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À Rungis, des salariés peu considérés

Publié le 19/12/2016

Plusieurs fois par an, les militants investissent le plus grand marché de produits frais d’Europe à la rencontre des salariés, pour la plupart des TPE. Conditions de travail, horaires et salaires sont des sujets que tous n’abordent pas avec la même sérénité.

Rungis GaillardinMarché de Rungis, 2 heures du matin. Dans ce lieu emblématique, situé en banlieue parisienne, 12 000 salariés majoritairement de petites entreprises s’affairent. Ici, commerçants et restaurateurs se fournissent en produits frais auprès de grossistes professionnels. La CFDT, présente sur le site, y tient des permanences une fois par semaine, souvent de nuit, et organise des tournées du site. Mais la tâche est fastidieuse. « Beaucoup de salariés de TPE travaillent et transitent par Rungis, mais ils ne sont pas forcément faciles à repérer ni à aborder », explique Raphaël Ropert. Pourtant, comme chaque semestre, il va arpenter les pavillons rayon par rayon, avec quelques militants venus lui prêter main-forte.

« Cette campagne de proximité, nous tenons vraiment à la mener dans la durée. » Après quelques regards circonspects, Étienne s’approche. Il a pris la précaution de s’éloigner de son patron pour parler plus librement. Arrivé il y a cinq ans, il évoque des débuts difficiles, où il se demandait souvent s’il allait tenir. Les températures proches de zéro, pour conserver les produits, la fatigue avec un rythme de vie inversé – travailler la nuit, dormir le jour… « J’ai appris à vivre avec ces conditions et à faire en sorte que mes primes de nuit (10 %) et mes heures supplémentaires soient rémunérées, ce qui n’était pas le cas au début. Notre employeur est comme ça, il teste les nouveaux pour connaître leur capacité de résistance, explique-t-il. Actuellement, je sais que deux petits jeunes sont dans ce cas. Mais ils n’osent rien demander de peur d’être virés. »

Rungis GAP5159 Gaillardin« Une situation typique, affirme Jacqueline Foucard, responsable syndicale sur Rungis. Et lorsqu’ils parlent, c’est pour négocier leur départ. Nous avons une vraie difficulté à dépasser l’individuel pour traiter le problème collectif et structurer les salariés. » Il y a aussi une question générationnelle à Rungis. Les anciens, souvent arrivés là par hasard et sans trop connaître leurs droits, étaient peu regardants sur leurs conditions de travail. Mais la pénibilité, les horaires décalés et les salaires indexés aux conventions collectives ont fini par décourager les plus jeunes, dont certains renoncent avant la fin de leur période d’essai. Gérard ne les comprend que trop bien. « Je vois ces jeunes arriver là, complètement perdus dans l’immensité du site. Vu de l’extérieur, les gens s’imaginent que 12 000 salariés représentent un certain poids, mais c’est tout le contraire. Beaucoup sont isolés professionnellement et même socialement. » À 54 ans, il songe sérieusement à quitter ce pavillon des fruits et légumes qu’il arpente chaque nuit depuis vingt ans. Mais il s’inquiète en pensant à toutes ces années où il n’a pas cotisé. Ce n’est pas la première fois que Raphaël entend cette préoccupation : « Régulièrement, des salariés atteignant l’âge de la retraite viennent nous voir pour se faire accompagner dans leurs démarches. Mais quand on leur demande leurs papiers, certains nous disent qu’ils travaillent depuis vingt ans sans aucune feuille de paie ! » La nuit s’achève pour les militants de Rungis, mais le combat pour les salariés, lui, sera encore long. 

aballe@cfdt.fr

 

© Reportage photo : Patrick Gaillardin