Russie : la voie digitale de la société civile

Publié le 22/06/2015 (mis à jour le 24/07/2015)

Les activistes russes ont investi les réseaux sociaux, ultime espace de liberté dans un pays qui se referme. Le pouvoir s’ingénie à trouver des parades afin d’étouffer les voix qui s’élèvent.

Le célèbre blogueur russe Alexis Navalny est resté des mois à se morfondre dans son appartement moscovite. Cet activiste anticorruption a été condamné puis assigné à résidence pendant plus d’un an pour une affaire de détournement de fonds –  dont les mauvaises langues disent qu’elle a été fomentée par le pouvoir.

L’ex-candidat à la mairie de Moscou a eu l’audace de se présenter contre le parti au pouvoir, Russie unie, qu’il avait qualifié de « parti des voleurs et des escrocs ». La formule avait alors connu un joli succès dans les manifestations de contestation qui suivirent la réélection de Vladimir Poutine en mai 2012. Toujours harcelé par la justice, le blogueur continue toutefois de dénoncer la corruption et les dérives autoritaires du pouvoir sur les réseaux sociaux.

Les Russes s’emparent des réseaux sociaux

Navalny tweettant depuis son canapé, c’est tout un symbole. En Russie, toute parole libre ne peut s’exprimer que sur internet. « Une véritable culture web est née en Russie, favorisée sans doute par la généralisation d’internet sur mobile, note Alexis Prokopiev, blogueur et président de l’association Russie-Libertés. Dans un pays où les médias sont bâillonnés, la société civile s’est emparée des réseaux sociaux. » Le Facebook russe, VKontakte (« En contact »), compte 60 millions d’abonnés et 68% des Russes surfent régulièrement sur le web. Comme le blogueur Navalny, les militants y ont tout naturellement élu domicile. Les associations de défense des droits des homosexuels y côtoient des mouvements de citoyens et des foyers d’opposition politique. Beaucoup de mobilisations locales y sont nées.

C’est le cas du mouvement pour la défense de la forêt de Khimki, près de Moscou. Evguenia Chirikova (photo) y vit avec sa famille quand elle apprend qu’une autoroute doit traverser ce site protégé. Elle s’élève alors contre le projet, rallie d’autres résidents et citoyens à son mouvement, « Les Défenseurs de la forêt de Khimki », se frotte aux autorités et découvre, au fur et à mesure de son engagement, des faits de corruption qu’elle dénonce sur internet. Les travaux sont gelés, en partie repris depuis, mais la bataille continue.

L’autorité officielle veille

Conscient de la puissance d’internet et soucieux de faire taire toute opposition, Vladimir Poutine, depuis son retour à la présidence, n’a eu de cesse de réduire à néant cette « cybersphère » rebelle. « Depuis 2012, une avalanche de lois vise à restreindre les libertés sur le web », explique Julien Nocetti, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri). La loi contre la « propagande homosexuelle » ou celle contre l’extrémisme, notion très floue qui s’applique globalement à tout ce qui déplaît au pouvoir, sont régulièrement invoquées pour faire taire l’opposition. Et tout réseau social ou blog qui reçoit plus de 3 000 visiteurs par jour doit être enregistré auprès du Roskomnadzor, l’autorité officielle de surveillance des télécommunications. « Ce gendarme du Net a un vrai pouvoir politique, précise Julien Nocetti. Il peut faire fermer des sites, supprimer des contenus… » Contrairement au pouvoir chinois, les autorités russes n’agissent pas frontalement, mais pratiquent un harcèlement administratif systématique.

Cette stratégie n’a toutefois pas permis de museler totalement la contestation. Depuis son salon, Alexis Navalny prépare la campagne des primaires d’une nouvelle coalition de partis d’opposition, en vue des élections régionales de septembre. Menacée d’être privée de la garde de ses enfants, Evguenia Chirikova s’est, elle, réfugiée en Estonie. Depuis Tallinn, elle poursuit son combat en alimentant un blog écologiste très actif. 

mneltchaninoff@cfdt.fr

©Photo Kirill Kudryavtsev / AFP