“Ce n’est pas en se refermant sur soi-même que l’on fera face à tout ce qui nous menace” abonné

Philosophe sénégalais, enseignant à l’université Columbia (New York) et ancien élève de Louis Althusser et Jacques Derrida à l’École normale supérieure, Souleymane Bachir Diagne décrypte les raisons de croire encore à la notion de progrès.

Par Nicolas Ballot— Publié le 08/09/2017 à 07h50

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Brexit, élection de Donald Trump, score de Marine Le Pen… la tendance populiste gagne du terrain. Les démocraties sont-elles menacées par les populismes ?

Vous pourriez ajouter à votre liste le score très élevé du parti populiste de Geert Wilders aux Pays-Bas en 2015. En France, le ouf de soulagement de voir Marine Le Pen ne pas arriver en tête du premier tour de la présidentielle ne doit pas faire oublier le score sans précédent de l’extrême droite. Dans ces deux cas, même si la démocratie a montré qu’elle pouvait résister, force est de remarquer qu’elle est tout de même fragilisée. De même, ce qui s’est passé à Charlottesville, aux États-Unis, où des néonazis ont repris des slogans que l’on croyait d’un autre âge, tandis que les membres du Klu Klux Klan se découvrent une nouvelle jeunesse, est en quelque sorte l’amplification des phénomènes populistes ambiants. Pire, cela démontre une certaine continuité entre le populisme actuel et un passé très sombre.

Ce danger, je le crains, risque d’être encore présent un certain nombre d’années. Il est donc capital de montrer que ce régime fragile qu’est la démocratie est à défendre.

Souleymane BachirDiagne ABruelCFDT2017

Souleymane Bachir Diagne était invité
à l’Université 
d'été de la CFDT, dont le thème
cette année était : le progrès social.

Les attentats terroristes comme les démonstrations de force de l’extrême droite, notamment aux États-Unis, font resurgir l’obscurantisme parallèlement à la montée du populisme...

Effectivement, on observe qu’il existe un lien organique entre les populismes, ou plutôt ces ethno-nationalismes, pour utiliser un terme plus précis, et l’obscurantisme. Ce n’est pas un hasard si le mouvement qui a porté Donald Trump au pouvoir est également un mouvement qui remet en question des choses aussi fondamentales que la science. Bien entendu, il y a des intérêts économiques très précis derrière son retrait de l’accord de Paris sur le climat : on voit parfaitement les intérêts pétroliers ou encore ceux de l’industrie du charbon. Mais plus profondément, ce discours remet en question la science. Cela va de pair avec la remise en cause, par des soutiens du Président américain, de la théorie de l’évolution en la mettant sur le même plan que le créationnisme. Cette réduction de la science à un simple récit, auquel on peut opposer un autre récit, relève de l’obscurantisme le plus profond.

De même le fondamentalisme, qui mène au terrorisme, est comme son nom l’indique le refus le plus radical qui soit du progrès. L’idée même qu’on puisse revenir à un état antérieur considéré comme l’état pur de la religion est une façon de dire que le temps est un ennemi, qui ne signifie plus progrès mais nécessairement détérioration. Il s’agit de la négation même de l’idée de progrès. Nous sommes face à une régression qui s’assume comme telle et qui s’appuie sur une tradition reconstituée, sans souci de la vérité, pour les besoins de la cause.

 


Les attentats et le fondamentalisme mettent à mal l’image de l’Islam, tout comme une partie de l’extrême droite met à mal l’image du christianisme. Les religions peuvent-elles redevenir porteuses de paix et de progrès ?

Les pires choses sont aujourd’hui en train d’être accomplies au nom de la religion. Dans un tel contexte, les musulmans sont en quelque sorte victimes deux fois : d’une part ils sont victimes physiquement, on oublie trop souvent que les attentats visent d’abord les populations musulmanes (comme en Irak, en Afghanistan, ou plus récemment au Burkina…), qui sont les premières victimes et les plus nombreuses des terroristes. D’autre part, ces populations sont également victimes de ce que l’on pourrait qualifier de prise en otage, puisque c’est au nom de leur religion que sont commises ces atrocités.

On peut également citer le bouddhisme qui a très longtemps été considéré comme la religion de la spiritualité, de l’acceptation, qui ne présenterait pas les mêmes « défauts » que les autres religions mais qui est dévoyée au Myanmar (en Birmanie), où les bouddhistes participent à de véritables pogroms contre les musulmans Rohingya. C’est la preuve que toutes les religions, même les plus spirituelles, peuvent être instrumentalisées pour servir le meurtre et l’oppression.

Ceux qui provoquent les attentats recherchent une guerre de religions : après un attentat, les gens peuvent se dire : “Nous savons bien que ce n’est pas la religion mais son instrumentalisation”. Mais les terroristes comptent sur l’effet de répétition et d’exaspération dans l’optique de creuser une distance, un abîme infranchissable entre les religions pour lancer une sorte de guerre civile généralisée. C’est pour cela que la mise en scène des attentats, et donc de…

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