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Le syndicalisme intensif de la CFDT chez Primark à Marseille

Publié le 24/01/2017

La CFDT s’est implantée dans le premier magasin français du géant du textile à bas coût avec brio. La section compte déjà une centaine d’adhérents, et les élus ont réussi à s’imposer face à une direction peu habituée au dialogue social.

Chez Primark, les chiffres donnent le tournis. Ouvert en décembre 2013, le premier magasin français de la multinationale irlandaise s’est installé dans un centre commercial des quartiers nord de Marseille sur près de 6 000 mètres carrés. Environ 600 salariés font tourner cette boutique amirale qui peut accueillir certains samedis plusieurs milliers de clients attirés par les prix très très bas des vêtements du nouveau concurrent de H&M, Zara ou Kiabi. Depuis l’inauguration marseillaise, huit autres magasins ont ouvert en France – et un dixième est attendu début janvier.

Delphine Pisciotta comme Anaïde Rapin font partie des premières employées de l’entreprise, des « anciennes », tant le turnover est élevé dans la boutique. « Sur les 800 salariés que nous étions à l’ouverture, il ne doit en rester qu’une centaine », constatent-elles. Avec des salaires très bas, des conditions de travail difficiles et plus de 60 % des postes à temps partiel, l’entreprise n’offre pas, il est vrai, un cadre professionnel optimal – c’est un euphémisme. Mais grâce au dynamisme des élus CFDT, les choses sont en train de s’améliorer.

Militants sur tous les fronts

   

Un gros effort de pédagogie
Lors des premières élections professionnelles organisées dans l’entreprise, la section CFDT n’a pas cherché à mettre en avant ses revendications. Les salariés du magasin étant très jeunes et peu au fait du monde syndical, elle a surtout communiqué sur le rôle des instances et des élus qui vont les y représenter.

La recherche du dialogue
Les salariés qui ont monté la section syndicale ont choisi la CFDT car ils souhaitaient adhérer à un syndicat qui recherche le dialogue avec la direction plutôt que la confrontation. C’est également la volonté de dialogue qui guide leurs relations avec l’ensemble des salariés. « Dès qu’ils ont une question, ils savent où trouver l’un de nous dans le magasin, explique la section. Et s’il y a un gros souci, on peut poser un quart d’heure de délégation pour le régler au plus vite. »

Utiliser le réseau
Dès leurs premiers pas dans la CFDT, l’équipe s’est appuyée sur des militants expérimentés, notamment le secrétaire du Syndicat Commerce et Services des Bouches-du-Rhône et le délégué syndical de Carrefour, qui travaille dans le même centre commercial. Les élus entament à présent un travail avec deux militants-ressources expérimentés, dans le cadre d’une expérimentation de l’Union régionale interprofessionnelle de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Une belle illustration de la force du réseau CFDT.

       

Depuis deux ans, en effet, Delphine, Anaïde, Valérie, Julien, Hicham, Christophe et Sabrina sont sur tous les fronts. Ils ont créé la section CFDT, monté une liste pour les élections professionnelles, remporté l’ensemble des sièges (à l’exception du collège cadres) au premier tour tout en faisant adhérer une centaine de leurs collègues. « Ce qui est remarquable dans le travail des élus de Primark, c’est qu’ils remplissent pleinement leur rôle auprès des salariés tout en continuant à se développer, relève Serge Nardelli, secrétaire général du Syndicat CFDT Commerce et Services des Bouches-du-Rhône. Le tout sans avoir jamais eu aucune expérience syndicale auparavant. »

C’est en plongeant dans le grand bain du syndicalisme que la fine équipe a appris à nager – et elle ne le fait pas en amateur. « Dès le début, nous avons pu compter sur l’aide de Serge, qui répond très vite à toutes nos interrogations, et de Smaïn, délégué syndical CFDT du magasin Carrefour qui se trouve dans le même centre commercial », explique Delphine, déléguée syndicale de Primark Marseille et déléguée syndicale centrale du groupe. « On passe aussi pas mal de temps sur internet pour pouvoir répondre aux questions des salariés, complète Christophe Reynier, secrétaire du CHSCT. Nous sommes devenus des spécialistes du site Légifrance. »

