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Travailleurs détachés : le décret d’application enfin publié

Publié le 22/04/2015

Le premier décret d’application de la loi dite « Savary », visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, est enfin paru. Il précise notamment les obligations des employeurs établis hors de France et détaille la mise en œuvre de l’obligation de vigilance et  de la responsabilité des maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants et co-contractants. Décret n° 2015-364 du 30.03.15.

Entré en vigueur au 1er avril 2015, le décret relatif à la lutte contre les fraudes au détachement et à la lutte contre le travail illégal, met en œuvre plusieurs mesures de la loi  «Savary »(1).

Ce décret était attendu de pieds fermes, d’autant que le projet de loi Macron (actuellement au Sénat) prévoit également de nouvelles mesures relatives aux travailleurs détachés.

Avec la loi « Savary », la France transpose (et va même au-delà) la directive européenne d’application du 15 mai 2014 relative aux travailleurs détachés (2).

Quelles sont les  principales précisions apportées par le décret concernant les mesures prévues par la loi « Savary » ?

Concernant spécifiquement les travailleurs détachés

  • Le décret précise les modalités de mise en œuvre des nouvelles obligations pour les employeurs établis hors de France détachant des salariés en France : en matière déclaration préalable de détachement (3), de désignation d’un représentant en France (4) et de conservation sur le territoire national de divers documents (relatifs à l’entreprise établie hors de France et aux salariés détachés) à présenter en cas de contrôle (5).
  • Le texte détaille les modalités de mise en œuvre de l’obligation de vigilance des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre relative au respect des obligations déclaratives (6). Ces derniers doivent obtenir avant le début de chaque détachement : une copie de la déclaration préalable de détachement et une copie du document désignant le représentant en France de l’employeur. Le fait de se faire remettre ces documents, permet au maître d’ouvrage ou au donneur d’ordre d’avoir procédé aux obligations qui lui incombent.
  • Il précise les modalités selon lesquelles les organisations syndicales représentatives pourront désormais agir en justice pour toutes actions, en faveur d’un salarié détaché (7) ou victime de travail (8) dissimulé, sans avoir à justifier d’un mandat de l’intéressé, sous réserve de l’avoir informé et qu’il ne se soit pas opposé.
  • Deux nouveaux documents sont annexés au registre du personnel (9): la copie des déclarations de détachement et la copie des titres autorisant l’exercice d’une activité des salariés étrangers.
  • La liste des informations contenues dans le bilan social est complétée (10) :le nombre de salariés de l’entreprise détachés et le nombre de salariés détachés accueillis. 
  • Enfin le décret fixe les modalités de prononciation et de recouvrement de l’amende administrative appliquée en cas de manquement de l’employeur, du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordre à leurs obligations respectives (ci-dessus)(11). 

A noter qu'en parallèle, le décret prévoit la suppression de la sanction pénale rattachée au non-respect de la déclaration préalable de détachement. 

Pour la CFDT, la suppression de l’infraction pénale est regrettable même si l’amende administrative devrait être assez lourde pour être dissuasive (500 000 euros maximum selon le projet de loi Macron).  Si la création d’une amende administrative va dans le bon sens, elle devrait pouvoir s’articuler avec le maintien de l’infraction pénale aujourd’hui encourue.  En outre, le décret anticipe les conditions dans lesquelles le Direccte peut décider de prononcer une amende administrative (cf. projet de loi Macron).

Concernant la lutte contre la concurrence sociale déloyale et le travail illégal

  • Le décret fixe les modalités de mise en œuvre de l’obligation de vigilance et de la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs co-contractants et sous-traitants dans plusieurs hypothèses: 

-          En cas de non versement du salaire minimum (12). Le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre, informé par écrit par l’inspection du travail de ce manquement, doit enjoindre à l’employeur, par écrit de faire cesser la situation.  A compter du jour de réception de l’injonction, l’employeur dispose d’un délai de 7 jours pour informer, par écrit, le maitre d’ouvrage ou le donneur d’ordre, des mesures prises pour faire cesser la situation. Le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre informe l’agent de contrôle qui a constaté le manquement ou le prévient dès l’expiration du délai imparti, en cas d’absence de réponse de l’employeur.

A défaut d’avoir rempli ces obligations, le maître d’ouvrage ou le donneur d'ordre est tenu solidairement responsable du paiement des rémunérations et indemnités dues à chaque salarié et des cotisations et contributions sociales y afférentes. 

A noter qu'il est regrettable que le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre ne soit pas tenu solidairement responsable financièrement, y compris lorsqu’il a prévenu l’agent de contrôle de l’absence de réponse de l’employeur.

-          En cas d’hébergement collectif dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine (13). En l’absence de régularisation de la situation, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage doit prendre sans tarder à sa charge l’hébergement collectif.

-          En cas d’infraction à certaines matières limitativement énumérées du droit du travail(14) (ex : droit grève, durée du travail, discrimination...). Le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre qui ne respecte pas les modalités de mise en œuvre de l’obligation de vigilance s’expose à une contravention de 5e classe pouvant être doublée en cas de récidive.

-          Le seuil est augmenté (15) en portant de 3000 euros à 5000 euros hors taxes le montant des opérations en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce au-delà duquel toute personne est tenue à l’égard de son co-contractant d’une obligation de vérification en matière de travail dissimulé et d’emploi d’étrangers sans titre de travail. 

Cette mesure est regrettable  puisqu’elle augmente le seuil à partir duquel le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre a une obligation de vérification en matière de travail dissimulé et d’emploi d’étrangers sans titre de travail.  

Malgré ces quelques réserves, la CFDT ne peut que se réjouir  de ce décret qui vise à lutter contre les fraudes liées au détachement et plus globalement à lutter contre le travail illégal.

D’autres mesures, prévues par la loi «Savary» devraient faire l’objet d’un décret d’application, notamment,  la possibilité d’inscrire sur Internet une liste noire des entreprises et prestataires de services condamnés. 

Voir le point sur « travailleurs détachés », dans le carnet juridique.



(1) Loi n°2014-790 du 10.07.14, visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale
(2) Cette directive a pour but d’appliquer (et non réviser) la directive européenne de 1996, trop souvent détournée, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.
(3) Article 2 et 3 du décret.
(4) Article 1 du décret.
(5) Article 1 du décret.
(6) Article 6 du décret.
(7) Article 8 du décret.
(8) Article 14 du décret.
(9) Article 9 du décret.
(10) Article 10 du décret.
(11) Article 7 du décret.
(12) Article 11 du décret.
(13) Article 12 du décret.
(14) Article  17 du décret.
(15) Article 13 du décret.