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Accord de libre-échange UE-USA : dédramatiser le débat

Publié le 23/02/2015

Le traité transatlantique, qui prévoit d’ouvrir la plus grande zone économique et commerciale de libre-échange, suscite craintes et fantasmes. La CFDT, qui n’y est pas opposée par principe, a organisé dans ses locaux un débat sur ce sujet complexe le 11 février dernier.

Scepticisme, méfiance et rumeurs… Depuis le lancement, en juillet 2013, de la négociation du traité transatlantique pour une zone de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis, l’opinion publique exprime de la défiance vis-à-vis d’un libéralisme américain perçu comme une menace contre une Europe réputée plus protectrice envers les salariés et consommateurs.

Faut-il pour autant se contenter d’une opposition systématique devant la perspective d’un marché qui pourrait générer de la croissance et des emplois ? « Une attitude de rejet réduit les organisations syndicales à rester spectatrices de la négociation, note Yvan Ricordeau, chargé des questions internationales à la CFDT. En outre, cette négociation porte sur des enjeux de droits sociaux et environnementaux qui nous sont chers. »

Le PTCI (partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) en français, TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) en anglais, ou sous son ancienne appellation Tafta (Trans-Atlantic Free Trade Agreement), quel que soit l’acronyme par lequel on le désigne, le traité de libre-échange permettrait d’ouvrir le marché des deux côtés de l’Atlantique, de lever les barrières tarifaires, d’harmoniser les normes, de fixer de nouvelles règles afin de faciliter les échanges de biens, de services et d’investissement.

La négociation se déroule entre la Commission européenne, mandatée par les vingt-huit États membres, et le Bureau du représentant américain au commerce. Entamée en 2013 par le très libéral Karel De Gucht, alors commissaire européen au commerce, elle se poursuit depuis le changement de mandature sous la responsabilité de Cecilia Malmström, plus encline à débattre avec la société civile.

Vers plus de transparence

Le secret qui a entouré les premiers mois de la négociation ne pouvait qu’alimenter les fantasmes et les exagérations, aussi bien chez les partisans du traité que chez ses détracteurs. Les uns promettaient des retombées miraculeuses sur la croissance et l’emploi – un commissaire européen avait même chiffré à 545 euros, étude commandée par l’Union européenne à l’appui, le gain supplémentaire pour un ménage européen. Quand les autres opposaient les hypothèses de poulet au chlore et de bœuf aux hormones inondant les bacs des supermarchés.

Devant l’attente des citoyens, le processus gagne un peu en transparence. Le mandat donné à la Commission par les Vingt-Huit a été rendu public en octobre 2014, et de nombreux textes sont en ligne sur le site de la Commission. L’accès à l’intégralité des documents est réservé à quelques heureux élus, parmi lesquels trois membres du Cese (Comité économique et social européen), qui peuvent les consulter à l’abri des regards… dans une salle sécurisée.

Ces efforts de transparence ne sont pas suffisants pour une partie de la société civile européenne. Les inquiétudes portent plus sur les normes, environnementales et sociales comprises, en cours de négociation. Les normes américaines seraient, selon une opinion répandue, moins élevées que les normes européennes. Cette assertion n’est pas avérée. « Les études montrent une équivalence entre les normes, a expliqué Elvire Fabry, chercheuse à Notre Europe-Institut Jacques Delors, lors du débat organisé à la Confédération le 11 février dernier. Dans un tiers des cas, les normes américaines sont plus élevées ; pour un tiers, elles le sont moins ; pour le tiers restant, l’écart est minime. »

La négociation relative aux normes réglementaires se rapprocherait du travail accompli lors de la construction du marché unique européen. « Plus qu’une négociation, c’est un exercice de coopération réglementaire qui va durer des années, voire des décennies », a souligné Elvire Fabry. La création d’un comité de coopération réglementaire permettrait d’assurer un niveau de protection similaire concernant les nouveaux produits tels que les nanotechnologies.

Quels produits, quels services concernés ?

Sur le périmètre même de la négociation, tout n’est pas encore fixé. « Dans les prochains mois, le débat portera sur la constitution de listes de catégories de produits ou de services à exclure ou à intégrer au périmètre du traité, les appellations d’origine géographique par exemple », indique Elvire Fabry. L’audiovisuel a déjà été retiré du champ de la négociation, à la demande de la France. Le sort des services financiers n’est pas encore tranché. Tous les produits et services peuvent être concernés, aussi bien les services marchands que les services publics, santé, éducation, etc., ce qui soulève là encore des interrogations.

Actuellement, le point le plus litigieux de la négociation est le RDIE (Règlement des différends entre investisseurs et États). Ce mécanisme s’inscrit dans les accords d’investissements bilatéraux et prévoit le recours à un tribunal d’arbitrage privé. La crainte de voir des multinationales attaquer un État et remettre en cause une législation sociale, environnementale ou sanitaire a provoqué une forte réaction de la société civile. La clause est, pour l’instant, suspendue. Quoi qu’il en soit, des filets de sécurité existent, le résultat de la négociation, qui ne sera pas connu avant 2016, devra être ratifié par le Conseil et le Parlement européens.

mneltchaninoff@cfdt.fr