Costa-Gavras : “Aller là où il est impossible d’aller” abonné

Pionnier du cinéma politique et réalisateur de quelques chefs-d’œuvre du cinéma français, homme de gauche, Costa-Gavras, citoyen d’origine grecque, plaide pour l’avènement d’un imaginaire européen. Après avoir filmé les histoires des autres, il raconte la sienne, dans un livre Mémoires. Rencontre.

Par Didier Blain— Publié le 09/06/2018 à 10h17

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Dans vos Mémoires intitulées Va où il est impossible d’aller1, vous racontez votre arrivée à Paris en 1955, alors que vous parlez à peine français, puis votre intégration dans le monde du cinéma avec une facilité inimaginable pour un migrant d’aujourd’hui. Diriez-vous que la France des années 50-60 était plus accueillante ?

La France des années50 était formidablement accueillante. J’étais dans une situation dramatique au début mais très vite ça s’est arrangé. J’ai pu m’inscrire à la Sorbonne avec une grande facilité. Cela a pris une demi-heure. Après ça, je pouvais aller au restaurant universitaire, trouver un petit boulot suffisant pour vivre et boucler les fins de mois. Avec cette carte d’étudiant, on allait à la préfecture de police où on était plutôt bien accueilli et on obtenait une carte de séjour renouvelable tous les ans.

Votre film Éden à l’Ouest, réalisé en 2009, traite des migrants. C’était déjà un peu visionnaire de la crise à venir ?

En 2008-2009, il y avait déjà des migrants ici, mais ça n’était pas des foules comme aujourd’hui. C’étaient des types qui se cachaient dans un avion ou montaient sur un bateau au hasard. Ces gens ont vraiment du courage d’entreprendre de tels voyages. Les conditions de mon immigration et celles des migrants d’aujourd’hui sont très différentes. Le point commun, c’est la solitude dans laquelle on se retrouve quand on arrive et qu’on ne connaît personne.

Vous êtes connu comme le pionnier du cinéma politique français. Qu’est-ce qui vous a amené à vous engager avec des films aussi forts que Z, L’Aveu ou État de siège ?

Mes films naissent d’un événement marquant, une pensée, un passé aussi. Ils n’entrent pas dans une série de projets prévus ou pressentis, c’est ce que j’explique dans mon livre. Il faut d’abord que je trouve l’histoire et ensuite je cherche les moyens de faire le film. Il y a aussi des thèmes qui me touchent profondément mais pour lesquels je n’ai pas trouvé d’histoire. Prenez L’Aveu (1970), sans le livre d’Artur London, je n’aurais jamais fait ce film. Il y avait beaucoup de livres sur l’Union soviétique et les communistes à ce moment-là. Mais Artur London a été vice-ministre en Tchécoslovaquie, puis torturé. Il a tiré un livre de son expérience.

Frise affiche

 

Vous écrivez qu’il y a de bonnes histoires de cinéma et d’autres qui ne feront jamais de bons films. Vous avez toujours à l’esprit l’idée que le cinéma doit être spectacle ?

Je vais au cinéma pour voir du spectacle, pas pour voir un film où il n’y a rien ou juste de l’amusement. À l’école de cinéma, on apprend que tous les grands films parlent de choses importantes, de notre société, des hommes, des femmes, des relations que nous avons, du bien et du mal, etc. La grande littérature est très difficile à adapter au cinéma parce que c’est l’écrit, la parole, le mot, la phrase et au cinéma, c’est l’image qui prime.

Mais vous avez choisi de raconter votre vie dans un livre avec des mots. Et pourquoi pas en images ?

(Rires) Par pudeur.

Costa Gavras CEntzmannContrairement à votre ami Chris Marker, vous n’avez jamais fait de film portant spécifiquement sur le syndicalisme. Y a-t-il une raison à cela ?

Le syndicalisme relève principalement du documentaire. Ce genre est très difficile, très pointu. J’ai toujours senti que je n’étais pas à la hauteur, donc je n’y ai pas touché. Les grands documentaristes français, on peut les compter sur les doigts de la main. En revanche, les grands metteurs en scène de fiction ne manquent pas ! Je n’ai pas trouvé de bonnes histoires sur le syndicalisme. Dommage, cela m’intéresse énormément.

Le syndicalisme, c’est la résistance au quotidien. Il défend des personnes très humbles qui prises isolément seraient réduites en esclavage. La résistance est l’un de mes thèmes favoris avec celui du pouvoir. Les Américains ont fait quelques films sur le syndicalisme. On m’a proposé d’en faire un aux États-Unis, cela s’appelait L’Ennemi intérieur sur l’histoire de Jimmy Hoffa2. C’était trop américain, j’ai refusé. Mais le syndicalisme américain et le syndicalisme français n’ont rien à voir. Ici, j’apprécie la modernité dont fait preuve la CFDT.

Quel regard portez-vous sur la politique aujourd’hui et les mouvements sociaux qui se font jour ?

J’ai suivi le Président [Emmanuel Macron] depuis le début. J’ai apprécié ses discours à la Sorbonne sur l’Europe et à Ouagadougou sur l’Afrique, en rupture avec ceux de ses prédécesseurs. En revanche, je suis très préoccupé par sa politique sociale. Je pensais qu’il avait une vision plus à gauche. Je trouve qu’il s’oriente vers un néolibéralisme très marqué.
En conséquence, les mouvements sociaux en cours ne me surprennent pas du tout, cette réaction est normale et même essentielle. J’y suis très attentif. Est-ce que le mouvement syndical est suffisamment…

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