Roland Castro : L’archi politique abonné

Architecte et militant, Roland Castro remodèle l’existant. Indigné par les grands ensembles urbains « hideux et invivables », il participe aujourd’hui à la réflexion autour du Grand Paris. Rencontre.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 20/03/2019 à 14h09 et mis à jour le 10/03/2023 à 08h12

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Cyril Entzmann

Vous êtes né à Limoges en 1940 de parents juifs, pendant l’exode. Vous racontez que votre famille a échappé à plusieurs rafles grâce à des voisins et que vous vous êtes toujours senti une dette immense. Comment cela s’est-il traduit dans votre vie ?

Votre question me ramène à mon enfance, que je ne peux évoquer sans une immense émotion. Mon histoire s’enracine bien sûr dans cet épisode-là. Ces gens du Limousin auxquels je suis si profondément attaché, le maquis communiste, je sais que ce sont des figures qui m’ont constitué. Mon père a été très abîmé par la guerre, même s’il n’a pas été pris.

Et moi, je peux dire que cela a fait de moi un Français patriote. Même dans mon travail, j’ai surtout cherché à être un architecte en France. Très peu à l’étranger, à la différence de nombreux autres architectes.

Très jeune, vous vous engagez politiquement, vous militez…

J’ai 14 ans quand la guerre d’Algérie éclate, le 1er novembre 1954. Et, dès ce premier jour, je sais que je suis contre. J’avais lu chez Marx : « Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre. » Même pendant mes études, aux Beaux-Arts de Paris, j’ai surtout milité.

J’ai eu la chance de faire partie de ce que j’appelle “la plus grande faculté de Paris”, à savoir l’Union des étudiants communistes (UEC), qui était à l’époque the place to be [l’endroit où il faut être] ! Il y avait un monde fou, tous les normaliens, mais aussi les Serge July, Bernard Kouchner, René Frydman, Pierre Goldman… C’est un endroit légendaire, un lieu de passion, de projets et de brassage formidable.

En même temps que j’étudiais l’architecture, je côtoyais des gens qui allaient devenir médecins, philosophes, peintres… Cela a nourri ma pensée. L’UEC va ensuite exploser en groupuscules et perdre cette qualité inouïe de mélange.

Comment se sont traduits vos engagements dans votre approche de l’urbanisme et de l’architecture ?

Il y a eu un moment très fort, fondateur : celui de la grève qu’on a menée aux Beaux-Arts en 1966. Une grève extraordinaire, qui portait sur le contenu de l’enseignement : on en avait marre de faire des villas à la con, pour riches propriétaires. On voulait s’occuper de la ville, de l’habitat, pour le peuple.

On voulait déconstruire l’approche qui prévalait à l’époque pour reconstruire une pensée. Cette grève va me faire dépasser le formalisme. Et, cela ne vous étonnera pas, mon projet de fin d’études a porté sur la transformation des grands ensembles. Je me suis assez vite indigné contre ce qui a été la manière de fabriquer la ville par le mouvement moderne.

Roland Castro 21 EntzmannC’est-à-dire ?

Cette façon, inspirée de la pensée ultrarationnaliste du Corbusier, de tout normaliser : l’homme [Le Corbusier prend comme étalon de mesure un homme le bras levé pour définir la hauteur de ses pièces] comme toutes les activités humaines. Ce qui se traduira par des logements en « cellules » et par une politique de zonage : des endroits pour dormir (zones d’habitation), d’autres pour travailler (zones industrielles), d’autres pour consommer ou se divertir (zones commerciales), etc.

Même si Le Corbusier était un grand artiste, du point de vue de sa pensée sur la ville, c’est une catastrophe. Sa pensée réductrice et totalitaire a empoisonné nombre de ses émules qui ont infesté le monde entier de ces barres d’immeubles, cités HLM et autres grands ensembles hideux et invivables. La ville s’est perdue en route…

Les banlieues sont une préoccupation centrale pendant toute votre carrière. Vous avez d’ailleurs fondé Banlieues 89 au lendemain de l’élection de François Mitterrand en 1981. Quel en était l’objectif ?

Nous créons l’association Banlieues 89 le 11 mai 1981, avec l’architecte et urbaniste Michel Cantal-Dupart. L’idée fondatrice est de repenser la banlieue. Nous souhaitions nous adresser aux maires, de droite comme de gauche, en disant : « Ne laissez pas les banlieues dans l’état où elles sont. »

Il nous semblait que pour favoriser le lien social, il fallait retisser le lien urbain. Et revoir ces espaces déshumanisés des grands ensembles. Nous sommes passés d’une soixantaine de projets à deux cent cinquante. Je suis allé voir Mitterrand à l’époque, en disant : « On a la preuve que quand on s’occupe sérieusement des gens, le vote Le Pen recule. » Mais cela ne servait pas ses projets. Il a lâché Banlieues 89.

Vous êtes très attaché à la beauté, à la poésie dans vos projets…

Le beau respecte. Le beau pacifie. Plus c’est moche, moins on vote. La beauté et l’urbanité, la « citadinité » et la citoyenneté, ça marche ensemble. Au moment des émeutes de 2005, les quartiers qu’on avait participé à réhabiliter n’ont pas bougé. J’y ai vu une confirmation de ce principe. On parle aujourd’hui d’un revenu universel. Je ne suis pas forcément contre. Mais je suis surtout pour un droit à l’urbanité pour tous.

Je le souligne aussi dans mon rapport sur le Grand Paris : la question de la beauté est…

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