Réformes sociales : les grandes lignes et les zones d’ombre du projet de loi
Le gouvernement a transmis pour avis au Conseil d’État le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui réforme la formation professionnelle et l’assurance-chômage.

Pas de répit. À peine la loi de ratification des ordonnances pour le renforcement du dialogue social promulguée, le 31 mars, le gouvernement lance le second volet des réformes sociales annoncé comme devant sécuriser les parcours professionnels. La première étape vient d’être franchie, avec la transmission au Conseil d’État du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Au menu : formation professionnelle, assurance-chômage et apprentissage – mais aussi travail détaché, égalité professionnelle, emploi des travailleurs handicapés et mobilité des fonctionnaires. Au total, 65 articles et pas moins d’une centaine de pages composent ce texte qui laissent de grandes zones de flou quant à ses modalités d’application : afin de s’éviter un débat parlementaire trop long, l’exécutif a pour l’instant choisi de renvoyer plusieurs dispositions à la publication des décrets.
Inconnues et déconvenues
De nouveaux droits pour les agents du secteur public Les agents publics ont joué les invités surprise du projet de loi. Une disposition prévoit le maintien de leurs droits à avancement d’échelon et de grade durant une période de disponibilité. Les agents peuvent en effet demander une mise en disponibilité d’une durée maximale de dix ans quand ils souhaitent exercer une autre activité, créer ou reprendre une entreprise, suivre leur conjoint, poursuivre des études ou mener des recherches. Jusqu’à présent, leur carrière était gelée pendant cette période. Dorénavant, leurs droits seront maintenus sur une durée maximale de cinq ans. La disposition ne s’appliquera pas aux agents en disponibilité pour élever un enfant. « Nous nous réservons la possibilité de compléter ces mesures au cours de la concertation sur l’égalité professionnelle », indique Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT-Fonctions publiques. |
C’est le cas de la réforme de l’assurance-chômage, dont l’ambition consiste à « garantir une assurance-chômage plus universelle et plus juste », explique le texte. Les premiers jalons de cette réforme ont été posés par les partenaires sociaux dans l’accord national interprofessionnel du 22 février, que reprend en partie l’exécutif. Le projet de loi confirme ainsi l’extension des cas ouvrant droit à indemnisation pour les salariés démissionnaires porteurs d’un projet d’évolution professionnelle, sous réserve d’une durée d’affiliation minimale de cinq ans. Tout comme il confirme la volonté d’un bonus-malus sur les cotisations patronales en vue de limiter le recours aux contrats (très) courts, si les branches ne traitent pas le sujet au préalable. Mais les contours du dispositif ne sont pas précisés, « la loi ouvrant la faculté de prendre des mesures par décret au Conseil d’État pour lutter contre la permittence », indique le texte.
L’incertitude pèse également sur la question, sensible, du cumul allocation-salaire. Dans la première version transmise au Conseil d’État, le 27 mars, l’exécutif s’octroyait la possibilité d’adapter par décret ce dispositif – instauré dans les années 90 pour permettre à un chômeur indemnisé retrouvant un travail de cumuler une partie de ses allocations avec son revenu d’activité, et qui bénéficie aujourd’hui à 854 000 personnes. Le maintien de cette disposition dans le texte final attendait, à l’heure où nous bouclions, d’ultimes arbitrages de l’Élysée. Déjà échaudée par les récentes annonces sur le contrôle des chômeurs et le renforcement du rôle de l’État dans la gouvernance du régime, la CFDT accueille mal cette disposition jugée provocatrice. « Vouloir diminuer les droits des demandeurs d’emploi en tapant sur les plus précaires est inacceptable. Ce n’est ni ce que l’on avait négocié, ni ce sur quoi le gouvernement s’était engagé », déclare Véronique Descacq.
Quelle gouvernance ?
Côté formation professionnelle, le gouvernement dit vouloir « développer et faciliter l’accès à la formation […] dans un souci d’équité, de liberté professionnelle, dans un cadre organisé collectivement et soutenable financièrement ». Comme pour l’assurance-chômage, plusieurs dispositions sont renvoyées à la signature de décrets ou à des ordonnances. Des inconnues demeurent notamment sur le financement du conseil en évolution professionnelle (CEP) comme sur la formation des salariés des très petites entreprises (TPE). Un choix à tout le moins frustrant pour la CFDT. « La phase de concertation entre l’accord national interprofessionnel et le projet de loi n’a pas été de qualité, déplore Yvan Ricordeau. Nous avons eu beaucoup de difficultés à faire bouger les lignes, notamment sur la gouvernance. » C’est un des gros points de vigilance de la CFDT. « Alors que le lieu de gouvernance paritaire est parfaitement identifié dans les branches, ce n’est pas du tout le cas sur les territoires. » C’est pourtant là, au plus près des entreprises, que l’analyse des besoins en compétences doit être la plus fine.
Plus fâcheux, certaines dispositions du projet de loi vont à rebours des grands principes actés dans l’accord interprofessionnel. Alors qu’elle avait été unanimement rejetée par l’ensemble des partenaires sociaux lors des rounds de négociation, la monétisation du compte personnel de formation (CPF) fait son apparition dès le premier article du projet de loi. « Comptabilisé en euros, [le CPF] offrira plus de lisibilité aux actifs pour connaître le capital dont ils disposent », soutient le ministère du Travail. Selon Yvan Ricordeau, cela risque surtout de « diminuer les droits des salariés ». Largement impliquée tout au long de la première phase de ces réformes, la CFDT a pu obtenir des garanties à travers les accords formation professionnelle et assurance-chômage, comme dans la concertation apprentissage. « Mais le travail syndical ne s’arrête pas là, bien au contraire. Il va se poursuivre jusqu’à la fin de l’année pour peser sur le Parlement sur chacun des sujets. » Côté CFDT, la partie est loin d’être jouée.