Martin Winckler : “Les médecins ne sont pas formés à traiter les choses de la vie” abonné

Médecin et romancier à la fois, Martin Winckler est devenu célèbre avec La Maladie de Sachs, récit de la vie quotidienne d’un jeune médecin de campagne. Aujourd’hui installé au Canada, il offre dans son dernier livre Les Brutes en blanc une critique féroce du système médical français. Entretien sans concessions.

Par Marie-Nadine Eltchaninoff— Publié le 24/11/2017 à 10h01

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Le sous-titre de votre dernier ouvrage, Les Brutes en blanc, est La maltraitance médicale en France. Quelles ont été les réactions du monde médical ?

Violentes de la part de quelques-uns, positives de la part de beaucoup. Deux jours après la sortie du livre, le Conseil national de l’Ordre des médecins a produit un communiqué disant que je caricaturais la profession et que 97 % des Français étaient heureux de leur médecin. Ce qui ne veut strictement rien dire, parlant d’un sondage réalisé par l’Ordre lui-même !

La maltraitance médicale, c’est un peu comme les violences au sein du couple, c’est difficile de dire « mon médecin me maltraite », parce que l’on en a honte – et on n'est pas cru ! Sur mon blog (www.martinwinckler.com), je reçois tous les jours des témoignages de femmes qui ont subi des examens gynécologiques violents, des refus d’avortement ou de mauvaises indications de

Parcours

1955 Naissance à Alger de Marc Zaffran (Martin Winckler).

1961 La famille Zaffran quitte l’Algérie et s’installe à Pithiviers (Loiret).

1982 Diplômé de la faculté de médecine de Tours, il devient médecin de campagne dans la Sarthe et collabore à la revue Prescrire.

1989 Parution de son premier roman, La Vacation (P.O.L, 208 pages).

À partir de 1993 Se consacre à la littérature tout en exerçant au Centre de planification et au centre d’IVG de l’hôpital du Mans.

1998 Publication de La Maladie de Sachs (éditions P.O.L, 480 pages), prix du Livre Inter, adapté au cinéma par Michel Deville, et qui sera suivi de nombreux romans, essais et ouvrages de vulgarisation médicale.

2009 Émigre à Montréal, où il écrit Le Chœur des Femmes (P.O.L). Enseigne aux étudiants en médecine, à l’Université McGill et à l’université d’Ottawa.

2016 Les Brutes en blanc (Flammarion, 368 pages).

contraception, des remarques humiliantes sur leur poids ou des propos réprobateurs parce qu’elles choisissent de ne pas avoir d’enfant. En ce moment, toutes les violences subies par les femmes s’expriment : les violences dans le couple ou au travail. Que ce soient les brutalités conjugales, les maltraitances médicales ou le viol. Les réseaux sociaux libèrent la parole des femmes et provoquent un effet d’émulation, ce que je trouve très bien. Il faut que ça soit dit haut et fort.

Quand la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a soulevé la question des violences obstétricales, notamment les épisiotomies, trop systématiques, les gynécologues ont contesté les chiffres évoqués…

La ministre a cité un chiffre issu d’une enquête réalisée par sa propre association. En réalité, en France, la moyenne des femmes qui subissent une épisiotomie quand elles accouchent est entre 25 et 30 %. Le Centre hospitalier de Besançon, par exemple, n’en pratique que dans 3 % des cas ; cela veut dire qu’ailleurs, on est largement au-dessus de la moyenne !

Fixer une norme de moins de 5 % d’épisiotomies, ce serait parfait, mais c’est impossible à imposer. Beaucoup de médecins font ce qu’ils veulent, ils pensent savoir mieux que vous ce qui est bon pour vous. En France, l’hôpital est un service public à l’intérieur duquel certains se comportent encore comme des marquis. Les patrons de CHU, qui ont été créés par la loi de 1958, dirigent tout à la fois l’enseignement, la recherche et le soin. Un chef de département a tout pouvoir.

Si un chef d’obstétrique est opposé à l’avortement ou à la ligature des trompes, cela ne se fera pas dans son service. Les droits des citoyens ne sont pas respectés quand un médecin considère ainsi qu’il est au-dessus des lois.

La médecine est-elle sexiste ?

Elle l’est comme la société. Pas moins. Mais en plus, l’enseignement de la médecine est centré sur l’homme, qui n’a qu’un seul événement physiologique dans sa vie, la puberté, et ne consulte qu’en cas d’accident ou de maladie.

Ces événements sont bien plus nombreux chez la femme : les règles, les fausses couches, la première grossesse menée à terme, l’accouchement, l’allaitement, le post-partum, la ménopause… Entre 13 et 53 ans, les femmes vivent pendant quarante ans des événements physiologiques majeurs.  Et pourtant, alors qu’en France, il y a moins de diabétiques que de femmes qui souffrent de leurs règles, beaucoup de ces femmes ne sont pas soignées. Les médecins ne sont pas formés à traiter les choses de la vie. Ils sont démunis quand ils y sont confrontés, ou alors cela ne les intéresse pas.

winckler jmelin2017Pourquoi ce désintérêt ?

L’enseignement de la médecine est focalisé sur les maladies graves ou les événements nobles : l’accouchement est noble, l’avortement ne l’est pas. Les médecins, et ça part d’un bon sentiment, veulent vous éviter d’être malade. Un médecin de famille qui voit un patient mourir d’une maladie rare et grave va la rechercher chez tous ses patients. Il ne veut pas que cela lui arrive de nouveau, il a peur de passer à côté. Il est victime d’un biais de perception et focalise sur ce risque en négligeant les souffrances bénignes, mais plus fréquentes, qui pourrissent la vie quotidienne. La santé d’une population dans un pays développé, ce n’est pas la recherche exclusive des maladies graves, c’est la prévention, informer les gens pour qu’ils ne tombent pas malades. En commençant par les écouter. C’est avant tout un rôle de soignant. Ils n’y sont pas formés.

Les étudiants en médecine sont-ils formés à prendre en compte la psychologie des patients ?

Dans certaines facultés, on le fait, mais c’est récent. Et, en France, chaque faculté décide du contenu de ses enseignements. Au Canada, elles ont des obligations de formation des médecins, identiques dans toutes les provinces, même si celles-ci sont indépendantes sur le plan des politiques de santé. Le monde médical anglo-saxon est soumis à une forte compétition, mais se caractérise aussi par le partage et la collégialité.

Et par la transdisciplinarité : dans les congrès, médecins, infirmières…

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