Shirin Ebadi : “Je porte la voix de mon peuple” abonné

Prix Nobel de la paix en 2003, exilée à Londres depuis 2009, Shirin Ebadi n’a jamais cessé son combat pour les droits de l’Homme et la démocratie en Iran. Dans son dernier livre, l’avocate nous dévoile les agissements des autorités iraniennes pour la faire taire. Rencontre avec une battante qui paie très cher son engagement mais ne regrette rien.

Par Jérôme Citron— Publié le 25/10/2016 à 15h34

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Votre roman Pour être enfin libre raconte votre parcours personnel et militant. Pourquoi avez-vous souhaité partager cette expérience ?

shEbadi 3-nb virginie-de-galzainJ’ai écrit ce livre pour montrer au monde ce dont est capable le pouvoir iranien quand il veut faire taire toute parole contestataire. Alors que j’étais relativement « protégée » par le prix Nobel de la paix, on m’a menacée physiquement, on a fait pression sur mes collaborateurs, puis sur ma famille en allant jusqu’à piéger mon mari filmé avec une maîtresse. J’ai finalement été contrainte à l’exil. Imaginez comment ce même État peut se comporter avec des étudiants, des journalistes ou des syndicalistes qui ne sont pas protégés par leur notoriété.

Pouvez-vous vous rendre en Iran aujourd’hui ?

Je vis en exil à Londres depuis 2009 et mes collègues sont toujours en prison en Iran. L’ONG que j’avais fondée à Téhéran [le Centre des défenseurs des droits de l’homme] a été fermée par les autorités dès 2008. Nous avons pu continuer notre activité pendant une année, mais la répression n’a fait que s’amplifier au point qu’il était devenu impossible de continuer notre combat sur place. Je pourrai peut-être rentrer chez moi un jour et je ne crains pas d’aller en prison, mais j’estime que je suis plus utile à mon peuple en témoignant à travers le monde de ce qui se passe aujourd’hui en Iran. Je porte sa voix. Je garde toutefois espoir d’y retourner, sinon, je ne pourrais pas continuer à vivre cette vie.

Diriez-vous que la liberté a régressé ces quinze dernières années en Iran ?

Malheureusement oui. Nous avions eu un espoir à la fin des années 90, mais les huit années de présidence réformiste de Mohammad Khatami ont déçu et ont conduit à l’élection en 2005 de l’ultraconservateur et religieux Mahmoud Ahmadinejad. Depuis, la situation n’a fait que se dégrader. En 2009, sa réélection « très discutable » a provoqué des manifestations géantes dans tout le pays, qu’il n’a pas hésité à réprimer dans la violence. Dès lors, toutes les personnes qui pouvaient encore faire entendre leur différence ont été incarcérées ou contraintes à l’exil. En 2013, le modéré Hassan Rohani a été élu à la présidence, mais pour l’heure, je ne constate pas d’amélioration significative.

shEbadi 7-nb virginie-de-galzainQuels combats estimez-vous avoir gagnés pendant toutes ces années de militantisme ?

En 2004, nous avons obtenu une réforme du droit de garde des enfants. La loi a été modifiée suite à un procès auquel je participais en tant qu’avocate. Une fillette de 9 ans avait trouvé la mort sous les coups de sa belle-mère. À l’époque, la loi donnait automatiquement la garde des enfants au père, à partir de 1 an pour les garçons et de 7 ans pour les filles. J’avais alors plaidé que c’était la loi qui avait assassiné cette enfant. Après des années de combat, nous avons obtenu que la garde revienne à la mère jusqu’aux 7 ans des enfants (fille et garçon) et qu’un tribunal juge ensuite qui aurait la garde en fonction de l’intérêt des enfants. Il s’agit d’une victoire, mais qui reste trop rare. Nous sommes encore loin de l’égalité parfaite entre les hommes et les femmes, à laquelle j’aspire.

Quel est, a contrario, l’un des pires reculs ?

Après la révolution, les lois ont beaucoup changé. L’une des pires régressions, à mon sens, a été l’abaissement de l’âge pour être jugé. Aujourd’hui, les filles sont pénalement responsables à partir de 9 ans et les garçons à partir de 15 ans. Autrement dit, une fille de 10 ans est jugée selon les mêmes critères qu’un homme de quarante. Et n’oublions pas que le pays applique la peine de mort. Et comme les autorités ne rendent pas publiques les condamnations, je ne peux pas dire combien de personnes ont été condamnées à mort ni donner leur âge. Les…

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