[Vidéo] Didier Wampas, éternel ado punk
Depuis trente ans, les Wampas, groupe pionnier du rock alternatif, arpentent les scènes de France. Ils sortent régulièrement des albums, qui connaissent des fortunes diverses, et continuent à faire du rock’n’roll envers et contre tout. Didier Wampas, chanteur bondissant et leader provocant du groupe, a mené de front ses carrières d’artiste et de technicien à la RATP. Entretien.

Pourquoi faites-vous « la gueule » ?
Le titre du dernier album [Les Wampas font la gueule] c’est juste pour se moquer de ces groupes qui font souvent la gueule sur les pochettes. Quand on a recommencé à répéter, on a fait une photo devant le local de répétition et on avait l’air de faire la gueule et voilà c’est resté.
Avez-vous vraiment fait les poches de Manu Chao et de Louise Attaque1 ?
Non [rires]. En 2005, on a gagné un peu d’argent avec le morceau « Manu Chao » et on a fait quelques télés à ce moment-là. On en a profité pour foutre le bordel avec le titre « Chirac en prison ». Ça n’a pas duré. Les radios n’osaient pas nous déprogrammer, c’est Lagardère lui-même qui nous a interdits d’antenne sur ses médias. J’en suis fier. Je n’en veux pas à Manu Chao de gagner de l’argent mais quand tu critiques le capitalisme, tu n’es pas obligé de vendre tes disques chez Carrefour. Noir Désir avait gueulé contre Universal lors des Victoires de la musique mais aujourd’hui, Bertrand Cantat [le chanteur] y est toujours. Il n’est pourtant pas attaché avec des chaînes à Universal. Je peux lui expliquer comment se faire virer, s’il le désire.
Comment a commencé l’histoire des Wampas ?
J’ai 15 ans en 1977 quand le punk débarque en France, c’est la révélation. Je vis en banlieue parisienne à Villeneuve-la-Garenne [92] et je lis Best et Rock & Folk. J’achète des disques que j’écoute tout seul dans ma chambre. En 1980, je rencontre un autre punk au lycée, on traîne ensemble. La scène alternative rock française arrive au début des années 80. Chacun était isolé dans sa campagne ou sa banlieue. Le temps qu’on se rencontre, qu’on achète les instruments, qu’on enregistre, qu’on sorte des caves, cela a pris quelques années. Les Wampas se sont rencontrés autour du lac d’Enghien le 14 juillet 1981 et notre premier concert a eu lieu le 21 juin 1983.
Vous en êtes à onze albums studio. Comment se situe ce dernier, dans l’œuvre des Wampas ?
À part le premier qui est résolument psychobilly, dans le fond, chaque album sonne comme un Wampas d’aujourd’hui. Les différences viennent surtout de la production et des studios. Je ne me suis jamais dit : « ce disque, je le veux comme si ou comme ça », je m’en fous. Moi, j’écris des chansons avec ma guitare et après je les laisse vivre. J’arrive en studio, chaque musicien y met sa partie et déjà le morceau ne ressemble plus à ce que j’imaginais au départ. Sur cet album, on a enregistré mes chansons, on a gardé les quatorze meilleures, c’est tout.
1962 1977 1981 1983 1986 2003 2010 2014 |
Il y a une continuité tout de même ?
Oui, même si le groupe a beaucoup changé à ses débuts, depuis une dizaine d’années, c’est toujours la même formation. Quant à mes chansons, elles racontent des petits instants de vie. Je fais de la musique parce que c’est ce que je sais faire. C’est une sorte de rock adolescent de cette époque où j’étais mal dans ma peau, je n’aimais ni le disco ni le football, je me sentais seul en banlieue. Le rock m’a sauvé la vie et c’est ce que j’essaie de transmettre. Pour moi, le punk ce n’était pas No future, mais le contraire : l’ouverture totale, on peut faire ce qu’on veut, on peut être différent des autres.
Avec le morceau Mars 78, peut-on dire que vous êtes nostalgiques de la variété française, de Claude François ?
Le premier souvenir de chanson qui m’a ému, c’est Qui saura de Mike Brant. À 10 ans, je lis Podium et Salut les copains, je suis fan du groupe Il était une fois, de Claude François, Mike Brant… Je colle les paroles de leurs chansons dans un cahier. Je n’avais pas de grand frère qui écoutait du rock. Ma passion pour la variété française s’est arrêtée vraiment avec le punk. Mais jusque-là, elle avait quelque chose de cinglé qui n’existe plus aujourd’hui où on ne fait plus que du marketing. Il y a quelques années, on a refait un spectacle de Claude François aux Francofolies. J’avais la charge de faire le medley de la fin. On a été obligés de ralentir le tempo tellement la version originale était rapide. Je n’arrivais pas à chanter aussi vite.
Vous avez toujours continué à travailler en parallèle de votre carrière d’artiste. Pourquoi ?
Tout au début, la question ne se posait pas. On sortait des 45 tours à 1 000 exemplaires qui ne permettaient pas de vivre, et on s’en foutait. On faisait une musique non commerciale, non populaire. Plus tard dans les années 90, cela aurait pu se faire. Il y avait l’intermittence et puis la Mano Negra et les Négresses vertes se sont mis à vendre des disques. Mais ça me paraissait contradictoire de faire de l’art pour choquer les gens, pour faire chier et en vivre en même temps.
