Hugo Marchand - Étoile terrestre abonné

Du haut de son mètre quatre-vingt-douze, ce danseur hors norme défie les lois de la pesanteur… tout en gardant les pieds sur terre. Nommé danseur étoile à 24 ans, Hugo Marchand a déjà travaillé avec les plus talentueux des chorégraphes, de Benjamin Millepied à William Forsythe ou Jiří Kylián. Il a aussi interprété les plus grands rôles du répertoire classique de l’Opéra national de Paris. Rencontre intense et généreuse

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 12/05/2018 à 08h02

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Comment est née votre vocation ?

Enfant, j’étais assez turbulent, j’avais de l’énergie à revendre. Alors j’ai commencé par faire de la gymnastique, et puis un peu de cirque… J’aimais aussi me mettre en scène, lors des spectacles de l’école, par exemple. J’adorais, même !
Et puis, un jour, j’ai voulu faire de la danse. Je ne sais pas comment c’est arrivé. Mais cela a été une révélation. J’avais 9 ans.

Mes parents m’ont inscrit au Conservatoire de Nantes, et j’ai eu la chance d’avoir une très bonne prof qui m’a préparé pour l’École de danse de l’Opéra de Paris. Puis tout s’est enchaîné : je suis parti à 13 ans comme pensionnaire à l’École de danse de l’Opéra et, à 17 ans, j’étais engagé dans le corps de ballet.

Pour l’enfant puis l’adolescent que vous étiez, ces années ont-elles été difficiles ?

Le cursus est exigeant, je ne vais pas le cacher. Chaque passage en année supérieure est conditionné à la réussite à un examen très rigoureux. Et pour répondre aux critères de l’Opéra, il faut, bien entendu, des qualités de danseur, physiques, mais aussi une morphologie qui corresponde aux standards de beauté du danseur classique : de longues jambes, de grands bras, un long cou… C’est une sélection ingrate, très difficile.

On dit que vous avez un physique atypique, justement…

Oui, avec mon mètre quatre-vingt-douze, je suis beaucoup plus grand que les danseurs classiques. J’ai particulièrement travaillé pour que cette taille ne soit pas handicapante. Je suis aussi très robuste et ça, c’est ma force en tant qu’étoile. Car, à ce niveau, les performances physiques exigées sont élevées.

On associe beaucoup la danse classique à la souffrance…

C’est une idée fausse. Oui, bien sûr, c’est un art exigeant, car on contraint notre corps à se mettre dans des positions qui ne lui sont pas naturelles. Il faut sculpter ce corps pour qu’il soit apte à danser le répertoire classique, ça commence par le mouvement de base l’en-dehors [rotation externe du pied à 90°].

Il faut travailler les articulations jusqu’à les modifier, comme pour la cambrure du pied si on ne l’a pas naturellement. Alors, évidemment, ça fait mal. Mais en fait, la danse classique est à l’égal du sport de haut niveau. On pousse notre corps aux confins de ses limites et on lui en demande tellement qu’évidemment on développe des pathologies propres aux athlètes : tendinites, fractures de fatigue, problèmes d’épaule, hernies discales. Néanmoins, danser reste un plaisir et je ne souhaite pas qu’on l’associe à un sacerdoce, comme cela a été porté à une époque par les divas de la danse.

Lors de son passage comme directeur de l’Opéra de Paris, le chorégraphe Benjamin Millepied a justement mis l’accent sur la santé et la prévention des risques pour les danseurs…

Oui, il a porté une attention particulière au corps des danseurs. Il a voulu limiter les amplitudes et cadences des répétitions. Il nous arrive souvent de répéter plus de six heures par jour, sans compter le temps des représentations, le soir… Benjamin a permis de faire prendre conscience que les danseurs classiques sont des athlètes de haut niveau et qu’ils doivent être accompagnés comme tels. Il a donc créé un pôle santé avec des kinésithérapeutes, des préparateurs physiques, une médecin du sport, qui est aussi nutritionniste, etc. La salle de musculation et de préparation physique a été complètement revue et rééquipée, afin de mieux préparer notre corps et éviter les blessures. Il reste beaucoup à faire, mais cela se met en place doucement.

Herman Schmerman Hugo MarchanCredit Ann Ray ONP 2461Comment est-on nommé danseur étoile… Et qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Il faut savoir qu’à l’Opéra de Paris, qui est une institution extrêmement hiérarchisée, on évolue par concours de promotion, du premier grade de corps de ballet jusqu’au premier danseur : on est d’abord quadrille, puis coryphée, puis sujet, et enfin premier danseur. Le titre de danseur étoile, qui permet d’accéder aux rôles de solistes, est le seul qui se fasse sur nomination. C’est un moment très fort : la nomination est publique, à l’issue d’une représentation, le directeur de l’Opéra monte sur scène et vous déclare danseur étoile. Pour ma part, cela s’est passé ainsi : j’ai dû remplacer un danseur étoile qui s’était fait un claquage au mollet, en tournée, à Tokyo, pour danser La Sylphide, en mars 2017.

À l’issue de cette représentation, j’ai été nommé danseur étoile. C’était comme un rêve d’enfant qui se réalise… J’ai toujours rêvé d’être danseur étoile pour ce que cela permet : c’est-à-dire danser les premiers rôles et tous les rôles. Cela ouvre de nombreuses opportunités et permet d’évoluer techniquement et artistiquement… J’ai l’impression que tout commence…

Cette nomination comme étoile change-t-elle beaucoup de choses dans votre vie de danseur ?

Oui, beaucoup ! Déjà, le regard des gens sur vous change, et très rapidement. C’est d’ailleurs un peu troublant, surtout à 24 ans ! Notre vie devient plus solitaire aussi : on danse souvent seul ou avec une partenaire, donc on répète seul ou à deux. On est beaucoup moins souvent avec le corps de ballet. Notre planning et nos privilèges, comme le fait d’avoir une loge à soi et non plus collective, nous isolent, non seulement du corps de ballet mais aussi de tous ces gens qui font l’Opéra de Paris. Heureusement, je fais partie de cette nouvelle génération d’étoiles qui ne souhaite pas cultiver le côté diva. On veut rester dans le cœur de l’entreprise et veiller à ne pas vivre à l’écart. C’est une nécessité artistique aussi.

C’es…

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