Et le travail ne manque pas pour ces élus. Parfois débordés, parfois de mauvaise foi, la direction et le management intermédiaire franchissent régulièrement la ligne jaune. « Au début, un salarié qui portait des chaussures de marque apparente ou un jean légèrement gris clair [alors que le noir est obligatoire] était renvoyé chez lui sans être payé, au mépris des textes de loi », explique Delphine. « Les salariés ne pouvaient pas aller aux toilettes sans l’autorisation de leur hiérarchie, renchérit Valérie. Et la direction décidait arbitrairement du moment de notre pause. Parfois, à peine une heure après notre arrivée. »

En deux ans, les élus sont parvenus à limiter les abus et à fixer des règles plus claires. Un salarié ne peut plus être renvoyé chez lui, les plannings sont annoncés trois semaines à l’avance et les demandes de congés sont traitées dans le mois. Ils ont également obtenu le respect de la pause médiane, c’est-à-dire que leur temps de pause est bien prévu au milieu de leur service. « Ce qui est pénible, c’est que le turnover chez les managers est aussi très important, pointe Valérie. Nous devons donc rappeler tout le temps les limites à ne pas dépasser car beaucoup sont jeunes et peu ou mal formés. »

Plusieurs avancées tangibles

Outre le respect des règles et des personnes, la section a également obtenu quelques victoires tangibles. Les personnes chargées de travailler dehors ont reçu des vestes adaptées (Primark ne fournissait jusque-là que des tee-shirts) et les caissières ont été dotées de sièges « assis-debout » alors qu’elles n’avaient rien jusqu’alors pour se reposer. Côté salaires, il y a également eu des avancées lors des dernières négociations obligatoires. Les élus ont obtenu l’instauration progressive sur trois ans d’un treizième mois, une prime de nettoyage pour le tee-shirt et une participation. « Mais nous restons encore l’une des marques qui paient le moins bien sur le marché, souligne Delphine. La politique de Primark est de ne recruter que des salariés polyvalents au bas de l’échelle. Nous devons être capables de tout faire et, hormis si on souhaite devenir superviseur ou manager, il n’y a pas de perspective de carrière. C’est l’un des sujets que nous devrons faire évoluer dans les années à venir. »

Deux militants-ressources en soutien

Les premières victoires obtenues par la section ont renforcé la motivation des militants, qui utilisent toutes les ressources du réseau CFDT. Afin de mieux préparer les réunions avec la direction, ils ont ainsi décidé de faire appel cette année aux militants-ressources proposés par l’Union régionale interprofessionnelle de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Anne-Marie Gauthier et Philippe Poireau, deux militants expérimentés venus de la Fédération Communication, Conseil, Culture (F3C) et formés à ce nouveau rôle par la Confédération vont ainsi les accompagner, dans un premier temps pendant une période de six mois. « C’est la première section qui entre dans le dispositif, souligne la secrétaire régionale Caroline Mazzoni. L’équipe est jeune, enthousiaste, avide d’apprendre et en demande de soutien. Un casting idéal pour lancer l’expérimentation sur les militants-ressources en Paca. »

Et preuve que ces militants ont pris goût au militantisme syndical, une partie d’entre eux a décidé d’intégrer le groupe jeunes monté par l’union régionale et de s’inscrire sur les listes en vue du renouvellement des conseils de prud’hommes en septembre prochain. « Je suis à fond !, lance Sabrina, membre du CHSCT. Obtenir des vestes pour les salariés qui travaillent à l’extérieur nous a pris plus de quatre mois de discussions avec la direction, mais cela fait tellement plaisir quand on obtient gain de cause que l’on a envie de multiplier les initiatives. »

jcitron@cfdt.fr

     

Repères

• Entreprise irlandaise spécialisée dans la distribution de vêtements à bas prix, Primark a été fondée en 1969 en Irlande. Elle possède 300 points de ventes aux États-Unis et en Europe dont neuf en France. La multinationale emploie plus de 50 000 salariés à travers le monde dont 4 000 en France.

• À Marseille, la CFDT est la seule organisation syndicale. Elle compte près de 100 adhérents sur 600 salariés. À l’échelle du groupe, elle est majoritaire avec 55 % des voix aux élections professionnelles, devant la CGT.