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Travail de nuit : même sur les Champs-Élysées le travail nocturne doit rester exceptionnel

Publié le 01/10/2014

Dans son arrêt attendu, la Cour de cassation met un terme à la bataille judiciaire menée depuis près de 2 ans par l’enseigne Sephora pour justifier l’ouverture nocturne de son établissement des Champs-Élysées. Les juges ont finalement confirmé l’interdiction du recours au travail nocturne, estimant que cela « n’est pas inhérent à l’activité du parfumeur ». Un arrêt qui consacre ainsi le caractère exceptionnel du recours au travail de nuit. Cass. Soc, 24.09.14, n° 13-24.851

  • Une multiplication des procédures judiciaires

Pour rappel, depuis 1996, l’enseigne organise (hors cadre légal (1)) le travail de nuit au sein de son établissement des Champs-Élysées.
En décembre 2012, saisi par plusieurs organisations syndicales, le Tribunal de grande instance a refusé de statuer en référé sur la demande tendant à faire cesser le travail de nuit des salariés de cet établissement entre 21 heures et 6 heures.
C’est finalement, la cour d’appel de Paris qui, le 23 septembre 2013 (2), a reconnu le trouble manifestement excessif, et a condamné l’enseigne à fermer ses portes à 21 heures sous astreinte de 80 000 euros par infraction constatée.
La société Sephora a formé un pourvoi contre cette décision devant la Cour de cassation, invoquant notamment l’inconstitutionnalité des articles du Code du travail encadrant le travail de nuit.
N’en déplaise au parfumeur, le Conseil Constitutionnel a reconnu la conformité du Code du travail à la Constitution (3).

À lire aussi dans « Fil d’actualités » l’article : « Travail de nuit : le Code du travail conforme à la Constitution ».

En confirmant l’interdiction de recourir au travail de nuit dans son arrêt du 24 septembre dernier, la Cour de cassation vient clore le débat (du moins au niveau des juridictions nationales).

  • Des arguments balayés un par un

Outre l’inconstitutionnalité des dispositions du Code du travail relatives au travail de nuit, les arguments soulevés par Sephora étaient nombreux :
- Le recours au travail de nuit était exceptionnel : il ne concernait que 2 % des effectifs totaux, et un seul établissement (Champs-Élysées).
- Le recours était justifié par la nécessité d’assurer la continuité économique de l’avenue des Champs-Élysées « hautement prisée par les touristes internationaux », par la perte d’attractivité touristique qu’engendrerait pour la ville la fermeture de l’établissement en soirée, par le chiffre d’affaires non négligeable réalisé au cours de ces nuits (20 %) et enfin par des contraintes de fonctionnement (liées notamment aux livraisons).
- Les impératifs de santé et de sécurité des travailleurs étaient respectés (travail nocturne sur la base du volontariat, majorations de salaire et repos compensateurs, prise en charge de taxis au-delà de minuit, suivi médical des salariés).
Enfin, la société prétendait ne pas être concernée par la nécessité d’un accord collectif préalable prévu par l’article L. 3122-33 du Code du travail, dans la mesure où elle avait recours au travail de nuit depuis 1996.

  • Le caractère « exceptionnel du travail de nuit » martelé par la Cour de cassation

Après avoir rappelé les dispositions légales régissant le recours au travail de nuit, la Cour de cassation met l’accent sur le caractère exceptionnel de celui-ci. Elle précise qu’en conséquence, il « ne peut pas être le mode d’organisation normal du travail au sein d’une entreprise » et qu’il « ne doit être mis en œuvre que lorsqu’il est indispensable à son fonctionnement ».

Dans l’affaire, les juges ont relevé que non seulement le travail de nuit n’était « pas inhérent à l’activité » du commerce de parfumerie exercée par la société Sephora, mais qu’en outre, cette dernière n’avait pas pu démontrer en quoi il lui était impossible d’envisager d’autres possibilités d’aménagement du temps de travail et en quoi le recours au travail de nuit lui était indispensable à la continuité de son activité. En effet, les difficultés avancées par le parfumeur et la perte de chiffre d’affaires découlant de la fermeture en soirée, n’étaient pas de nature à justifier la nécessité d’assurer la continuité de l’activité la nuit. La Cour a ainsi confirmé que le trouble manifestement illicite était caractérisé.

Cette limitation de principe au travail de nuit représente une victoire syndicale quand on sait que la proportion de salariés travaillant la nuit a doublé en 20 ans, que le travail nocturne porte une atteinte indéniable à la vie personnelle et au repos des salariés et que l’effectivité du volontariat n’est pas toujours une réalité.



(1) Art. L.3122-32 et suivants du Code du travail
(2) Cour d’appel de Paris, 23 septembre 2013, n° 12-23124, à lire aussi, dans "Fil d'actualités" l'article "Travail de nuit, Sephora condamnée à respecter la loi"
(3) Conseil Constitutionnel, 4 avril 2014, n° 2014-373 QPC