Matthieu Ricard : Science de la méditation abonné

Scientifique promis à une brillante carrière, Matthieu Ricard décide, à l’âge de 26 ans, de partir pour l’Himalaya et de devenir moine bouddhiste. Depuis plusieurs années, il partage sa vie entre le Népal, où il s’occupe de projets humanitaires et de développement, les États-Unis et l’Europe, où il mène des projets scientifiques autour des effets de la méditation sur le cerveau. Rencontre.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 10/02/2017 à 14h51

image


PARCOURS

1946 Naissance à Aix-les-Bains (Savoie).

1967 Premier voyage en Inde.

1972 Termine son doctorat en génétique cellulaire puis part s’installer définitivement dans la région de l’Himalaya où il vit maintenant depuis cinquante ans.

1989 Moine depuis 1979, il devient l’interprète du dalaï-lama en France.

2000 Fonde l’association humanitaire Karuna-Shechen

2013 Plaidoyer pour l’altruisme – La Force de la bienveillance.

2015 Trois amis en quête de sagesse, écrit avec Christophe André et Alexandre Jollien.

Janvier 2017 Cerveau & méditation, écrit avec Christophe André et Wolf Singer.

Avant de devenir moine bouddhiste, vous avez travaillé comme scientifique à l’Institut Pasteur, sous la direction du Nobel de médecine François Jacob. Qu’est-ce qui vous a fait tout quitter pour l’Inde et le Népal ?

À l’âge de 20 ans, au moment où j’entrais à Pasteur, j’ai fait un premier voyage en Inde, où j’ai rencontré les grands maîtres tibétains. Cela a été un tournant dans mon existence. J’y suis ensuite retourné huit fois, en alternance avec les recherches liées à ma thèse. Il n’y a donc rien eu de soudain dans ma démarche. Au fil de ces allers et retours, je me suis aperçu que mon intérêt principal était de poursuivre dans cette science de l’esprit davantage que dans la division cellulaire des bactéries. Cela m’inspirait davantage de partir pour l’Himalaya que d’aller faire un post-doctorat aux États-Unis, comme François Jacob me l’avait proposé.

L’important, c’est tout de même de faire ce qui vous passionne dans l’existence, davantage que l’image que votre situation peut donner à l’extérieur. Pour autant, je n’ai pas eu l’impression d’une rupture. Je pense en effet continuer aujourd’hui une démarche scientifique avec tout d’abord trente ans de recherche intérieure, puis en collaborant avec des neuroscientifiques afin de mieux comprendre la manière dont fonctionne notre cerveau, nos émotions, les mécanismes du bonheur et de la souffrance.

Votre mère, la peintre Yahne Le Toumelin, est aussi devenue nonne bouddhiste… Entre votre père, philosophe et académicien, et votre mère, une femme étonnante et charismatique, quelle famille !

Ma mère, une femme, c’est vrai, tout à fait étonnante, est venue en Inde, à Darjeeling, dans la période où j’étais encore à Pasteur. Nous n’étions donc pas tout le temps ensemble. Elle a fait son propre chemin d’initiation au bouddhisme et notamment en France, au Centre de Chanteloube, en Dordogne. C’est là qu’elle a effectué sa retraite de trois ans.

En revanche, votre père a eu davantage de mal à accepter votre décision de mettre un terme à votre carrière de scientifique pour embrasser le bouddhisme…

En effet, au départ il a été catastrophé de me voir partir, car il pensait que je gâchais ma carrière. Il ne comprenait pas ce choix. Mais il a eu la grandeur d’âme de ne pas faire de drame. Il est venu me voir quelques années plus tard. Rassuré et même heureux de constater que je me réalisais. Plus tard, en 1997, vingt-cinq ans après mon départ, nous avons écrit ce livre de dialogues au Népal Le Moine et le philosophe, dans lequel nous abordons toutes ces questions, le bouddhisme, la spiritualité, la science…

Aujourd’hui, vous vivez encore principalement au Népal…

Opaleplus.opale500142 01Depuis cinquante ans, je vis principalement là-bas. Je m’y occupe de l’ONG que j’ai fondée, il y a dix ans, Karuna-Shechen. Nous coordonnons plus de 200 projets dans le domaine de la santé, de l’éducation, des services sociaux, en Inde, au Tibet et au Népal, avec plus de 400 000 bénéficiaires l’an dernier. Au moment du tremblement de terre au Népal, nous avons apporté de l’aide à 620 villages, pour 200 000 habitants… Trois millions d’euros, soit trois fois plus que le gouvernement français ! Aujourd’hui, je reviens un peu plus souvent en France, car j’ai une maman de 93 ans… mais ma place est quand même au Népal.

Vous avez participé, pendant des années, à des expériences qui mettent en lumière les effets de la méditation sur le cerveau. Vous avez passé des heures dans des centres IRM avec des électrodes sur la tête pour prouver que la méditation a de réelles incidences sur la santé, la résistance au stress… Pouvez-vous nous en parler ?

D’abord, je crois qu’il est nécessaire de rétablir quelques vérités sur la méditation : méditer, ce n’est pas faire le vide et se relaxer, avec deux bâtons d’encens. Ça, ce sont des clichés.

La méditation, c’est entraîner son esprit. Et comme pour tout entraînement, cela provoque des modifications dans le cerveau, structurelles et fonctionnelles. C’est ce qu’on appelle la neuroplasticité, une découverte qui date d’une trentaine d’années. Avant, on pensait qu’à la fin de l’adolescence, le cerveau n’évoluait plus.

Désormais, on sait que lorsque l’on est exposé à une situation nouvelle ou à un apprentissage répété, comme apprendre à jongler ou à jouer du piano, par exemple, on observe des changements considérables sur les aires du cerveau : un volume qui augmente, une multiplication des connexions synaptiques. Partant de ce constat, il n’y avait aucune raison pour qu’il n’y ait pas de changements similaires au moment où l’on s’exerce à l’attention ou la bienveillance. Tout cela a été démontré à l’aide de l’imagerie cérébrale et des encéphalogrammes. Certaines recherches ont été menées avec des méditants expérimentés, afin de suivre les changements à long terme, et d’autres, sur des sujets non entraînés, afin d’observer les effets lorsqu’on pratique la méditation vingt minutes par jour pendant quelques mois.

Au bout de trois mois, on constate déjà des différences fonctionnelles et structurelles dans le cerveau, ainsi qu’un renforcement du système immunitaire. Les effets cliniques de la méditation – sujet sur lequel le nombre d’études scientifiques explose ces dernières années – ont aussi été démontrés sur la dépression, la guérison du psoriasis (parce que la méditation a un effet sur les processus inflammatoires), la gestion de la douleur, et quantité d’autres choses.

De nombreux hôpitaux en France ont mis en place des programmes thérapeutiques de la méditation, notamment dans le traitement complémentaire de la dépression…

Même si cette approche est plus répandue dans les pays anglo-saxons, en Suisse également, de nombreux hôpitaux en France ont adopté…

Pour continuer de lire cet article, vous devez être abonné.

s'abonner

Déjà abonné ? Connectez-vous