordonnance est clairement susceptible d’impacter le fonctionnement des conseils de prud’hommes pour les mois à venir.

Ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 (suivie d’une circulaire n° CIV/05/20 du 20 novembre 2020)

Bis repetita. Le retour à la normale n’aura finalement duré que peu de temps - à peine plus de 3 mois !  Depuis le 20 novembre 2020 (et a priori jusqu’au 16 mars 2021)(1), les conseils de prud’hommes sont en effet à nouveau soumis à un mode de fonctionnement dérogatoire… à l’instar de ce qu’ils avaient déjà eu à connaître entre le 25 mars et le 10 août.

Retour vers le futur

Survoler l’ordonnance du 18 novembre 2020, c’est d’abord s’exposer à un étrange sentiment de « déjà-vu ». En entrant dans ce texte, dont l’encre est pourtant encore toute fraîche, on est en effet persuadé de parcourir des lignes déjà lues et relues. Comment expliquer ce mystère ? Assez facilement en fait ! Au moment de tenir la plume, le Gouvernement a tout simplement manqué d’imagination... Aussi, et faute de mieux, a-t-il décidé de faire du neuf avec du vieux et d’user (et d’abuser) du « copier/coller ».

Résultats des courses : lire l’ordonnance du mois de novembre, c’est un peu se ré-emplir des émotions qui avaient été les nôtres au printemps dernier…

Mais c’est aussi ressentir une forme de décalage avec la réalité, tant il est vrai que les textes de mars 2020 étaient adaptées à la situation de… mars 2020, et que les resservir ainsi en réchauffé, dans un contexte qui a malgré tout beaucoup évolué, peut sembler parfois inapproprié. Car souvenons-nous tout de même qu’entre mars et mai 2020, la quasi-intégralité des conseils de prud’hommes avaient baissé rideau et que des « plans de continuation d’activité » (PCA) tentaient d’assurer un minimum de fonctionnement du service public de la justice. Rien de tel aujourd’hui, mais c’est pourtant une reprise (quasiment à l’identique) de la plupart des mesures de crise déjà prises à l’époque qui nous est servie.

Mais bon, soyons honnêtes, le lecteur attentif de l’ordonnance nouvelle y trouvera tout de même un certain nombre de nuances, parfois pas tout à fait anecdotiques ! Aussi reviendrons-nous sur les différentes règles dérogatoires mises en place à compter du 20 novembre 2020, tout en insistant bien sûr sur les dernières évolutions constatées.

Des accès à la juridiction et une tenue des audiences sous contrôle (article 3 de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020)

- La définition de l’accès à la juridiction, aux salles d’audience et aux services qui accueillent du public dans des conditions « permettant d’assurer le respect des règles sanitaires en vigueur » est reconnue comme étant de la compétence du chef de juridiction.

- La décision, avant l’ouverture de l’audience, d’une tenue des débats « en publicité restreinte » ou, s’il y a lieu, en « chambre du conseil » est reconnue comme étant de la compétence du président de la formation de jugement. Etant entendu qu’il lui appartient également de fixer les modalités respectant les règles sanitaires en vigueur et permettant aux journalistes d’assister à l’audience « même lorsqu’elle se tient en chambre du conseil ».  

Notons que sous l’empire de l’ordonnance n° 2020-304 modifiée, « lorsque le nombre de personnes admises à l’audience » était limité, celles qui souhaitaient y assister devaient saisir « par tout moyen » le président de la formation de jugement et que cette formalité n’a finalement pas été reprise par l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020.

L'avis de la CFDT. 
Ces dispositions organisationnelles qui visent à garantir le respect des règles sanitaires dans le fonctionnement des juridictions nous semblent être parfaitement adaptées à la situation.

Des bureaux de jugement peuvent se tenir en formation restreinte (article 4 de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020)

Après avoir consulté le vice-président du conseil de prud’hommes, son président peut décider de recourir (pour tout le conseil) à la formation restreinte. Dans ce cas, les bureaux de jugement ne seront plus composés que d’un seul conseiller prud’hommes salarié et d’un seul conseiller prud’hommes employeur.

Ici, l’évolution entre l’ordonnance n° 2020-304 modifiée et l’ordonnance n° 2020-1400 est notoire puisque le premier présentait le recours à la formation restreinte comme automatique : « le conseil de prud’hommes statue en formation restreinte (…) ».

Par contre, l’ordonnance n° 2020-1400 reprend à l’identique les dispositions régissant le traitement d’un partage de voix constaté au sein du bureau de jugement restreint. C’est ainsi qu’elle précise, de manière toujours aussi choquante, que dans un tel cas de figure « l'affaire est renvoyée devant un juge du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé le siège du conseil de prud'hommes » et que celui-ci « statue après avoir recueilli par tout moyen l'avis des conseillers présents lors de l'audience de renvoi en départage ».

L'avis de la CFDT. 
L’option formation restreinte ne rencontre pas notre adhésion même si y recourir n’est désormais plus présenté par le texte comme automatique. Le choix du président du conseil de prud’hommes comme maillon décisionnaire ne nous paraît pas adapté car il est trop « globalisant ». Il aurait été plus pertinent de confier la possibilité d’un tel choix aux présidents / vice-présidents de section (certaines sections pouvant être plus affectées que d’autres par des absences de conseillers) voire au bureau administratif du conseil. 
Le renvoi de l’affaire devant un juge du tribunal judiciaire n’est quant à lui pas acceptable, même si celui-ci (nous dit le texte) ne peut statuer qu’après que les avis des conseillers prud’hommes composant le bureau de jugement restreint aient été recueillis.
La collégialité du délibéré aurait dû être préservée, ce d’autant plus que le respect dû aux gestes barrières ne l’empêchait nullement.