Comment ça se passait chez votre employeur, la RATP, il y avait des arrangements ?
Non, aucun. La RATP ne m’a jamais octroyé même un quart d’heure pour quoi que ce soit. Je suis rentré à 20 ans comme technicien et ressorti trente ans après comme technicien. À la fin [2012], je gagnais 2 300 €, primes comprises. Jamais eu de promo, bloqué pendant trente ans. Je ne leur dois rien et je préfère d’ailleurs, je n’aurais pas aimé être un artiste maison RATP. Après, dans mon service et avec mes collègues, on s’arrangeait. Je faisais les 3x8 aux postes haute tension et à l’entretien et on permutait parfois avec des collègues pour me permettre de faire des concerts. Sinon, je posais des repos ou des congés sans solde.
Que vous a apporté le fait de continuer à travailler à la RATP ?
Cela m’a donné une liberté totale par rapport au showbiz, aux maisons de disques, aux tourneurs, aux programmateurs radio. J’ai connu beaucoup de groupes qui se sont dit : « Ça commence à marcher, on se met tous à fond là-dedans ». Résultat, un an après, ils sont en studio et ils se disent qu’il faut faire un morceau qui passe en radio parce qu’il faut bien manger. Et si ça ne marche pas, ils arrêtent. C’est dommage de renoncer à son rêve parce qu’on ne vend pas de disques. Je suis tombé récemment sur le vieil autocollant d’un groupe qui disait « Le top 50 ne passera pas par nous ». Inimaginable aujourd’hui !
Votre travail vous a donné une grande liberté ?
Oui pour moi, cela a été la liberté. L’album des Wampas intitulé « La preuve que Dieu existe » [2009] s’est retrouvé chez Universal parce qu’ils ont racheté le contrat. On a fait ce disque sans aucun effort commercial. On n’est jamais passés en radio et on s’est fait virer. Universal n’avait aucun pouvoir sur nous. On ne voulait pas gagner d’argent, on s’en foutait. Si j’en ai un peu pour me payer des vacances tant mieux, sinon ça ne me dérange pas… et je continue à faire de la musique. Nous sommes un petit groupe punk et ça me va très bien. Mon ambition, c’est de faire de bonnes chansons, de bons disques, de bons concerts et c’est tout. Il vaut mieux 1 000 groupes qui font un album tiré à 1 000 exemplaires qu’un seul groupe qui en vend un million. Je veux continuer à faire du rock comme j’en rêvais à 15 ans.
Vous avez 52 ans et vous êtes retraité depuis deux ans. Comment est-ce possible ?
À la RATP quand on a fait les 3x8 pendant trente ans, on peut partir à 50 ans. J’en ai profité. Il aurait fallu que je travaille encore dix ans pour gagner 500 euros de plus, ça ne m’intéressait pas. Ce que j’ai cotisé avec les concerts devrait augmenter ma retraite de 200 euros quand j’aurai 65 ans.
Quel regard portez-vous sur le monde du travail d’aujourd’hui ?
On ne peut pas généraliser sur le monde du travail à partir de la RATP où on est relativement protégés. Mais on a introduit du management à « l’américaine » dans cette entreprise et cela n’a rien produit de bon. Dans les années 90, on travaillait en binôme de manière autonome. Un jour, un responsable a décrété : « L’autogestion ça suffit, on a vu ce que ça a donné en Yougoslavie. On arrête, on fait des équipes avec des chefs ». Résultat : on a stressé les salariés, on les a déresponsabilisés, c’était débile. Sans penser que c’était mieux avant, j’ai le sentiment que la qualité du travail se dégrade en général.
Et sur le monde du rock d’aujourd’hui ?
Souvent, les premiers disques sont assez purs, nobles. Au deuxième, les groupes décident d’en faire un métier et rentrent dans le business. Les discussions dans les loges, c’est : « Ça marche ta tournée ? Ça se passe comment avec ta maison de disques ? » Je n’ai jamais voulu entrer là-dedans. Le but de la musique ne peut pas être de remplir Bercy ou des Zénith. Plus ça va, moins j’ai envie d’être riche et célèbre. J’ai tourné ces dernières années avec mes deux enfants2 et ma fiancée, sans sonorisateur, sans lumières, sans roadies. On met les guitares dans le coffre de la voiture, on arrive, on se branche et on joue devant un public dans des petites salles. Quel plaisir on prend !
Vous êtes très critique sur le prix des places de concert ?
Je connais le montant de la location des salles de spectacles. Il n’y a aucune raison de payer une place plus de 40 euros, même pour de gros groupes américains. Rien ne justifie des places à 70 ou 150 euros. Ça me met en colère de savoir que des groupes gagnent 50 000 euros par concert. C’est absurde, ça rime à quoi ?
Quel est le secret de la longévité des Wampas ?
L’important, c’est de ne pas se prendre au sérieux. Il y a Ébola, des guerres, la faim dans le monde et nous, on fait du rock et ça ne reste que du rock and roll.
Vous pensez vous arrêter de chanter à 62 ans ?
Non, j’arrêterai à 83 ans comme Charles Trenet.
Propos recueillis par dblain@cfdt.fr
photo : © Frédéric Fournier
- Les Wampas ont fait un titre intitulé Manu Chao en 2005 dans lequel ils raillent les fortunes gagnées par le chanteur et par le groupe Louise Attaque. Ce titre a très bien marché.
- Le groupe s’appelle Sugar and Tiger.