Retour

“La jurisprudence de la Cour de cassation a globalement conforté la réforme”

Publié le 27/03/2013
La mise en œuvre de la réforme de la représentativité a conduit à une abondante jurisprudence. Quelle lecture en faire ? Quel est son impact ? Quelles nouvelles évolutions attendre ? Éléments de réponse avec Lucie Lourdelle, du service juridique de la Confédération.

LLLa loi du 20 août 2008 a produit une jurisprudence abondante. Pourquoi ?

Beaucoup de points ont dû être précisés. Toutes les conséquences de la réforme de la représentativité n’avaient pas été anticipées. Dans un premier temps, la Cour de cassation a dû cadrer les tentatives de contournement de la loi qui visaient à maintenir une période transitoire par carence volontaire ou à nommer représentant de section syndicale (RSS) un délégué syndical (DS) qui n’aurait pas obtenu les 10 %. Ce qui est très positif, c’est qu’elle a consacré l’audience et les seuils auxquels on ne peut déroger. De la même manière, la Cour a considéré que l’affiliation d’un syndicat constitue un élément déterminant du vote de l’électeur. Enfin, elle a souhaité stabiliser la représentativité en considérant que des élections partielles ne remettent pas en cause la mesure de l’audience en cours de cycle. Tout cela a conforté la réforme.

La jurisprudence a aussi beaucoup porté sur les questions catégorielles et le contentieux préélectoral. Qu’en ressort-il ?

La jurisprudence a permis de clarifier les conditions de représentativité de la Confédération générale des cadres (CGC). En rappelant que si elle se présentait dans un collège autre que cadre, sa représentativité s’appréciait tous collèges confondus et n’était alors pas comptabilisée au niveau national interprofessionnel, elle a poussé cette organisation à clarifier ses statuts pour faire le choix du catégoriel.

En matière de contentieux préélectoral, de nombreuses questions ont surgi : sur la validité des protocoles, la définition des établissements et des collèges, les listes communes et les clés de répartition des suffrages. Sur ce dernier point, la jurisprudence exige que la clé de répartition soit connue de l’électeur en amont du vote. Mais des interrogations restent en suspens quand des clés « tordues » sont appliquées : 0 % à un syndicat, 100 % à l’autre ; ou jusqu’à 10 % à l’un, au-delà à l’autre. Ce sont des points que la jurisprudence devra éclairer.

Cette jurisprudence a-t-elle conduit les équipes à modifier leurs pratiques ?

C’est l’ensemble de la réforme de la représentativité qui a induit une modification des pratiques en profondeur, notamment dans la proximité aux salariés. Mais certains points ont été plus déterminants que d’autres. Ainsi, le mandat à durée déterminée du délégué syndical, qui suppose de le désigner après chaque nouvelle élection. C’est logique dans la philosophie de la réforme, mais c’est un bouleversement en termes de pratique. Au final, cela a renforcé le lien entre délégué syndical, syndicat et fédération.

Dans ses interprétations de la réforme de la représentativité, la Cour de cassation a-t-elle toujours respecté la lettre de la loi et l’esprit des signataires de la position commune ?

La Cour de cassation a très régulièrement consulté l’ensemble des partenaires sociaux pour comprendre en amont ce que les signataires avaient voulu faire et pour mesurer les conséquences de ses décisions. Dans l’ensemble, on peut donc dire qu’elle a comblé les vides de la loi et répondu aux questions qui se posaient dans le respect de la lettre et de l’esprit de la loi. Même s’il y a eu quelques couacs, en particulier sur la désignation d’un RSS en présence d’un délégué syndical central (DSC) et le périmètre de désignation.

Dans le détail, qu’est-ce que cela recouvre ?

Dans un premier jugement, la Cour de cassation avait estimé qu’une organisation syndicale représentative dans l’entreprise, qui avait désigné un DSC  à ce niveau, ne pouvait choisir un RSS dans les établissements où elle n’était pas représentative, du fait de sa représentativité centrale. Cela conduisait à une aberration juridique où un syndicat représentatif dans l’entreprise avait moins de droits qu’un syndicat non représentatif. Heureusement, la Cour de cassation l’a entendu et opéré un revirement à cent quatre-vingts degré. En vertu d’un arrêt de février 2013, un syndicat représentatif dans l’entreprise mais pas dans un établissement peut désigner un RSS, « faute de pouvoir désigner un DS, peu important qu’il ait désigné un délégué syndical central ».

En revanche, la jurisprudence en matière de périmètre de désignation reste très problématique.

De quoi s’agit-il ?

La Cour de cassation a fait une mauvaise interprétation de la loi en considérant que le périmètre de mesure de l’audience et le périmètre de désignation se recouvrent. Cela signifie que dans une entreprise où il y a un comité d’entreprise, mais seulement des délégués du personnel (DP) au niveau des établissements, le DS est désigné au niveau de l’entreprise, et pas dans les établissements. Pour nous, cela pose un problème de négociation – qui n’est alors plus possible qu’au niveau de l’entreprise – et de proximité – le DS est éloigné des salariés des différents établissements. C’est d’autant plus problématique que nombre d’employeurs se sont engouffrés dans la brèche en procédant à une stratégie de concentration des CE. La seule concession faite par la Cour de cassation est qu’un accord collectif peut prévoir d’autres modalités d’aménagement. Mais les employeurs s’en gardent bien. C’est l’un des points qui devraient être revus à l’avenir.

Propos recueillis par aseigne@cfdt.fr

© Ludovic/réa - DR