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Le collectif et la convivialité pour armes syndicales des auxiliaires de vie d'Elbeuf

Publié le 28/02/2017

Dans des conditions sociales des plus difficiles, la section CFDT des auxiliaires de vie de l’OPAER d’Elbeuf se bat au quotidien pour la dignité de leur métier.

Elbeuf, dans la banlieue de Rouen, un mardi soir d’hiver peu après 20 heures. Une vingtaine d’auxiliaires de vie – certaines accompagnées de leurs enfants en bas âge faute de moyen de garde approprié – arrivent, comme toutes les semaines, dans la grande salle de l’union locale CFDT afin de tenir leur réunion de section. Pendant deux heures, sur leur temps personnel, elles vont débriefer la dernière réunion DP-CE (délégation du personnel et comité d’entreprise) et préparer la prochaine, qui doit avoir lieu quelques jours plus tard. L’ambiance conviviale et détendue – les auxiliaires ont apporté chips, cakes et jus de fruits – ferait presque oublier la dureté de leurs conditions de travail et le bras de fer que se livrent la direction et la section CFDT depuis sa création, en mai 2015. Ce soir, Sandrine et Nadège, les deux responsables de la section, arborent un large sourire. Après un combat de six mois, elles peuvent enfin annoncer à leurs adhérentes une « grande » victoire : désormais, la direction fournira des gants à usage unique lors de la première visite d’une auxiliaire de vie chez un nouveau client. « Ça ne paraît sans doute pas grand-chose, d’autant plus qu’il s’agit d’une obligation légale », explique Christèle Bigaré, du Syndicat Santé-sociaux 76 Rouen Elbeuf Dieppe, qui a pris la section sous son aile depuis sa création. « Mais, auparavant, c’était aux filles de payer les gants jusqu’à ce que le client ou un membre de sa famille ait eu le temps d’en acheter. » « Ce sont ces petites avancées qui, mises bout à bout, nous permettent de garder espoir », ajoute Sandrine.

La création d’un collectif

     

Une convivialité à toute épreuve
« On était des collègues et, maintenant, on est des amies. » Yamina résume parfaitement l’état d’esprit des membres de la section. Pas une des adhérentes ne raterait, sauf évènement imprévu, les réunions de section du mardi soir. « La CFDT nous a donné la force de dire non de façon collective mais, plus important encore, on passe de super moments ensemble, ce qui nous permet de ne pas baisser les bras quand ça va moins bien. »

Une solidarité sans faille
Dans un milieu professionnel où les salaires sont bas, payer une cotisation syndicale peut parfois être difficile, voire matériellement impossible. Il faudrait plus que cela pour décourager les auxiliaires de l’OPAER : les adhérentes de la section se sont cotisées afin de payer la première année de cotisation d’une collègue récemment embauchée, mais trop juste financièrement pour pouvoir payer son adhésion.

Le soutien médiatique de Laurent Berger
Laurent Berger a rencontré les auxiliaires de l’OPAER début décembre. De leurs échanges est né un billet sur son blog (« Ce que le syndicalisme a de meilleur », billet du 8 décembre 2016), que Sandrine et Nadège se sont fait un plaisir de présenter à la direction. « En plus de la fierté de voir que le secrétaire général de la CFDT s’intéresse à nous, le billet du blog nous a crédibilisées dans notre action et a impressionné la direction. »

     

Mais quelle est donc cette boîte où obtenir le respect de la loi devient une victoire syndicale ? Il s’agit de l’OPAER (Organisation des personnes aidées d’Elbeuf et sa région), une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui emploie 150 personnes, quasi exclusivement des femmes, dans le domaine du maintien à domicile autour d’Elbeuf. Longtemps gérée de façon paternaliste, à l’instar de nombreuses associations d’aide au maintien à domicile, l’OPAER a décidé en avril 2015, pour des raisons financières, de passer du statut d’association à celui de SCIC. Pour les salariées, dont aucune n’était syndiquée à l’époque, les conséquences ont été terribles. La convention des services à la personne qui s’applique désormais est bien moins protectrice que la précédente convention des organismes d’aide ou de maintien à domicile. Résultat : indemnités de frais kilométriques divisées par trois, suppression des jours de congés pour enfant malade, baisse brutale de la rémunération des dimanches et jours fériés travaillés. Soit une diminution moyenne de leur rémunération mensuelle de 150 à 200 euros nets… dans une profession où les salaires sont déjà très faibles.