 

Des audiences peuvent se tenir « en distanciel » (article 5 de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020)

Deux cas de figure sont ici à distinguer.

1er cas de figure : Par une décision non-susceptible de recours, le président de la formation de jugement peut décider que l’audience se tiendra « en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle » ; à la condition que cela permette de :

- s’assurer de l’identité des personnes y participant ;

- garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats.

2nd cas de figure : à défaut de pouvoir recourir à un « moyen de télécommunication audiovisuel », par une décision (toujours) non-susceptible de recours, « le juge » peut décider d’entendre les parties et leurs avocats « par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique », à la condition que cela satisfasse aux mêmes garanties que celles exigées pour un recours à un « moyen de télécommunication audiovisuel ».

Dans le premier comme dans le second cas de figure, « les membres de la formation de jugement, le greffier, les parties, les personnes qui les assistent ou les représentent en vertu d'une habilitation légale ou d'un mandat, les techniciens et auxiliaires de justice ainsi que les personnes convoquées à l'audience ou à l'audition peuvent se trouver en des lieux distincts ».

Mais c’est quoiqu’il en soit au juge qu’il revient :

- d’organiser et de conduire la procédure ;

- de s'assurer du bon déroulement des échanges entre les parties ;

- de veiller au respect des droits de la défense et au caractère contradictoire des débats.

Et au greffe, de dresser le procès-verbal des opérations effectuées.

Le texte précise enfin que « les moyens de communication utilisés par les membres de la formation de jugement garantissent le secret du délibéré ».

L'avis de la CFDT. Le recours à des audiences en audiovisuel nous semble adapté à la période mais, disons-le, la plupart des conseils ne sont pas équipés pour les mettre en place. Le recours (par défaut) à des auditions téléphoniques nous semble par contre être beaucoup plus contestable. S’agissant de ces audiences « en distanciel », nous appelons à ce qu’en pratique, les garanties entourant les transmissions de pièces entre parties soient effectivement et scrupuleusement respectées.

Des procédures peuvent se dérouler sans audience (article 6 de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020)

Dès lors que les parties sont assistées ou représentées par avocat, le président de la formation de jugement peut « à tout moment de la procédure » décider qu’elle se déroulera sans audience.

Informées « par tout moyen » de cette décision, les parties disposent alors en principe de 15 jours pour s’y opposer. Mais attention ! Nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020, « en cas d’urgence », ce délai de 15 jours peut être réduit par le président de la formation de jugement, sans que cette réduction soit précisée.

A défaut d’opposition exprimée dans le délai requis, la procédure est alors « exclusivement écrite ». Ce qui - nouveauté introduite là-encore par l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 - n’empêche toutefois pas le président de la formation de jugement de tenir une audience dès lors :

- qu’il estime impossible de rendre une décision au regard des preuves écrites ;

- que l’une des parties le demande.

L'avis de la CFDT. Nous ne sommes pas du tout favorables au fait que des procédures sans audience puissent être imposées aux parties (même si un droit d’opposition est a priori mobilisable). Nous préférons clairement qu’une organisation permettant de garantir le respect des gestes barrières soit mise en place dans des conseils de prud’hommes en activité. Nous nous étonnons une nouvelle fois d’une telle perspective, alors même que ces juridictions fonctionnent actuellement hors PCA.

 

Des affaires peuvent être envoyées devant une autre juridiction prud'homale (article 2 de l'ordonnance n°2020-1400 du 18 novembre 2020)

Et si malgré toutes ces facilités de fonctionnement, un conseil de prud’hommes était dans l’incapacité de fonctionner en tout ou partie, le Premier président de la cour d’appel concernée pourrait très bien désigner une autre juridiction de même nature et du même ressort(2).

L'avis de la CFDT. Une nouvelle fois, à l’heure où les juridictions fonctionnent hors PCA, une telle disposition ne nous semblait pas être tout à fait nécessaire. Mais nous ne nous y opposons cependant pas, car une disposition ayant le même objet existe déjà en droit commun(3) qui nous semble moins favorable.  

Notons pour conclure qu’un décret peut-être à venir pourrait également permettre aux CPH de rejeter -avant l’audience et par ordonnance non contradictoire - les demandes en référé portées devant eux dès lors que la demande est irrecevable ou qu’il n’y a pas lieu à référé.

L'avis de la CFDT. La reconduction d’une telle disposition (qui a déjà été active entre le 25 mars 2020 et le 10 août 2020) ne serait pas acceptable. Ce d’autant plus qu’en référé, les premières affaires Covid-19 commencent à émerger… Et de manière générale, il convient de rappeler qu’en matière de référé, la tenue des audiences est toujours nécessaire afin de déterminer quels sont les dossiers pour lesquels il y a lieu à référé. Une nouvelle (et dernière) fois, la situation actuelle (qui ne justifie même pas de PCA) se concilierait mal avec la remise en cause d’un principe aussi fondamental de procédure civile… 

 

 

 

 

[1] Art. 1er ord. n° 2020-1400 du 18.11.20.

[2] Art. 3 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25.03.20.

[3] Art. L. 1423-10-1 C. trav.