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[Interview] Laurence Vanhée : “On nous considérait comme des sorciers” (3/5)

Publié le 20/01/2020

DRH au ministère de la Sécurité sociale belge de 2009 à 2013, Laurence Vanhée a bouleversé les règles du management avec une idée en tête, instiller la culture du bonheur dans un organisme alors en pleine transformation.

LaurenceVanhee c OrianeSafreProustOn n’imagine pas une institution aussi sérieuse que la Sécurité sociale belge se doter d’une chief happiness officer… Comment avez-vous procédé ?

 Avant d’être nommée au ministère, j’avais été DRH dans des entreprises cotées en Bourse, très exigeantes vis-à-vis des cadres. J’étais surinvestie. Mon dernier employeur était sans doute le type le plus intelligent du monde mais dans une posture d’hypercontrôle permanent. Cela ajouté à des difficultés d’ordre personnel, et j’ai fini par faire un burn-out. J’ai mis onze mois à me relever de ma dépression. Je me suis juré alors de ne jamais plus être malheureuse au travail.

J’ai été recrutée à la Sécurité sociale belge au poste de directrice générale du service de l’encadrement. Un titre qui ne fait pas rêver ! Le contexte n’était pas des plus propices à la joie et à l’épanouissement. Une réorganisation des services était en vue. J’avoue que j’ai hésité, je ne me sentais pas l’énergie d’affronter toutes les pesanteurs de cet organisme public. Je me suis finalement décidée à rester. La condition était de pouvoir cultiver ma part de bonheur au travail et de créer les conditions pour que les collaborateurs puissent faire de même. J’avais beaucoup lu sur ce sujet. Je n’étais pas seule à l’initiative, le dirigeant de l’époque, un humaniste convaincu, progressiste, était sur la même longueur d’onde et m’a donné carte blanche. Mon poste était positionné au niveau du comité de direction, j’avais donc toute latitude pour intégrer la démarche dans la stratégie du ministère.

Concrètement, qu’avez-vous changé ?

 Je ne suis pas arrivée de façon fracassante en disant happy ! Nous avons construit une culture de collégialité et de collaboration.
Nous avons repensé les espaces de bureau, introduit le télétravail. Les collaborateurs – essentiellement des statisticiens, des chercheurs dans le domaine de la santé mais aussi des administratifs et des techniciens – ont eu la liberté de choisir leur temps de travail, leurs méthodes et leurs outils. Nous avons privilégié l’expérimentation, avec un retour permanent des salariés. Un process ne fonctionne pas ? Peut-être faut-il y renoncer, etc.
La liberté donnée à chacun suppose en retour une grande responsabilité et de la confiance. Les objectifs étaient fixés et évalués collectivement et non plus individuellement.

Ces changements ont-ils été bien accueillis ?

 On nous considérait un peu comme des sorciers. Il y avait de la méfiance au début, y compris de la part des syndicats. Puis ils se sont pris au jeu. Je m’étais engagée à examiner en trois réunions au maximum toute suggestion remontée par les représentants du personnel, alors que certaines questions traînaient depuis des années. Tous les sujets pouvaient être abordés. Un défaut dans l’air conditionné, une utilisation budgétaire peu judicieuse ou un problème de management dans un service.

Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de cette expérience ?

 Elle n’aurait pas pu se faire sans l’implication de la direction, qui a un rôle majeur d’exemplarité. Cette démarche demande du courage et de la sincérité de la part des dirigeants mais aussi des collaborateurs. Avec le recul, je suis fière de ce que nous avons mis en place. Certaines prérogatives de la Sécurité sociale belge sont aujourd’hui régionalisées, mais je sais que mes anciens collègues appliquent ces mêmes principes ailleurs, quand les entreprises les rendent possibles.

mneltchaninoff@cfdt.fr