En vue de faire avaliser ce changement de convention collective, la direction a joué sur la peur de la perte d’emploi, afin d’obtenir la signature d’un avenant à leur contrat de travail de la plupart des 150 salariées. C’est dans ces conditions qu’une poignée d’auxiliaires de vie ont décidé de prendre conseil auprès d’une organisation syndicale. « On est d’abord allé voir la CGT, raconte Nadège, mais comme leur seule réponse a été “Faites la grève”, on a préféré voir ailleurs. On n’a pas les moyens de ne pas être payées ! » À la CFDT, l’accueil et le discours furent tout autres : « Nous avons rapidement compris que le syndicat nous soutiendrait et nous aiderait à nous organiser. » C’est ainsi qu’est née la section CFDT de l’OPAER en mai 2015 : « Au début, seules les fortes en gueule ont adhéré à la CFDT et refusé de signer l’avenant à leur contrat de travail », se souvient Christèle. La direction a alors accentué la pression en menaçant de licenciement celles qui refusaient de signer. « Au-delà du fait que l’on avait l’impression que la direction nous prenait pour des illettrées incapables de comprendre le texte de la convention collective, l’apport du syndicat nous a permis de faire bloc et de nous rendre compte que malgré ses menaces, la direction ne pouvait pas se passer de nous, à cause d’un manque criant d’effectif », poursuit Nadège.
Si, au départ, leurs collègues ont eu tendance à se méfier des quelques adhérentes CFDT – victimes de la peur orchestrée par la direction –, la section a rapidement grandi jusqu’à atteindre aujourd’hui près de 20 % de l’effectif global de l’OPAER.

L’amélioration des conditions de travail

Bien que la direction joue la montre et refuse toujours l’installation d’un CHSCT, la section CFDT a fait des conditions de travail son cheval de bataille. Dans ce bassin d’emploi durement touché par la crise et le chômage, ces professionnelles, qualifiées (contrairement à l’image humiliante que leur renvoie la direction), n’ont pas choisi leur métier par hasard. Mais elles l’exercent dans des conditions difficiles, avec le sentiment de « ne plus pouvoir bien faire [leur] travail ». La cause ? Une organisation du travail absurde qui aboutit au triste exploit de nuire simultanément aux salariées, à la qualité du service rendu et à l’équilibre financier de la structure : toutes les auxiliaires de vie de l’OPAER sont à temps partiel et alternent sans visibilité ni prévisibilité des semaines allant de 13 à 44 heures effectives. Sans compter qu’elles opèrent dans un rayon de plus de 40 kilomètres. Pour trois heures de travail effectif dans la journée, Yamina passe sa vie « à attendre sur les bancs publics entre deux interventions »… au point de se faire réprimander par sa direction au motif qu’elle donne « une mauvaise image de l’entreprise ». De son côté, Cathia multiplie les allers-retours entre chez elle et le boulot, jusqu’à cinq fois dans la journée. Toutes ont le même sentiment : « L’unique objectif de la direction est de faire tenir nos tournées dans ses plannings avec comme conséquences des horaires délirants pour nous et le risque de tomber dans la maltraitance des personnes visitées », s’indigne Nadège. Face à la multiplication des arrêts maladie, qui sont devenus l’unique soupape permettant de relâcher la pression, la section CFDT a arraché l’obtention d’une pause méridienne d’une heure, entre 11 et 14 heures. « Comme pour les gants, il s’agit d’une vraie victoire, qui a été rendue possible par la force du collectif », martèle Christèle. « En un peu plus d’un an, la section a permis des avancées qui selon nous sont extraordinaires, abonde Catherine. Il reste encore beaucoup à faire mais, désormais, on a confiance en nous et dans la CFDT. On sait qu’on va y arriver ! » Un signe ne trompe pas : les salariées qui n’osent pas encore adhérer n’ont plus peur de soutenir ouvertement la section. Et comme le dit Nadège, « le jour où la direction aura compris qu’on aime notre métier et que plutôt que de nous faire la guerre, elle a tout à gagner à réellement négocier avec la CFDT, on aura fait un pas de géant dans la bonne direction ! ».

nballot@cfdt.fr

     

Repères

• Spécialisée dans le maintien à domicile, l’OPAER, créée en 1972 sous statut associatif, a été transformée en société coopérative d’intérêt collectif en 2015. Elle emploie 150 salariées, principalement des auxiliaires de vie (toutes à temps partiel).

• La CFDT est la première organisation syndicale à s’y être implantée en quarante ans. La section compte 30 adhérentes. En novembre 2015, elle a obtenu 2 élues titulaires sur 4 et 3 suppléantes sur 4 lors des élections à la délégation unique du personnel face à des candidates sans étiquette.